Ce que Claude Dagens – qui gagne en écoute par son entrée récente à l’Académie Française – choisit de dire dans ce livre (éditions Parole et Silence, 2009), représente ses thèmes favoris. Sa promotion épiscopale (d’abord comme auxiliaire à Poitiers, puis titulaire à Angoulême) lui avait donné l’occasion de publier plus largement ses réflexions sur les rapports entre l’Eglise et la société, sujet sur lequel il insiste encore ici. Ses conférences de 1993, au Colloque de Saint-Florent (Vendée), ou à Paris devant les Supérieurs des ordres monastiques, en donnaient déjà les grandes orientations. Elles étaient, dans les années 90, celles d’une personnalité qu’on voyait très libre. L’auteur se montrait d’abord très attentif aux « prophètes du dedans », ces chrétiens qui accusent avec raison l’Eglise de « manquer de réelle confiance en l’homme, d’avoir peur du monde réel, de ne pas accepter l’autonomie de celui-ci » et de « lui annoncer un Dieu aliénant, et non un Dieu aimant ». Il y avait aussi chez lui, une recherche permanente – risquée -, d’un équilibre entre d’une part, une grande ouverture nécessaire au monde contemporain réel, avec, en France où cette qualité est constitutive, l’acceptation claire de la laïcité, sans projet de « reconquête », et d’autre part un rappel constant des services que l’Eglise peut rendre à ce monde en crise – sans plus se croire obligée de cacher ses idéaux proprement religieux-, en particulier dans le domaine moral, socio-caritatif, éducatif. Mais on peut penser qu’il y eu, chez cet évêque, ces dernières années, une évolution déconcertante dans le développement de certains sujets, dans l’analyse des problèmes et quant aux solutions à envisager, de son point de vue. Les affirmations de loyauté républicaine sont restées, il est vrai, plus fréquentes que chez la plupart de ses pairs. Il semble bien que ce soit cette attitude affichée dans ses interventions publiques et dans un grand nombre d’écrits par un évêque (de brillante formation universitaire par ailleurs), qui ait principalement attiré l’attention du monde éminent des Lettres, humaniste et généralement d’un solide tissu libéral : dans le discours de réception à l’Académie, Florence Delay fait l’éloge, par exemple, de la « tranquillité » avec laquelle il aime dialoguer avec les francs-maçons de Charente malgré les « cris d’orfraie » des cathos rétrogrades ! Cet aspect de sa pensée, apparaît encore dans le livre d’aujourd’hui. Il cite même par exemple les conseils mesurés (mais c’était avant…) d’un certain Joseph Ratzinger : l’Eglise « ne doit pas s’élever au rang d’organe de pouvoir agissant au sein de l’Etat, sinon elle devient elle-même Etat ». Et surtout il tient à rappeler la Lettre aux catholiques de France (fin 1996) dont il avait été le maître d’œuvre : « Nous tenons à être reconnus aussi… comme des citoyens, qui prennent part à la vie actuelle de la société française, qui en respectent la laïcité constitutive, et qui désirent y manifester la vitalité de leur foi.»
Dans cet élan, le désir profond de Claude Dagens était, semblait-il, de faire accepter, par l’ensemble de la communauté catholique – il y a toujours eu des réticents pour des motifs socio-politiques -, cette déférence envers la démocratie républicaine, jusqu’à cet esprit de laïcité sans fard qui lui est substantiel. Un sommet sur ce chemin fut l’aboutissement du long travail collectif de préparation de cette fameuse « Lettre ». Une proposition allait loin, semblait-il, dans la promotion de la laïcité : il était conseillé à l’Eglise de se défaire progressivement de ses institutions de services (sociaux et éducatifs généraux) quand la société pluraliste (garantie par la neutralité de l’Etat) est capable de les assurer dans de bonnes conditions. (3e partie, II, 2 : l’Eglise et le service de la société). Les croyants étaient encouragés à joindre généreusement « leurs efforts à ceux des autres citoyens au sein des institutions publiques », mais, bien entendu, sans craindre, « quand il le faut, de rendre compte de la foi » qui les fait agir avec tous pour le bien commun : une application pratique d’une laïcité bien assimilée. Sur le ton général de la « Lettre », Claude Dagens rappelle lui-même qu’il y a eu des grincements de dents du côté des catholiques traditionnels : il ne faut pas « proposer » ; quand on a la foi, il faut affirmer la vérité.
