Ce texte nous est transmis par Gérard Warenghem qui le commente ainsi : « J’ai la chance et la joie de vivre sous le même toit que Jacques Gaillot. La joie de travailler avec lui et aussi, d’aller parfois avec lui ici ou là. Je partage complètement les observations et les sentiments d’Annie Arroyo (que je ne connais pas). Elle écrit avec un certain talent. Je vous envoie son compte rendu de voyage.
Ça vaut un conte de Noël, non ? »
Le 19 novembre dernier s’ouvrait à Holguín (Cuba) un Colloque International intitulé : « Libertad a la Verdad » (liberté pour la Vérité). Pas moins de 184 délégués représentant 42 pays avaient répondu présents à l’appel des organisateurs qui pour la 5° fois avaient mis sur pied un important programme de rencontres et de débats entre participants. Le thème de ce Colloque : soutenir et renforcer les efforts de la communauté internationale en faveur de la libération de cinq Cubains incarcérés depuis plus de 11 ans dans les prisons nord-américaines et condamnés à des peines invraisemblables pour avoir infiltré les réseaux terroristes de l’exil cubain qui, basés à Miami (Floride), tentent depuis 50 ans de renverser le régime en fomentant des attentats – on leur doit plus de 3000 morts et autant de personnes définitivement handicapées – contre leur patrie perdue.
Et, dans cette Tour de Babel des Caraïbes, un délégué pas comme les autres pour représenter la France : Monseigneur Jacques Gaillot, évêque de Partenia.
J’ai eu, pendant les quelques jours qu’a duré ce colloque, le plaisir de sa compagnie et l’honneur de lui servir d’interprète occasionnelle. Pendant cinq jours j’ai côtoyé celui que je ne connaissais que vaguement à travers quelques actions médiatisées et des échanges sur internet. En fait, ce sont les Cinq de Miami, ainsi que l’on appelle les cinq Cubains pour lesquels se tenait le colloque, qui nous ont réunis ! Dès qu’il a connu la terrible injustice dont sont victimes ces cinq patriotes cubains, Jacques Gaillot a prit fait et cause pour eux. Rien d’étonnant quand on sait que celui qu’on appelle parfois « l’évêque rouge » est de toutes les luttes où la justice et la fraternité sont en jeu !
Pas l’ombre d’un problème pour l’identifier à son arrivée, alors que je l’attendais, un peu impressionnée, dans le hall de l’hôtel où étaient logés la plupart des délégués : monseigneur Gaillot a les yeux aussi bleus que le ciel de Cuba ! Et avec ça, une innocence évidente qui fait dire qu’il n’y a pas une once de méchanceté dans cet homme. J’ai bien dit : de méchanceté, car en ce qui concerne la malice…
Pendant les cinq jours qu’a duré le colloque, nous avons vécu ensemble les grands et les petits moments de cette V° assemblée, comme de vieux amis. Et les souvenirs foisonnent !
L’émotion des rencontres avec les familles des prisonniers ou avec des responsables de la solidarité, tous émus de saluer cet homme simple et affable qui leur apportait son soutien inconditionnel et fraternel… Les interviews des journalistes pour lesquelles, un peu gêné à l’idée de me déranger, il sollicitait discrètement mes services… La réception dans le municipio Calixto Garcia où Monseigneur s’avançait souriant vers les gens du village, arborant avec une dignité et une simplicité naturelles un chapeau ranchero un peu petit pour lui… Le moment où, devant Ricardo Alarcón et toute l’assemblée, je l’ai appelé au micro en disant toute ma fierté de le présenter, et où Jacques Gaillot, chaleureusement applaudi par l’assistance a expliqué le pourquoi de son engagement aux côtés des Cinq et de la solidarité (après quoi, il m’a glissé, mine de rien : « Vous m’avez bien eu ! »)… Sans parler de toutes les fois où, pénétrée de ma « mission » de veiller sur le saint homme, je le cherchais alors qu’il allait sans souci à travers ce territoire nouveau pour lui qu’est Cuba ! Car il était heureux comme un poisson dans l’eau, Monseigneur ! Pas le moins du monde inquiet du fait qu’il ne parle guère la langue de Cervantès! Les camarades du Colloque me disaient : « ¿Perdiste a tu obispo?» (tu as perdu ton évêque ?) et il y en avait toujours un pour me le retrouver. Alors l’ami Jacques me disait, un brin moqueur : « Mais voyons, Annie, je ne peux pas me perdre, Cuba est une île, non ? »
Car Jacques Gaillot, en dépit de ses yeux innocents et de son sourire débonnaire, a un sens de l’humour développé. J’ai pu le constater à plusieurs reprises ! Par exemple, lors de la clôture du Colloque, alors qu’une bonne partie des assistants s’était éclipsée et que le discours d’Alarcon durait et durait. La fatigue nous gagnait malgré nos efforts. Il faut dire que la chaleur n’arrangeait pas les choses ! Monseigneur se pencha alors vers moi en murmurant : « C’est bien long ! Mes sermons durent bien moins longtemps ! ».
