François Houtart récompensé par l’Unesco
Qu’il s’agisse de parcourir 15 kilomètres pour rencontrer les paysans de Colombie à l’occasion du Forum social mondial, ou de traverser Nairobi pour gagner à pied, sous le soleil, l’immense bidonville de Kibera, il est au premier rang. Infatigable, souriant, solidaire de la souffrance et du combat des plus déshérités, qu’il se déroule aux Philippines, au Vietnam, en Equateur, au Brésil ou à Cuba… Ses visiteurs savent-ils seulement que ce visiteur calme et attentif, qui ne paraît pas ses 84 ans, portera leur voix aux quatre coins du monde ?
Et en Belgique, les étudiants qui traversent Louvain-la-Neuve savent-ils seulement que dans les locaux du Cetri (Centre tricontinental), ce professeur honoraire qui, jour après jour, lit, écrit, garde le contact avec des communautés de base ou s’adresse à des chefs d’Etat qui furent ses disciples et dont il inspira peut-être la politique, est l’un des hommes les plus influents de notre époque ? L’un des seuls auxquels (hélas ?) l’histoire a donné raison lorsque, voici plus d’un demi-siècle, il dénonçait la course effrénée au profit, l’implacable logique du marché, le productivisme qui détruit autant les ressources naturelles que les communautés humaines ?
Si en Belgique le nom de François Houtart est connu surtout dans les milieux associatifs de gauche, ailleurs dans le monde ce prêtre, hors du commun est considéré comme un véritable prophète, le gourou de tous les forums altermondialistes.
L’Unesco ne s’y est pas trompée : à celui que l’on appelle quelquefois le « chanoine rouge », elle a décerné le prix Madanjeet Singh 2009 pour la promotion de la tolérance et de la non-violence, saluant surtout « ses efforts exceptionnels afin de promouvoir la justice sociale dans le monde».
Né à Bruxelles en 1925, rien, au départ, ne prédestinait le petit-fils du comte Henri Carton de Wiart (l’un des pionniers du parti catholique) à s’engager aussi profondément aux côtés des déshérités, sauf une foi évangélique exprimée par la théologie de la libération. Après une formation en philosophie et en théologie au séminaire de Malines puis une licence en sciences politique et sociales à l’UCL, François Houtart se tourne vers l’urbanisme et devient docteur en sociologie à l’UCL, où il enseignera jusque 1990. Très tôt, le prêtre catholique démontre que sa foi chrétienne n’est pas incompatible avec le marxisme, dont il utilisera les outils d’analyse dans son approche des grandes questions de développement. Depuis des années, les publications du Centre tricontinental alimentent ainsi recherches, actions et réflexions des chercheurs et des militants et elles ont inspiré de nombreux politiques dans les pays du Sud.
Mais François Houtart ne s’est pas contenté de réfléchir, d’écrire, d’enseigner : il a donné des conférences dans plus de cent universités à travers le monde, a présidé la Ligue internationale pour le droit des peuples, participé à la création du Conseil international du Forum social mondial, n’a manqué aucun des grands rendez-vous altermondialistes. Il y était accueilli comme un visionnaire mais surtout il surprenait par son alacrité, sa capacité à analyser les défis du futur…
Lorsque le Nicaraguayen Miguel d’Escoto présida l’Assemblée générale des Nations unies, Houtart était à ses côtés. Pourfendeur d’une pensée longtemps dominante, il est cependant tout sauf un marginal : avec ses treize frères et sœurs il vient de fêter les mille ans que totalisent les membres de la fratrie. S’il a demandé au Parlement belge de lui retirer le titre de baron qui lui était dévolu par hérédité, il n’y a pas réussi et surtout, chanoine, professeur honoraire, il a toujours gardé sa place, éminente, au sein d’une Eglise catholique qu’il n’a pas renoncé à faire évoluer.
Colette Braeckman Le Soir
Photo: Indymedia
2 novembre 2009
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