Un vent nouveau souffle sur l’épiscopat, par Philippe Clanché (TC)
Même la pluie omniprésente n’a pas su doucher l’enthousiasme de la centaine d’évêques réunis à Lourdes pour leur assemblée annuelle. Les crises de début d’année digérées, ils ont pu affronter le copieux menu de leurs travaux dans la bonne humeur. Quinze ans après son célèbre rapport « Proposer la foi dans la société actuelle », les évêques ont demandé à Claude Dagens de diriger la rédaction d’un texte sur l’indifférence religieuse et la visibilité de l’Église. L’évêque d’Angoulême (normalien et académicien) a présenté 45 pages d’analyses et de propositions, intégrant la notion d’évangélisation. « Nous devons nous interroger : qui est indifférent, le monde ou notre Église ?, reconnaît Jacques Blaquart, évêque auxiliaire de Bordeaux et membre de la commission de rédaction. Longtemps, nous avons été disponibles pour être rejoints par nos concitoyens. Aujourd’hui il nous faut aller au devant. » Pour ce, il faut savoir dépasser les quolibets. « Derrière la moquerie, il y a une attente, assure Jacques Blaquart. Sommes-nous prêts à l’entendre ? ». « Je ne crois pas à cette indifférence », pense pour sa part Maurice Carré, secrétaire national de la Mission ouvrière. Le prêtre raconte l’histoire d’un syndicaliste invité à une rencontre de l’Action catholique ouvrière (Aco) : « À la fin de la séance, il a dit que si l’Aco ne faisait que débattre de la vie et du travail, les syndicats le proposaient aussi et il a demandé à l’équipe si elle n’avait pas autre chose à dire. Quand un membre a balbutié quelques mots sur sa foi, l’invité a dit alors qu’il était venu pour cela. »
« La visibilité de l’Église n’est pas médiatique mais sacramentelle », affirme Mgr Dagens. Son confrère bordelais alerte sur le risque de contresens autour du dernier adjectif, qu’il ne faut pas réduire aux sacrements de l’Église. « La visibilité sacramentelle de l’Église ne saurait se limiter au nombre de prêtres ou de pratiquants. Elle existe dès qu’un catholique, par un geste, une parole ou une présence, montre un signe de l’amour du Christ, dans la solidarité comme dans toutes les réalités de la vie ». Et l’évêque de donner en exemple une messe qu’il a célébrée peu avant Noël avec et pour les salariés de l’usine Ford en danger de fermeture à Blanquefort (Gironde).
Pauvretés. L’autre sujet phare de la semaine concernait l’avenir des communautés chrétiennes. « Nous mesurons chaque jour l’affaiblissement de nos moyens et l’abîme qui sépare nos pauvres ressources de ce qui serait nécessaire. Que pouvons-nous faire ? Qu’allons-nous faire ? », résumait le cardinal Vingt-Trois dans son discours de clôture, montrant que le temps des jérémiades et du fatalisme était – enfin – révolu.
Modèle missionnaire. Ainsi Dominique Lebrun, évêque de Saint-Étienne depuis 2006, est-il en train d’inventer dans les zones rurales de la Loire un système très proche des dispositifs de terre de mission. « Sortons du maillage territorial et évitons de nous perdre dans l’organisation interne », affirme-t-il. Il met en place des communautés de base locales, animées par des laïcs, que visite régulièrement une équipe itinérante mixte (prêtres, laïcs et religieux). « Ces équipes devront féconder les communautés locales, être au service des besoins qu’elles auront identifiés dans la population : sacrements, visites, enseignements… Dans les communautés, des fidèles émergent naturellement. Il nous faut inventer un ministère de responsable de communauté de base. » Le constat est partagé par Bernard Charrier, évêque de Tulle, qui a piloté le dossier, et pour qui il convient d’ « institutionnaliser des fonctions de laïcs. Dans mon diocèse, pour les funérailles, est lu le texte par lequel j’ai donné délégation à une personne pour conduire l’équipe qui prend en charge la cérémonie ». Hier Albert Rouet faisait figure de pionnier avec ses trios de laïcs en mission sur une zone dans son diocèse de Poitiers.