Un autre exemple que je ne suis pas prête à oublier, c’est la messe dominicale que l’évêque de Holguín l’avait invité à concélébrer dans la cathédrale ! Comme il fallait ensuite qu’il rejoigne les troupes pour une activité à plusieurs kilomètres de là, je m’étais proposée pour l’accompagner, et je crois qu’il n’en avait pas été mécontent… Ce qui ne l’avait pas empêché de clamer à la ronde que « un miracle allait se produire, Annie allait assister à la messe» ! Et d’arborer un sourire innocent quand je protestais devant ces déclarations qui en règle générale déclenchaient l’hilarité ! Enfin, la messe arriva. J’attendais sagement assise sur un banc, encadrée par David, le responsable local des questions religieuses, et deux petits frères des pauvres français que la messe soit dite, en écoutant les psaumes rythmés par des maracas. Soudain, David se pencha et me murmura : « Je crois que ton évêque t’appelle ». Incrédule (« Moi ? Pendant la messe ? Pour quoi faire? »), je regardai vers l’autel: Monseigneur, superbe dans son aube blanche brodée d’un palmier, me faisait des deux mains le signe de le rejoindre ! J’avoue avoir pensé avec une pointe d’inquiétude : « Il a un problème ! » et je me suis avancée le plus discrètement possible jusqu’au chœur de la cathédrale par le bas-côté. Là, on me dit que monseigneur souhaitait que je traduise les paroles qu’il allait prononcer pour l’assistance. Eberluée, j’ai regardé mon évêque : il était épanoui, avec un sourire jusqu’aux oreilles qui disait : « Je vous ai bien eue, moi aussi !! ». C’est comme ça que je me suis retrouvée devant le maître autel de la cathédrale de Holguín, en train de traduire le message de paix que l’Evêque de Partenia adressait aux Cubains… Des mots simples, emplis de toute la tendresse que cet homme éprouve pour l’humanité qui souffre et qui se bat. Sa présence à Cuba ? C’est une première visite, un rêve de jeunesse, et il s’y sent bien, comme en famille. Pourquoi il est venu à ce Colloque ? Parce qu’il soutient les Cinq Cubains injustement prisonniers de l’Empire. Pourquoi il soutient les Cinq ? Par humanité, parce que tous les hommes qui souffrent sont ses frères et parce que c’est là son devoir et notre devoir. Et quand il a ajouté en conclusion qu’il promettait de revenir à Cuba, et que ce serait la fête parce que les Cinq seraient de retour, l’assistance l’a applaudi à tout rompre!
J’étais très fière de « mon » évêque, au point de lui pardonner le tour qu’il m’avait joué ! Et ce malgré le fait que les braves gens de la cathédrale, enthousiasmés par cet évêque français si gentil, ne pouvant l’approcher (il avait filé à la sacristie avec son collègue) se sont rabattus sur moi, me confiant leurs problèmes et me caressant les bras, comme si j’étais un ersatz d’évêque… Ils ne m’ont quand même pas prise pour une bonne sœur? Heureusement, l’ami Jacques est venu à la rescousse, mon petit sac à la main !
