L’universalité du Salut, par Raymond Gravel
L’Épiphanie qui signifie dévoilement, manifestation de Dieu aux humains, est la deuxième fête de Noël. Cette fête nous dit l’universalité du salut : le sauveur n’est pas réservé aux seuls Juifs ! Invitation à la modestie de nos certitudes : nul n’est détenteur de Dieu. Invitation au respect des différences : le salut s’inscrit dans toutes les cultures pour tous les humains. Invitation à être attentifs aux surprises de l’Esprit : Dieu est au-delà de toutes prévisions. La science de l’astrologie côtoie la culture religieuse biblique ; Jérusalem, ville lumière est remplacée par la bourgade de Bethléem et le Messie est accueilli par ceux qui n’y étaient pas naturellement disposés et rejetés par ceux qui y étaient prédisposés. Qu’en est-il aujourd’hui ? Laissons les textes bibliques nous inspirer !
1. La foi : une certitude ou une espérance ? Ce qui a toujours nui à la foi, c’est la certitude de ceux qui croient détenir la vérité sur Dieu et sur le monde. Combien de souffrances infligées aux personnes à cause de ces fausses certitudes ? Combien d’illusions prises pour des réalités? Combien de condamnations et d’exclusions au nom d’une pseudo-vérité? Il me semble que les textes bibliques de cette fête nous apprennent que la foi n’est jamais une certitude, mais un chemin d’espérance qu’il nous faut emprunter à chaque jour, sans savoir où il nous conduira.
N’est-ce pas l’invitation du prophète Isaïe (le 3ème Isaïe), qui, après les grandes déceptions du retour d’Exil, tente à nouveau de redonner au peuple juif demeuré fidèle au Dieu d’Israël, une petite lueur d’espérance, à la condition qu’il s’ouvre à l’universalité de la lumière du Seigneur qui se lève sur Jérusalem : « Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore » (Is 60,3). Il est terminé le temps de l’élitisme, de la fermeture sur soi… Il faut s’ouvrir au monde, car Dieu n’est pas réservé à quelques-uns ; sa lumière éclaire toute l’humanité.
Imaginez : ce texte écrit au 6ème siècle avant le Christ ne s’est toujours pas réalisé. Combien de religions encore aujourd’hui ont pris la relève du peuple d’Israël au temps d’Isaïe, et ont la certitude d’être dans la vérité ? Elles se pensent propriétaires de Dieu ! Combien de guerres, de conflits et de massacres ont été et sont encore provoqués par l’intégrisme religieux qui possède la vérité ? Et pourtant, si la foi n’était qu’une espérance, elle s’ouvrirait nécessairement à l’autre, à l’étranger, à l’inconnu, à l’inattendu… Sa seule certitude serait de croire que demain ne peut être que mieux qu’aujourd’hui, car lorsqu’on marche ensemble sur le chemin de l’espérance, on ne peut qu’avancer.
2. La foi exige le respect de nos différences. Dans sa lettre aux Éphésiens, dans l’extrait que nous avons aujourd’hui, saint Paul parle du mystère du Christ, que sa foi lui a fait découvrir : le salut de Dieu s’inscrit dans toutes les cultures pour tous les humains : « Ce mystère, c’est que les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile » (Ép 3,6). Qu’en est-il aujourd’hui dans notre Église ? Qui sont ces nouveaux païens que l’on rejette, exclut, condamne ? Dans un sketch humoristique de fin d’année à la radio de Radio Canada, l’humoriste Pierre Verville, imitant l’archevêque de Montréal, le cardinal Jean-Claude Turcotte, offrait ses meilleurs vœux à l’occasion de la nouvelle année à tous… sauf aux divorcés, aux mères non mariées, aux homosexuels, aux médecins qui pratiquent l’avortement, aux enfants non baptisés, aux personnes qui croient à la théorie de l’évolution, à ceux qui portent le condom, aux femmes qui prennent la pilule… mais à tous les autres, s’il en reste… Bonne et Heureuse Année 2010 ! On peut bien dire qu’il s’agit d’une caricature sarcastique et exagérée, mais la caricature amplifie simplement la réalité. Ce qui veut dire que comme Église, nous avons une côte à remonter pour devenir un modèle d’ouverture, d’accueil et de respect de l’autre. Et pourtant, l’évangile nous interpelle drôlement en ce sens…
3. La foi est déstabilisante. Dans l’évangile d’aujourd’hui, dans ce récit que seul Matthieu nous raconte, on peut vraiment dire que la foi est plutôt déstabilisante : des étrangers, des mages, des astrologues, à la recherche du Messie de Dieu, se mettent en route puisqu’ils ont vu son étoile. Ils s’arrêtent à Jérusalem, la ville lumière par excellence où résident le roi Hérode et les grands spécialistes de la Bible, de la religion. Hérode ne voit rien, trop encombré et aveuglé par son pouvoir; il ne bouge pas. Quant aux prêtres et aux spécialistes des Écritures, ils en savent beaucoup trop pour être capables de voir une étoile ; eux non plus, ne bougent pas. Seuls les étrangers, les mages, sont à l’écoute de la parole du prophète Michée que Matthieu nous rapporte : « Et toi Bethléem en Judée, tu n’es certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Judée ; car de toi sortira un chef, qui sera le berger d’Israël mon peuple » (Mt 2,6), et ils sont attentifs aux signes des temps et poursuivent leur chemin, leur cheminement…
Reprenant la route en direction de Bethléem, ils revoient l’étoile qui les précédait. C’est alors qu’ils devinrent croyants : « Quand ils virent l’étoile, ils éprouvèrent une très grande joie » (Mt 2,10). La même joie que les femmes ont éprouvée au matin de Pâques, lorsqu’elles se rendent au cimetière pour découvrir que le Christ est vivant. Elles se mirent en route aussitôt : « Quittant vite le tombeau, avec crainte et grande joie, elles coururent porter la nouvelle à ses disciples » (Mt 28,8). De même, les mages, transformés par la joie pascale : « Ils regagnèrent leur pays par un autre chemin » (Mt 2,12), non pas le chemin de la religion tracé d’avance, mais un chemin nouveau, un chemin d’espérance…
En terminant, le théologien français Louis Sintas écrit : « Certes, il faut maintenir courageusement que, sans la prophétie d’Israël, la longue marche des mages n’aurait pas abouti. Mais sans leur propre étoile, ils ne se seraient jamais mis en marche… Mais comment renouveler le visage de notre Église, afin que ceux qui nous voient de l’extérieur, sans être des nôtres, trouvent en notre foi l’accomplissement du meilleur d’eux-mêmes et non plus un jugement sévère par lequel notre suffisance a toujours tendance à condamner leurs erreurs ? Comment retrouver cette simplicité de cœur qui nous permettrait de puiser chez les autres un peu de leur générosité et de leur courage pour exorciser cette tentation permanente de nantis qui nous pousse à étouffer et à tuer notre Sauveur pour avoir voulu le monopoliser et le posséder ? Quel dommage si tant de personnes sincères, plutôt que d’entrer dans nos manières de servir Dieu, préfèrent, comme les mages, et sous l’inspiration d’en-haut, retourner chez eux par un autre chemin que les nôtres ». J’ajouterais, le problème n’est pas de leur côté, mais du nôtre…
Épiphanie du Seigneur (C) : 3 janvier 2010
Réf. Bibliques : 1ère lecture (Is 60,1-6) ; 2ème lecture (Ép 3,2-3a.5-6) ; Évangile (Mt 2,1-12)
Source : Culture et Foi