Paris réticent face à l’élimination de l’arme nucléaire
Partie des Etats-Unis, la campagne internationale “Global Zero” pour l’élimination de l’arme nucléaire à l’horizon 2030, lancée en 2008 et soutenant l’un des objectifs majeurs de la diplomatie de Barack Obama, le désarmement nucléaire, vient promouvoir son message à Paris. Une conférence de trois jours devait s’ouvrir, mardi 2 février, dans un grand hôtel de la capitale.
Entre jet-set et experts des questions stratégiques, “Global Zero” présente comme têtes d’affiche la reine de Jordanie, l’acteur Michael Douglas, l’ancien secrétaire d’Etat de Ronald Reagan, George Schultz. Ce dernier avait signé en 2007 un texte fondateur du mouvement, aux côtés notamment d’Henry Kissinger, pour un “monde libre d’armes nucléaires”.
Côté français, “Global Zero” a été rejoint par Jacques Attali et Michel Rocard. Alain Juppé et le général Norlain, qui cosignaient en octobre 2009 une tribune dans Le Monde appelant la France à s’engager “résolument” pour “le processus de désarmement”, ont manifesté de l’intérêt. Ce sont là des exceptions dans le contexte français. Car “Global Zero” est accueilli sans le moindre enthousiasme par les dirigeants français. La dissuasion nucléaire, estiment-ils, garde toute sa pertinence dans un contexte stratégique mondial lourd d’incertitudes.
Surtout, Paris conteste l’idée, mise en avant par les militants pour l’abolition et l’équipe Obama, que le désarmement des grandes puissances puisse avoir une incidence sur le problème de la prolifération nucléaire : elle n’aurait aucune vertu pédagogique sur les choix de l’Iran.
Les responsables français préfèrent prôner une approche axée sur des étapes concrètes : la ratification par tous les Etats (à commencer par les Etats-Unis) du traité d’interdiction complète des essais nucléaires (CTBT), ou encore la conclusion d’un traité sur l’interdiction de production de matière fissile. La France, sur ce plan, se considère irréprochable.
Le débat pèse sur la relation bilatérale entre la France et les Etats-Unis, alors qu’approchent des échéances importantes : le sommet sur la sûreté nucléaire convoqué en avril à New York par Barack Obama, suivi, en mai, par la conférence d’examen du traité de non-prolifération nucléaire (TNP) de 1968, clé de voûte de l’ordre mondial en matière nucléaire, qui a été affaibli par le phénomène de la prolifération.
Le 5 avril 2009, lors d’un discours à Prague, Barack Obama avait proclamé l’objectif d’un “monde sans armes nucléaires”, même s’il ajoutait que cela n’adviendrait “peut-être pas de (son) vivant”. Face à ce slogan, la France est apparue plus réticente que d’autres pays du “club” nucléaire, même si l’attitude du Royaume-Uni, qui débat de la modernisation de sa force de frappe, n’est pas sans ambiguïté. Tandis que la Chine accroît son arsenal, et que la Russie aurait du mal à aller jusqu’au bout d’un désarmement nucléaire complet qui la laisserait très désavantagée au plan des armements conventionnels.
L’écart entre la France et les Etats-Unis était criant lors des négociations précédant l’adoption par le Conseil de sécurité de l’ONU, le 24 septembre 2009, de la résolution 1887 voulue par Barack Obama. Tout en votant ce texte visant à “créer les conditions d’un monde sans armes nucléaires”, Nicolas Sarkozy avait laissé éclater ses réserves : “Nous vivons dans le monde réel, pas le monde virtuel !” A la conférence “Global Zero” à Paris, les Etats-Unis devaient être représentés par la sous-secrétaire d’Etat Ellen Tauscher, et la France par Pierre Sellal, le secrétaire général du Quai d’Orsay.
Différente de “Global Zero”, une campagne, menée par les anciens ministres des affaires étrangères autralien et japonais, Gareth Evans et Yoriko Kawaguchi, met également Paris sous pression. Elle prône l’élimination de 90 % des arsenaux américain et russe d’ici à 2025, et la non-augmentation, à la même échéance, des arsenaux des autres pays. La bombe atomique française aura, le 13 février prochain, cinquante ans. “La position française”, commente Richard Burt, ancien membre des administrations Reagan et Bush père, devenu un des artisans de “Global Zero”, “repose sur une tradition gaullienne, une notion de son importance dans le monde. C’est presque psychologique. Cela pourra évoluer avec le temps, si nous trouvons le moyen de multilatéraliser l’effort, en ralliant les Russes et les Chinois”. Ce qui semble loin d’être acquis.
Auteur : Natalie Nougayrède
Source : Le Monde, édition du 03.02.10