C’est quelques heures plus tard que j’ai cru brièvement avoir perdu son estime. Nous avions déjeuné à l’ombre d’une ceiba gigantesque et je prenais quelques photos en papotant avec Tonito, le fils de Tony Guerrero, pendant que Monseigneur discutait avec Mirta (ça, pour le coup, c’est un miracle : la maman de Tony ne parle pas plus français que Jacques ne parle espagnol, et pourtant ils se comprennent !) lorsque le responsable local nous a montré entre les racines de la ceiba une sorte de niche naturelle où les gens mettaient des pièces et des billets. «Tu fais un vœu, me dit-il, et si tu mets de l’argent, ton vœu se réalisera! ». Je ne crois guère à la santeria, mais au point où j’en étais, après avoir assisté à une messe… J’ai pris discrètement un billet et au moment où je le glissais dans le réceptacle en faisant un vœu, une voix connue et courroucée s’écria : « Ah, vous, vous m’aurez tout fait !! ». C’était monseigneur ! Un peu penaude, je l’ai vu s’éloigner, riant sous cape, de l’air le plus digne qu’il pouvait, tandis que Tonito s’étranglait de rire (tout en glissant lui aussi un billet ! Sans doute le même vœu…). Heureusement, monseigneur ne m’en a pas tenu rigueur.
Croire que nous avons passé notre temps en gamineries serait une erreur : nous avons eu des discussions sérieuses et parfois même passionnées. Nous avons parlé de cet évêché de Partenia, un diocèse qui n’existe plus depuis 1500 ans et que la hiérarchie catholique lui a donné en lieu et place de son évêché d’Evreux, il y a 13 ans, et qui fait qu’il est «évêque autrement », lui donnant involontairement une liberté d’action et de parole qu’il apprécie. J’ai même osé lui demander comment, après avoir côtoyé tant et tant de misères, il pouvait continuer à croire en l’humanité et en Dieu… « Parce que Dieu nous aime, il nous donne la liberté de choisir notre destin. L’amour de Dieu est ce qui garantit notre liberté de nous assumer ».
Bienheureux les monseigneurs qui savent encore poser sur les hommes un regard plein d’une candide tendresse !
On ne pourrait pas cloner monseigneur Jacques Gaillot ?
source : http://partenia2000.over-blog.com/article-jacques-gaillot-et-les-cinq-cubains-de-miami-40130230.html
Voir aussi : http://www.granma.cu/frances/cinco.html
Rejoignons tous les amis qui œuvrent pour la libération des Cinq.
Et que dit notre ami Jacques sur la liberté d’expression à Cuba et le contrôle des opposants politiques ?
Voir ce qu’en dit Amnesty International:
http://www.amnesty.org/fr/region/cuba
et notamment:
http://www.amnesty.org/fr/news-and-updates/news/six-years-prison-cuba-57-activists-supporters-face-ongoing-harassment-20090318
Extrait:
” Six années en prison pour 57 militants à Cuba : leurs sympathisants font l’objet d’un harcèlement persistant
Des membres de l’organisation des Femmes en blanc, assises à l’entrée de l’église catholique de Santa Rita à la Havane (Cuba), le 20 mars 2005.
Des membres de l’organisation des Femmes en blanc, assises à l’entrée de l’église catholique de Santa Rita à la Havane (Cuba), le 20 mars 2005.
18 mars 2009
Des militants des droits humains commémorant les six ans derrière les barreaux de 57 personnes incarcérées pour avoir fait l’exercice de leur droit à la liberté d’expression et d’association font l’objet de manœuvres de harcèlement continues. Ceux qui prévoyaient de participer à l’action organisée à l’occasion de l’anniversaire de leur arrestation, le 18 mars, ont été particulièrement pris pour cible.
Par le passé, les autorités cubaines ont empêché d’agir des personnes prenant part à ce type de manifestation – les forçant à monter à bord d’un bus et les ramenant chez elles, sans pour autant les arrêter. Amnesty International a fait part de sa crainte que cela puisse se produire mercredi.
L’organisation a engagé le gouvernement cubain à relâcher immédiatement les 57 personnes arrêtées en mars 2003 dans le cadre d’une vague de répression visant les militants politiques et les défenseurs des droits humains à Cuba. Elle les considère comme des prisonniers d’opinion.”