Cet article est extrait du numéro 5 de La lettre d’information des Réseaux des Parvis qui vient de paraître.
Ma génération a vécu avec la conscience que chacun(e) devait être considéré comme coresponsable de ce qui arrivait. De même qu’elle a demandé à la génération de ses parents avec pertinence : pourquoi n’y a-t-il pas eu plus de résistance contre les atrocités du national-socialisme ?, nos enfants vont nous demander : qu’est-ce que vous avez fait pour éviter que le monde soit détruit par un conflit nucléaire ? Qu’est-ce que vous avez fait contre la faim dans le monde ? Ou aussi : pourquoi ne vous êtes-vous pas engagés davantage contre la catastrophe du climat ?
En 1979 à Francfort-sur-le-Main, quand j’y suis retourné après cinq ans de travail au Lycée Allemand d’Istanbul, un groupe assez hétérogène de gauchistes de toutes tendances (des environnementalistes et des pacifistes, des féministes et des adhérents au « Müsli », comme nous disions) discutait sur la fondation d’un parti vert. À cette époque, le scénario d’un conflit nucléaire entre l’Est et l’Ouest semblait assez probable. Pour moi, comme père de deux enfants de 8 et 10 ans, c’était insupportable de rester immobile vis-à-vis d’un tel danger. C’est pour cela que je me suis décidé dans ma conscience de chrétien à lutter contre le parti qui portait le mot Chrétien dans son nom (Christlich-Demokratische Union), parce qu’il souhaitait l’armement nucléaire pour décourager l’ennemi (en accord avec la hiérarchie de l’église catholique allemande), et en mai 1980 j’ai été élu au conseil de ma commune, tout simplement parce que j’étais le seul membre du nouveau parti de toute la commune.
Aujourd’hui, après la dissolution de l’Union Soviétique, un conflit nucléaire en Europe ne me semble pas très probable, et je trouve assez étonnant (et positif) que le nouveau ministre allemand des Affaires Étrangères demande que les dernières armes nucléaires de l’armée des États-Unis soient retirées d’Allemagne (20 bombes ayant la force de 150 bombes d’Hiroshima). Le journal de mon diocèse a rapporté en juillet que le cardinal écossais Keith O’Brien se déclarait pour un renoncement de la Grande-Bretagne à l’armement nucléaire. La menace de le posséder et d’y avoir recours était déjà en soi immorale. Faire la guerre contre l’Irak avec l’intention déclarée que l’on veut empêcher l’extension des armes nucléaires en en possédant soi-même rend cette excuse impossible (Der Sonntag, 12 juillet 2009). Cela m’intéresse de savoir ce que vous en pensez en tant que Français. La force de frappe représente encore 348 bombes nucléaires (chiffre de 2008 – en comparaison, la GrandeBretagne en possède environ 160).
A présent la menace la plus grande pour le monde entier est le changement climatique. Mais pour pas mal de gens, d’autre problèmes sont encore plus proches. Un milliard d’enfants, de femmes et d’hommes n’ont pas assez à manger. Chaque jour 17 000 enfants crèvent de faim ! Dans nos sociétés, le chômage et les conflits avec des sociétés parallèles causent la peur de l’avenir. En Allemagne on discute aussi beaucoup du vieillissement de la population.
Je dois vous décevoir si vous attendez de moi un discours scientifique sur la nécessité de l’écologie pour l’avenir, ou un rapport sur une carrière de politicien écologiste. Même si je suis membre du parti vert allemand depuis presque trente ans – avec une interruption que je vais expliquer -, à l’exception d’un très petit mandat pour les verts dans les premières années de la fondation du parti, je n’ai toujours été qu’un simple membre du parti. Assez récemment on m’a nommé porte-parole de la section locale des verts d’Eschborn où j’habite. Malgré tout, j’espère que mon témoignage, mes observations et mes décisions pourront être d’un certain intérêt pour vous. J’ai vu d’assez près le début des carrières de Joschka Fischer et Daniel Cohn-Bendit après leur entrée dans le parti. En même temps, il ne faut pas oublier que le parti vert n’a jamais été le seul agent du mouvement écologique (je pense aussi aux mouvements pacifiste et antinucléaire, Greenpeace, IPPNW, WWF, les fermiers écologistes etc.), mais il a quand même pas mal contribué à faire avancer les choses.
