Entretien avec Daniel Cohn-Bendit : “Les Suisses doivent revoter” (Source : Le Temps)
Le Temps : Partie de Suisse, la question de l’interdiction des minarets déferle maintenant sur le reste de l’Europe. Est-il normal de se la poser après le vote helvétique ?
Daniel Cohn-Bendit : Cette question des minarets est un piège. Un piège parfait. Quoi qu’ils disent, les promoteurs de l’initiative visant à interdire la construction de nouveaux minarets s’en prennent à un symbole de l’islam et des musulmans. Or cet amalgame est non seulement insupportable, mais inacceptable: la démocratie directe ne doit pas être le prétexte pour s’en prendre à une communauté et la blesser. La limite démocratique est à mes yeux franchie. Je suis pour une démocratie directe “encadrée” par une Constitution qui ne permette pas de voter sur n’importe quoi. Une votation comme celle des minarets, qui cible une communauté en particulier, restera une tache noire sur la réputation de la Confédération. Pour l’effacer, les Suisses n’ont qu’une solution: se mobiliser et revoter.
Mais le peuple Suisse s’est exprimé…
Daniel Cohn-Bendit : Et alors ? Les Suisses ont voté comme le feraient sans doute une bonne partie des Européens : avec l’angoisse vis-à-vis de l’islam rivée au corps, avec en tête les images des attentats-suicides au Pakistan et en Afghanistan. Il y a en plus eu, en Suisse, l’affaire du fils Kadhafi. C’est toute la difficulté de l’islam, dont la réalité est aujourd’hui défigurée par des petits groupes extrémistes ultra-violents. Mais cela n’excuse rien car, pardonnez-moi, la Suisse nous a dans l’histoire habitués à ce genre d’attitude. Je pense évidemment à la Seconde Guerre mondiale. La Suisse n’a alors eu aucun problème à sacrifier ceux qui butaient contre ses frontières et demandaient l’asile. Le problème helvétique, c’est cet égoïsme des riches que l’on retrouve aussi en Italie du Nord. On a vu combien de temps il a fallu à vos concitoyens pour que leur pays devienne membre de l’ONU ! Cet égoïsme s’est traduit dans la votation de dimanche: on veut bien que des musulmans vivent et travaillent en Suisse. Mais à condition qu’ils se taisent et repartent un jour.
Quelle riposte adopter alors ?
Daniel Cohn-Bendit : La plus formidable des ripostes – mais je rêve – serait que les plus riches des pays musulmans retirent leur argent des banques suisses. Vider les caisses de la Confédération: voilà ce qu’il faudrait ! Que l’Arabie saoudite ou les Emirats arabes unis désertent votre place financière. Voilà ce qui marcherait. On l’a bien vu avec les pressions exercées par le fisc américain dans l’affaire UBS. Si cette votation a des conséquences économiques, alors les Suisses comprendront.
Et la classe politique helvétique ? Et le gouvernement ?
Daniel Cohn-Bendit : La priorité de l’élite politique suisse hostile à ce vote doit être de remobiliser la population en vue d’un nouveau référendum. Ce sera dur, et alors? Capituler devant cette angoisse populaire serait une défaite pour tous les démocrates. Le moment est venu d’un grand débat en Suisse sur le sujet de l’immigration. La Suisse ne doit pas se laisser ligoter par cette décision populaire jusqu’à la fin des temps.
Comment doit réagir l’UE ? Que pensez-vous de l’intention des Verts suisses de déposer un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg ?
Daniel Cohn-Bendit : Cette interdiction des minarets, indigne à mes yeux, ne peut pas être ignorée par l’Union. Il faudra poser la question. On ne peut pas continuer les relations bilatérales comme si de rien n’était. Le Parlement européen, doté de nouvelles compétences par le Traité de Lisbonne, devrait d’ailleurs très vite interroger à ce sujet la nouvelle haut représentante de l’UE pour les Affaires étrangères, lors de son échange de vues prévu mercredi avec les eurodéputés. Si elle défend, comme elle le doit, la liberté de religion en Europe, Catherine Ashton doit prendre position contre cette interdiction des minarets en Suisse.
Article publié mercredi 2 décembre dans LeTemps.ch
Propos recueillis par Richard Werly
Source : Le Temps, édition du mercredi 2 décembre 2009.
——————————————————————————–
Un ministre turc exhorte les musulmans à retirer leur argent des banques suisses
Le vote suisse de dimanche interdisant l’édification de minarets continue de faire des remous. Le ministre des affaires européennes turc, Egemen Bagis, a exhorté les musulmans à retirer leur argent des banques de Suisse, dans des déclarations mercredi dans le journal Hürriyet. “Je suis convaincu que cette décision [des électeurs suisses] incitera nos frères musulmans à revoir leur décision de garder leur argent dans les banques suisses“, a-t-il dit.
Le ministre a invité ces déposants à préférer les banques turques, les moins affectées, selon lui, par la crise financière. “Les portes du secteur bancaire turc sont grandes ouvertes“, a souligné le ministre, ajoutant que la Suisse devait faire “marche arrière sur cette décision erronée“. -(Avec AFP)