Contre le réchauffement climatique, l’heure n’est plus au consensus mou, par Christiane Taubira
Certains ont la gueule de bois. Ceux-là ont sous-estimé la puissance du Congrès américain et sa capacité d’entrave aux élans d’Obama. D’autres font contre mauvaise fortune bon coeur, notant que la Chine, gros émetteur collectif de gaz à effet de serre, a déclaré avec emphase ne pas vouloir émarger à l’aide au Sud. Certains parviennent à faire bonne figure. Ceux-là sont les candides, les naïfs, les soeurs Sourire, transportés par les discours grandiloquents des maîtres de la Terre, y compris ceux qui, encore porteurs de titres nobiliaires d’un univers ancien, ont pris la peine de proclamer leur souci des générations futures.
Où peut nous mener ce consensus mielleux sur les intentions, qui laisse croire que, réchauffement mis à part, le monde est tranquille ? Quel oiseux bavardage que celui qui, dans la même phrase, laisse entendre que l’on peut gentiment prescrire l’arrêt de la déforestation et promettre la sécurité alimentaire ! Dans les pays tropicaux, toute nouvelle parcelle pour nourrir une nouvelle famille, une nouvelle concession, un nouveau village, est clairière percée dans la forêt.
Quant à ces immensités, neutralisées par les mines antipersonnel et les bombes à sous-munitions, qui privent les paysans d’Asie du Sud-Est et d’Afrique de colossales possibilités de cultures, elles rappellent une ligne de fracture Nord-Sud entre la production industrielle de ces armes du pauvre et les lieux de leur dissémination.
Non, on ne fait pas un monde juste avec de beaux sentiments. Le souci exhibitionniste proféré à l’endroit des générations futures dissimule mal les tenaces égoïsmes présents. Tant que ceux qui président aux désordres du monde ruseront en fragmentant les problèmes, nous vivrons sur une poudrière. Le seul succès à Copenhague, c’est la fin du consensus sirupeux, des unanimismes verbeux, des masques institutionnels, des faux-fuyants élégants. La seule victoire souhaitable, c’est le surgissement de la pluralité et de la complexité du monde, l’obligation de le penser tel qu’il est et tel qu’il transmue, le courage de s’affronter. Sous la question climatique grouille un enjeu éminemment politique.
Compromis boiteux
La France pouvait-elle faire mieux que tonitruer à la veille du dernier jour ? S’il est un lieu au monde où le slogan de la décennie 1990, “penser globalement et agir localement”, conserve une stridente résonance, c’est en Guyane. Huit millions d’hectares de forêt amazonienne – ces rainforests si chères au prince Charles d’Angleterre -, qui constituent un estimable segment du poumon du monde. Mais aussi un concentré des contradictions forgées sous l’ère coloniale : un taux de chômage du Sud (30 % en incluant le précaire et l’informel, 55 % chez les jeunes) ; un mode de vie du Nord.
A Rio de Janeiro, le seul engagement substantiel de la France fut la création d’un parc dans sa part d’Amazonie, même si elle prit quinze ans pour aboutir. C’est qu’elle avait songé à sa propriété, mais avait négligé les hommes qui y vivent. Aujourd’hui, ce parc rayonne sur 40 % du territoire et ses ressources génétiques, ces matières premières du XXIe siècle ; il ne réserve aux Guyanais que les métiers subalternes. A Kyoto, et pour son bien, la France a inclus l’Amazonie guyanaise dans son bilan carbone, même si elle échoue toujours à éradiquer l’orpaillage clandestin qui sévit au sein de ce parc modèle.
Avec sa géographie déboussolée et sa sociologie imprévue, la Guyane oblige à penser la complexité. Comment frayer entre le Sud simplifié et réduit à l’indigence de masse, le Nord rétréci au gaspillage, ses pauvres, ses exclus devenus invisibles, et les émergents instables, entre puissants et opprimés, par morale d’ambition autant que par nécessité de survie ? Les premiers ont droit au développement, à condition d’être sobres. Les deuxièmes ont droit aux sermons et aux écrouelles. Les derniers naviguent entre la souveraineté à la mode du XIXe siècle et l’urgence de caracoler pour conjurer le retour en deuxième division.
Pour avoir choisi d’escamoter la complexité du défi lancé par l’exigence d’un développement vertueux en Guyane, la France a contribué à la confusion que nous voyons poindre depuis plusieurs mois. Le chef de l’Etat français a appelé, en vain, à un texte de compromis. Voilà ce qu’il en coûte de mener le monde à coups de compromis boiteux. Le glas du multilatéralisme sonna le jour où, pour éviter de se fâcher, l’on instaura la fâcheuse habitude du consensus à la place du vote à l’Organisation des Nations unies (ONU), lieu où l’on ne s’entend plus, à force de s’entendre. Depuis, la violence cannibalise le conflit.
Pour tenir tête à la mondialisation mortifère des acquiescements sournois, une seule issue, la relation, la controverse, la dispute. Tenter, comme dit Edouard Glissant, le vertige de la “mondialité”.
Auteur : Christiane Taubira, députée de Guyane.
Source : Le Monde, édition du 23.12.09