L’heure du choix, par Hervé Kempf
En 1938, on pouvait considérer M. Hitler comme un homme respectable. En 1960, on pouvait juger que l’Union soviétique gagnerait la guerre froide. En 2010, on peut analyser le changement climatique comme une invention de scientifiques malhonnêtes.
L’histoire est faite de choix. Comment organiser son action en fonction d’une information imparfaite ? Des générations se sont divisées, des hommes se sont trompés, d’autres ont choisi juste. Ceux qui font les bons paris dessinent l’avenir. Il fallait choisir : Munich ou Londres ; l’URSS ou le monde libre. Il faut choisir : les climato-sceptiques ou la communauté des climatologues.
La comparaison est-elle exagérée ? Non. La crise écologique – dont le changement climatique n’est qu’un volet – pose à cette génération un défi d’une ampleur historique. En reconnaître l’ampleur permet d’imaginer comment l’enrayer. Du choix que nous ferons dépendra l’équilibre des sociétés humaines de ce siècle. Soit l’on considère le changement climatique comme un défi majeur appelant une mutation profonde de nos sociétés, soit l’on en nie la réalité, et l’on tente de conserver l’ordre établi.
La connaissance du fonctionnement du climat terrestre est-elle parfaite ? Non. Les informations dont nous disposons sont-elles suffisantes pour décider ? Oui. Toutes les questions ne sont pas résolues, tous les débats ne sont pas clos, toutes les recherches ne sont pas achevées. Mais le tableau général prédisant le changement est bien posé et solidement structuré.
Parmi les climato-sceptiques (en France, MM. Allègre, Courtillot, Galam, Gérondeau, Rittaud, etc.), aucun n’a produit un argument suffisamment fort pour passer avec succès le test des procédures de validation scientifique. En revanche, pas une question légitime n’a été mise de côté par les climatologues. Et pour celles qui restent sans réponse, l’investigation continue. Ce que la science nous explique n’est pas un dogme. Mais compte tenu de l’importance de ce qui se joue, les citoyens ont suffisamment d’éléments en main pour déterminer qui décrit le mieux l’état de la biosphère.
Pourquoi le climato-scepticisme, malgré la faiblesse de son argumentation, trouve-t-il un terrain si favorable à sa prolifération ? Parmi moult explications, une paraît décisive. Dès que l’on prend conscience de la gravité du problème écologique, une conclusion finit par s’imposer : pour empêcher le désastre, il faut drastiquement transformer un système qui repose sur une croissance continue de la production matérielle. Changer d’habitudes. Bousculer, aussi, nombre de situations acquises.
Refuser d’admettre ce qu’annoncent les climatologues permet de croire que rien ne changera, que rien ne sera bousculé. C’est pourquoi derrière le climato-scepticisme se décrypte à livre ouvert l’idéologie la plus platement réactionnaire.
Courriel : kempf@lemonde.fr.
Source : article paru dans Le Monde du 21.02.10