Au départ, les Verts se voyaient comme un anti-parti. Le système, qui était fondé sur les armes nucléaires, l’engagement militaire et un usage non mesurable de l’énergie nucléaire, était considéré comme non réformable. La différence décisive vis-à-vis des autres organisations « anti » était le refus de la violence. La police nous voyait défiler avec le bloc noir anarchiste, et nous battait comme le reste. Pour moi, le système parlementaire n’a jamais été un adversaire, mais une chance. Une fois, j’ai été le seul et le premier des Verts de Francfort à voter pour une coalition avec le parti social-démocrate – on m’a regardé comme si je venais d’une autre planète (bien sûr, les autres partis étaient encore plus impensables). Les représentants verts avaient pour seule fonction de porter les protestations dans les lieux de décision. Je me rappelle l’entrée de la première fraction des verts dans la mairie de Francfort, vêtus de blanc comme des médecins, et avec des masques à gaz, ou l’action d’un parlementaire vert de Hesse qui a attaqué un général américain avec du sang. Les Verts voulaient être le bras parlementaire de l’opposition hors parlementaire, qui voulait changer la politique par la mobilisation de la société civile. Pour cela, ses représentants devaient rester proches de leur base et devaient promettre de se retirer après la moitié de leur mandat électoral et être remplacés. Je trouvais cette opposition absolue si absurde que j’ai déclaré une fois, avant une élection, que j’allais voter pour les sociaux-démocrates, et on m’a bien sûr jeté dehors – pour m’accepter une nouvelle fois, plus tard, quand les majorité avaient changé. Tout a été bouleversé par l’entrée en scène massive des Realos, des Sponti vers 1983, dont les plus connus (en France aussi) étaient Joschka Fischer et Dany Cohn-Bendit. La plupart des fondamentalistes n’ont pas supporté leur défaite et ont quitté le parti. Même si j’étais leur adversaire, je regrette qu’ils n’aient plus contribué à la discussion interne.
Ils ont continué comme une petite secte politique sans aucune influence. Comme vous le savez certainement, Joschka Fischer est devenu par la suite ‘le premier ministre vert (de l’Environnement) dans une coalition rouge-verte dans la Hesse et, plus tard, ministre des Affaires étrangères sous le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder. Une petite section très engagée des Verts était venue au tout début des rangs des deux grandes Églises, elle comptait entre autres un assez grand nombre de pasteurs protestants. Les catholiques étaient plus rares. Pour le cardinal Höffner, de Cologne, les Verts n’étaient pas éligibles par des catholiques, ainsi qu’il l’a déclaré ex cathedra, notamment parce que les Verts voulaient la dépénalisation de l’avortement. Une de mes performances les plus intéressantes a été, sur l’invitation de l’équipe des étudiants de l’École Supérieure de Théologie (jésuite) St. Georgen à Francfort, de diriger un atelier avec le titre Les évêques catholiques ne sont pas éligibles par les Verts (avec le sens qu’ils n’ont aucune légitimité démocratique). Mon groupe rassemblait le plus grand nombre de participant(e)s. Dans la question des avortements, j’expliquais, position que je garde, que la pénalisation des avortements va rarement les empêcher (à l’époque on parlait du tourisme d’avortement vers les Pays-Bas), mais que, au contraire, on peut encourager les femmes en situation de conflit à consulter et que les informations sur les assistances possibles peuvent encourager des femmes à garder l’enfant. Un tel compromis a eu lieu entre les Églises et le gouvernement en Allemagne et a eu force de loi en 1995. En 1999, les évêques allemands ont été obligés par le Vatican de ne plus coopérer avec l’État et de ne plus donner des certificats de consultation qui sont la condition pour qu’un avortement reste impuni. Le résultat a été qu’un grand nombre de femmes ne venait plus aux centres catholiques. Pour assurer la consultation qui avait donné de bons résultats partout en Allemagne, des centres de consultation ont été fondés par des femmes et hommes catholiques indépendants de la hiérarchie. Suivant l’exemple de l’organisation Frauenwürde (dignité des femmes) de Nous sommes Église, l’organisation officielle laïque Zentralkomitee der Deutschen Katholiken a fondé une grande organisation, Donum Vitae, avec l’ancienne présidente Rita Waschbüsch à sa tête (le conflit continue : une fraction des évêques a empêché le ZDK d’élire le seul candidat pour la présidence parce qu’il était parmi les fondateurs de Donum Vitae. Le nouveau candidat accepté a déclaré qu’il allait quitter Donum Vitae pour la période de sa présidence).