Dans Aujourd’hui l’Evangile, Claude Dagens centre une part de ses réflexions sur l’essentiel de notre foi et « la nouveauté chrétienne de Dieu », celle qui transparaît dans les paroles et les actes de Jésus-Christ, consignés dans l’Evangile : « Dans le Fils du Dieu vivant, le Verbe fait chair, c’est l’homme, c’est tout l’être humain qui se trouve révélé en plénitude, dans l’amour reçu de Dieu… C’est l’amour de Dieu, révélé (par l’Esprit) dans l’humanité du Fils, qui nous appelle à témoigner et faire de la vérité dans notre existence humaine… Le devenir chrétien commence à la fois par la conscience de la liberté personnelle et par l’appel à exercer cette liberté selon Dieu… Chacun de nous a une valeur unique ! Adorer Dieu et défendre la dignité des hommes sont deux démarches inséparables… La vie de Dieu jaillit de la mort du Christ. Le chemin qu’il ouvre ne va pas de la vie à la mort, mais de la mort à la vie, à travers le signe de la croix ». Très significatif est le récit des disciples d’Emmaüs : ils reconnaissent Jésus au pain rompu et à sa parole, une lumière qui se refuse d’éblouir. Cette ligne spirituelle oriente toute la vie concrète et réciproquement les expériences ‘extérieures’ nourrissent l’ ‘ intérieur’ de chacun des chrétiens. Beaucoup de chrétiens pensent que ce message est la tradition : tout le reste est amené à évoluer avec les temps, pour être de plus en plus une vérité.
Ces chrétiens sont sans doute tous d’accord sur le contenu stimulant du message de Jésus-Christ que Claude Dagens souligne vigoureusement avec raison. Et sur une dynamique naturellement communautaire (sans communautarisme) de l’évangélisation sur laquelle il insiste. Vouloir transmettre cet « héritage » à notre temps n’est pas facile, et surtout aux jeunes générations nées dans cet univers flou. Mais qu’il leur permette de le contredire sur l’acte de transmission lui-même, ses moyens, ses méthodes : sur ce plan-là, l’évêque-auteur, qu’un esprit scientifique, critique, toujours en recherche, rendait plus équitable et prudent, a rejoint le système de la Nouvelle Evangélisation conçu par Jean-Paul II et repris, avec toutes ses ambiguïtés, par Benoît XVI.
Sans nul doute Claude Dagens pense-t-il que d’autres, parce qu’ils sont croyants d’autres religions, se vouent également avec force à la promotion de l’humanité. Il pense la même chose de la part d’athées convaincus et sincères, avec qui un dialogue constructif est indispensable. Son livre le suggère en rappelant les contacts nombreux qu’un évêque est amené à prendre de par sa fonction mais peut-être aurait-il fallu le redire comme un préalable. En tout cas, s’il tient à montrer l’Evangile comme un riche outil de travail pour l’humanisation du monde, il ne manque pas d’afficher son loyalisme envers son Eglise, quelles que soient les contradictions de celle-ci dans la pratique : il ne les cache pas toutes mais il ne les dénoncera jamais avec insistance s’il y a risque de faire apparaître publiquement des divergences internes importantes. On pourra se demander : « Comme haut représentant, peut-il faire autrement ? ». Mais le loyalisme peut tourner au légalisme.
L’auteur recense ce que sont, d’après lui, les meilleurs moyens de faire connaître le message chrétien à ceux qui nous entourent, en tenant compte qu’en général, « nos sociétés se passent de Dieu » : paradoxe insoluble ? Mais il dramatise, comme le Vatican, pour la « mission », les dangers venant d’une sécularisation qui s’accélère et devient une seconde nature chez nos concitoyens. D’une part, affirme-t-il, le mouvement est si rapide que le « phénomène chrétien » est de moins en moins aperçu par les autres : les initiatives catholiques ont un faible écho médiatique ; l’opinion publique trouve notre culture respectable (voir nos églises) mais c’est du passé, dit-on, et il n’y a pas de raison d’accorder à l’Eglise catholique une attention privilégiée par rapport à d’autres groupes religieux. Résultat : beaucoup de catholiques ont peur de dire une foi désignée comme désuète ; d’autres, par contre, insistent « sur les engagements sociaux et politiques de l’Eglise dans le monde, la pratique de la solidarité, la présence aux pauvres », et ils risquent de tenir « l’intériorité » (vie spirituelle, liturgie, sacrements) comme secondaire, alors que les uns ne vont pas sans les autres. Toutes ces assertions, souvent médiatisées, sont discutables et flattent d’abord les esprits chagrins, souvent passéistes.