Aujourd’hui, tous les diocèses cherchent des solutions. Ainsi, à Nevers, sont institués des groupements de paroisses desservis par deux ou trois prêtres. Des alternatives existent. De plus en plus de prêtres africains exercent en France. « Ne faisons pas n’importe quoi, modère l’évêque de Corrèze. Il s’agit d’un service entre diocèses. Les Églises françaises doivent apporter une contrepartie à la présence de ces ministres, par exemple en les formant pour qu’ils retournent chez eux avec de meilleures compétences. » Plus radicale, l’option de l’importation massive de communautés nouvelles est pratiquée dans les diocèses de Toulon et d’Avignon. Ce modèle de recréation d’une Église triomphante et riche, avec la cohabitation forcée de charismatiques latino-américains et de catholiques locaux souvent désemparés, reste heureusement marginale et ne convainc pas l’immense majorité des évêques. Et seule la fraternité épiscopale empêche des empoignades plus rudes sur des visions de l’avenir que tout oppose.
Précautions. « Les équipes locales de laïcs offrent de nouveaux moyens aux prêtres, à condition de ne pas les insécuriser et de les situer clairement. Nous vivons une mutation tranquille, résume Bernard Charrier. C’est la fin d’une époque, mais nous ne sommes pas foutus. Pour changer sans trop de casse, il faut prendre des précautions ». Pas question de nier la démographie. Nos prélats se préparent à des communautés sans prêtres permanents. Quid alors de l’eucharistie, « source et sommet de toute la vie chrétienne », selon le Concile Vatican II ? « Si elle est nourriture pour les croyants, ces derniers accepteront de faire 30 minutes de voiture, comme hier on venait à l’église à pied de loin », assure Bernard Charrier.
L’idée de modèle pastoral unique est rejetée. À l’heure où le centralisme romain cause tant de dégâts, il faut se réjouir que chaque diocèse cherche un dispositif propre, selon ses forces et sa culture. Le groupe de travail « Rassemblements dominicaux, défis et initiatives », lancé cette année, permettra de poursuivre les échanges. L’autre nouveau dossier ouvert concerne l’environnement et l’écologie. S’adapter en interne sans perdre de vue le monde, nos évêques ont trouvé le bon équilibre.
Ouverture sociale
La crise économique et le drame de l’immigration : voilà comment le cardinal Vingt-Trois a introduit les travaux de l’assemblée à travers les premières pages de son discours d’ouverture. Dressant le tableau des conséquences du chaos actuel, il a appelé à « une véritable réforme de nos pratiques sociales » et a loué le « magnifique effort de générosité » des catholiques engagés sur ce terrain.
Mgr Vingt-Trois a rappelé la ligne de l’Église catholique sur l’immigration : accélération des dossiers de régularisation et respect des personnes « quel que soit le bien fondé des décisions judiciaires ou administratives ».
Jupe, An I
Il y a un an, lors de la même assemblée, André Vingt-Trois, archevêque de Paris, lançait au micro des radios chrétiennes sa tristement célèbre phrase misogyne à l’origine de la naissance du Comité de la Jupe (lire TC du 8 octobre 2009). Cette année, aura-t-il lu la lettre ouverte envoyée par le Comité à tous les évêques ? Bernard Charrrier, évêque de Tulle, voit dans cette mobilisation « un symptôme de la volonté de ne pas laisser le devant de la scène aux intégristes qui parlent beaucoup ». Il reconnaît la légitimité de certaines revendications. « Un peu de démocratie ne ferait pas de mal, il nous faut multiplier les lieux de parole. Et notre Église n’a pas fini de donner aux femmes leur place dans certains lieux de décisions ».
Témoignage Chrétien – 12 novembre 2009