Comme vous le voyez, le projet vert a été depuis le début beaucoup plus que l’engagement pour des énergies renouvelables, pour des bâtiments et une agriculture écologiques et pour des produits alimentaires naturels… Les Verts étaient aussi radicalement pacifistes, et il faut admettre que beaucoup de Verts de la première heure ont quitté le parti quand les dirigeants autour de Joschka Fischer – avec le choc du massacre de 8000 Bosniaques à Srebrenica – ont commencé à justifier l’emploi de la force militaire dans certaines situations. Les Verts sont accusés d’être non crédibles parce que la majorité de leurs parlementaires sont favorables à la présence de soldats allemands en Afghanistan, alors qu’ils étaient strictement contre « l’aventure » de la guerre en Irak.
Un autre point essentiel a été dès le début la justice du genre. Chaque place impaire sur les listes d’élection est réservée à une femme. Cela veut dire que la première place est toujours pour une femme. Dans la nouvelle fraction du parlement allemand, les femmes sont en majorité (à la différence des autres partis !). Les Verts étaient aussi à l’avant-garde pour l’intégration des migrants (le secrétaire général est d’origine turque, le successeur de Joschka Fischer au Parlement vient d’Iran… ), pour la défense du droit d’asile et pour mettre fin à la discrimination des homosexuel(le)s. L’Église catholique a encore des problèmes sur ce dernier point, mais l’Église protestante a récemment élu une Verte comme présidente de son parlement (Synode). Seulement l’évêque Margot Käfsmann, élue il y a peu présidente de l’EKD (Union des Églises protestantes d’Allemagne) est supérieure. Elle a aussi souvent des positions très proches des Verts.
Comment être chrétien a-t-il influencé mes décisions politiques ?
Ma pensée a toujours été que Jésus était du côté des exclus, des sans pouvoir, mais qu’il a discuté avec tout le monde, et volontairement avec ses adversaires. Deuxièmement, que tout être humain est fait à l’image de Dieu, et troisièmement, que la création nous est donnée pour la garder.
J’ai constamment essayé de reprendre les chrétiens-démocrates locaux pour leur prétention chrétienne.
Pour moi, mes adversaires politiques étaient et sont toujours des interlocuteurs importants, et je garde la conviction que des arguments peuvent amener un changement d’opinion. Et c’est vrai. Les convictions partagées dans de petites minorités en marge de la société et de l’Église sont devenues majoritaires, au moins verbalement. Tous les partis établis veulent sauver le climat. Tout le monde est pour les énergies renouvelables. Même l’emploi de l’énergie nucléaire est déclaré provisoire, sur le chemin d’un futur durable.
Je pense que nous sommes aussi sollicités individuellement pour prendre des décisions. Je veux citer – pour terminer mon intervention – quelques notions contradictoires que j’ai trouvées dans une brochure de l’atelier des Chrétiennes et Chrétiens chez les Verts :
Justice / Exploitation.
Respect pour la création / Destruction de la nature.
Cohabitation pacifique / Guerre.
Modestie économique / Croissance déraisonnable.
Commerce responsable / Prodigalité.
GERD WlLD [Allemagne]
Initiative des droits des chrétiens dans l’Eglise
Cofondateur du réseau européen Eglises et libertés