A trop exalter la « mission-de-l’Eglise, comme dans ce livre, ne risque-t-on pas de perdre en route, quoi que l’on affirme, la « nouveauté » que fait éclater la « bonne nouvelle » ?
Le Verbe avait pourtant mis au monde la religion la plus désacralisée possible, la plus humaine : à ce sujet, Vatican II avait ouvert une porte. L’équilibre est sans doute subtil entre une communauté fructueuse et le propre engagement du chrétien (ici le catholique) de base. Mai la liberté de chaque personne a une valeur première : la communauté ne vit que si chacun est un vivant, adhérant librement au mystère de la foi. N’est-ce pas d’abord la « mission » de tous (laïcs comme clercs, sans privilège : il y a d’ailleurs une redéfinition chrétienne à faire du prêtre) dans leur vie courante d’hommes et de femmes, que de tenir les yeux ouverts sur les « signes des temps », d’en tirer des conclusions et de décider ensemble des modifications urgentes de la vie symbolique de l’Eglise et de sa façon d’être présente au monde ? Le partage des activités pastorales est devenu une réalité qu’il ne faudrait pas sans cesse faire passer pour un signe remarquable de modernité : ce n’est que le produit de la nécessité. Claude Dagens n’évoque plus assez ce qui risque de défigurer la « mission » : il dénonce justement les « fidèles » qui voudraient convertir le monde à force de grandes démonstrations religieuses publiques. Mais rien d’essentiel n’a été fait pour assurer couramment un véritable « partage » des décisions. La consultation (exaltée avec excès démagogique) du plus grand nombre des « Conseils », des synodes et des instruments de la collégialité à tous les niveaux reste formelle. Au contraire, pour récupérer des nostalgiques, on choisit de flatter leur soif de sacré et une restauration de l’« autorité » cléricale. Veut-on faire oublier les « affaires » récentes qui ont soulevé la colère de beaucoup de catholiques mais qui ont aussi terni l’image que donne l’Eglise ?
Plus inquiétant encore. Depuis plus de dix ans, l’accent est mis à « Rome » sur l’urgence de retrouver, à tout prix, l’influence perdue : cela ne va pas bien vite ; alors, on n’y va plus de main morte. Pour faciliter la tâche on en est arrivé à vouloir faire reconnaître officiellement la « mission » (au moins sa part socialement engagée) par les institutions publiques. Claude Dagens va tout à fait maintenant dans ce sens-là, et il développe sans vraie nuance -ce qui m’a beaucoup étonné de sa part- les mêmes arguments que le Vatican.
On s’acharne à persuader les autres citoyens que, « les catholiques ayant assimilé d’une façon nouvelle le thème de la liberté et des droits de l’homme », les républicains, défenseurs de la laïcité n’ont plus de nos jours, rien à craindre de l’Eglise par ailleurs affaiblie (ce qui se voit bien). On semble croire d’ailleurs que les « laïques » sont fatigués de lutter. D’autre part, dans un monde incertain, dit-on, le « projet laïque » ne peut plus « se résigner à une absence d’idéal politique » : à ce sujet on en appelle à des autorités extérieures non croyantes de préférence pour faire plus objectif. L’auteur fait très souvent référence à Marcel Gauchet : parmi les monothéismes, le christianisme, en sortant des systèmes religieux « hétéronomes » a beaucoup aidé à faire progresser les humains vers l’autonomie de la personne, qualité éminemment démocratique ; il ne faut donc pas négliger ce que peuvent apporter les chrétiens aux valeurs civiques. Mais on ne peut pas en conclure triomphalement qu’un « partenariat », reconnu comme tel, est devenu possible « dans les délibérations publiques » – et même indispensable dans la crise actuelle -, entre l’Etat garant de la société sécularisée et l’Eglise. M. Gauchet ne tient certainement pas à donner à celle-ci une tribune privilégiée. Et il est très difficile de ne pas voir la contradiction, en France, entre d’un côté les affirmations républicaines éclatantes associées au respect affecté de la loi de 1905 et de l’autre, le chemin délibérément pris aujourd’hui par l’Eglise catholique vers un système concordataire prudemment voilé. On a d’ailleurs vu les républicains de France en alerte ces derniers temps à propos de toute concession dans ce sens par les pouvoirs publics (par exemple : rapport Machelon ; affaire des grades universitaires, des subventions cultuelles déguisées…). Est-il bon d’ailleurs pour le « message » que la « reconnaissance » officielle de l’Eglise ait une « raison » d’Etat ? Enfin on ne peut pas bien percevoir, de l’extérieur, que cette Eglise n’est pas, dans la pratique, sortie de la « religion » : bien au contraire elle y rentre précipitamment dans une politique vaticane identitaire, manifestant ses certitudes éternelles, assoiffée de visibilité et même, si cela « paye », ritualiste à l’ancienne… Et pourtant, Claude Dagens cite encore l’« avancez en eau profonde » (donc risquée) de l’Evangile !
De nombreux chapitres du livre (2e partie mais surtout 3e) s’adressent spécialement à des enseignants ou des responsables de l’école catholique : ils sont particulièrement décevants, venant d’une personnalité que l’on avait vue plus attentive à la présence au monde réel. Claude Dagens rappelle pourtant qu’il y a quelques années des congrégations enseignantes s’étaient lucidement posé des questions sur la valeur évangélique d’un enseignement privé. Aujourd’hui, il n’est plus question pour l’Eglise officielle, de se désengager à plus ou moins long terme de cette institution « visible ». Dans la Lettre, parait-il, à ce sujet, on n’avait pas spécialement pensé à l’école catholique… Bien sûr, personne n’exige l’abolition des lois de liberté d’enseignement, et libre à des chrétiens qui s’affichent comme tels de soutenir, hors Eglise, des écoles privées dites « catholiques ». Mais que notre Eglise laisse entendre qu’en France par exemple, l’école nationale est ou risque d’être l’école de l’Etat, nous paraît injurieux. Surtout, qu’elle cautionne la possibilité de se mettre à part des autres citoyens (ou futurs citoyens), au lieu de s’engager pour que l’école de tous développe toutes les qualités qu’on attend d’elle, nous a toujours semblé loin de l’esprit évangélique. Tout cet aspect des choses est « oublié » finalement dans ce livre. Et, c’est certainement aux dépens de la « mission ».
On peut analyser plus spécialement quelques remarques de Claude Dagens. On voit bien les contradictions inhérentes à la ligne de l’Eglise officielle, soutenue maintenant plus résolument par lui, et la façon dont « l’Institution » les escamote parfois.
** « Actuellement, les jeunes qui viennent dans l’enseignement catholique sont pareils à tous les jeunes… C’est un haut lieu d’accueil et de rencontre ». On ne peut pas nier un aller-retour fréquent, pour différentes raisons, mais qui ne concerne qu’une minorité (plutôt aisée). Les piliers forts sont marqués non seulement par les modes de vie de toute la jeunesse actuelle mais aussi par le choix de leurs parents : il s’agit encore (et cela peut concerner des populations diverses, y compris sur le plan religieux) d’échapper aux « mauvaises fréquentations » (ce réflexe existe toujours), mais surtout d’être plus sûr de « réussir » ; enfin, généralement (sauf en lycées professionnels pour des raisons souvent injustes d’ailleurs) la composition des classes est loin d’être le décalque de la société. Et dans les quartiers mêlés où s’installe une école catholique, elle draine d’abord ceux (y compris des non-croyants ou des musulmans par exemple) qui attendaient ce moyen de fuir le sort commun, supposé mauvais a priori. Il n’y a vraiment pas de quoi en être fier.
** « Je crois qu’un établissement scolaire d’inspiration chrétienne ne peut pas se contenter de la culture d’entreprise, qui, ajuste sans cesse les moyens et les résultats. Il faut aussi que soit exploitée une autre culture, chrétienne… (avec) des signes : l’accueil, la solidarité, l’écoute ;… l’intelligence que l’on éveille à des savoirs ». Il y a tellement d’exemples qui font de ces affirmations le côté publicitaire et concurrentiel des écoles catholiques (voir certains articles dans La Croix ou La Vie, au moment des choix de scolarité, du genre : venez chez nous, regardez comme nous sommes bons car chrétiens, et innovateurs parce que « libres » ; nous apportons un « plus » ; et voyez nos résultats !) On sous-entend forcément : meilleure conscience professionnelle dans le « privé » catholique que dans le « publique » – ce qui est calomnieux – ; et l’on sait bien que les succès bruts affichés cachent l’inégalité des moyens et qu’à conditions (variées) équivalentes les résultats sont tout au plus les mêmes.
** « Ne pas rêver… Il faut être accueillant. On ne va pas vérifier le degré de catholicisme et de pratique religieuse des enseignants. (Mais) il y a (parmi ceux-ci) des jeunes qui viennent dans l’enseignement catholique parce qu’ils devinent qu’il y a un lien entre la tradition chrétienne et le travail d’éducation (supposé évidemment meilleur)… Je suis convaincu qu’ils peuvent devenir chrétiens en s’engageant ainsi ». Les contradictions apparaissent. Personne ne peut plus s’étonner que la majorité des enseignants « catholiques » ne le soient pas et surtout ne suivent pas les règles de l’Eglise : la société ne peut plus fournir. Mais la clientèle majoritaire n’en a cure. Pas plus d’ailleurs qu’elle ne tient vraiment à un enseignement religieux consistant, qui fait perdre du temps. On devine que Claude Dagens reste sceptique au fond sur la « conversion » possible des enseignants eux-mêmes (dire « j’en suis convaincu » ressemble trop à de l’autosuggestion). Et la plupart des enseignants titulaires tiennent à garder leur autonomie sur tous les plans, qu’on ne peut pas leur refuser.
** « Le travail d’éducation dans l’école catholique s’adresse à des jeunes qui n’ont ni racines, ni mémoire chrétiennes… On va leur donner la chance de devenir chrétiens et… peut-être leurs camarades, leur famille. » On retrouve l’argument missionnaire classique. L’Eglise, dit-on, ne peut pas se défaire de cette école. L’auteur rejoint sans réserve (presque mot-à-mot) les Instructions du Vatican (dernière en date, sept.2007) qui avaient déjà obligé les évêques français à y affirmer le caractère catholique de « tout l’enseignement » donné, dès le Statut de1992 (que certains d’entre eux d’ailleurs, ne trouvaient pas encore assez marqué : ex. Avignon, Carqueiranne). Mais on sait bien que l’on risque d’attenter à la loi Debré qui n’accepte le « caractère propre » des établissements conventionnés que sous réserve prévue d’une certaine discrétion. On a déjà vu que prétendre accueillir tout le monde et faire de l’école un lieu de « mission » est une gageure, sinon seulement une expression verbale.
On a d’ailleurs du mal à comprendre pourquoi l’Eglise officielle continue, ici et aujourd’hui, à proclamer qu’elle a une « mission » (un don de l’Esprit, une vocation) éducative générale – pas seulement catéchétique- et confessionnellement marquée : c’est faire croire que la formation du citoyen n’est jamais complètement valable sans elle et surtout que la conviction de foi est à mettre dans la même catégorie que l’esprit scientifique associé à l’enseignement. Il est toujours dangereux de mélanger les deux lignes : toute conviction philosophique, religieuse ou politique incarnée dans une structure collective risque de se croire au moins un degré au-dessus dans la vérité et de glisser peu à peu vers un exclusivisme paralysant (parfois inconscient ?) : l’histoire l’a montré.
Plus communément, notre Eglise doit, me semble-t-il, s’assimiler vraiment l’esprit même de la laïcité qui est aussi une vertu évangélique. Il ne suffit pas de ne pas exiger des privilèges, comme l’assure encore Claude Dagens, mais il faut aussi se refuser tous comportements ou structures communautaristes avec des droits spécifiques ; ne pas solliciter une reconnaissance publique auprès de l’Etat ; faire confiance à la force de la Parole et aux chrétiens de base : les encourager à vivre et travailler avec les autres, à tous niveaux et à tous les moments de l’existence, attentifs aux libertés, sans masquer leurs convictions mais sans tapage prosélytiste, comme le suggérait la Lettre. Cette intention est d’autant moins actuellement celle des officiels ecclésiaux que ceux-ci semblent affolés par la sécularisation accélérée et, en même temps, par l’empiétement galopant – avec parfois des moyens trop faciles qu’il serait indigne d’imiter – de groupes religieux « chrétiens » concurrents. Pourtant « la mission » peut être assurée, si on le veut sans réserve, dans la clarté, et l’Evangile entendu sans ambiguïté.
Jacques Haab