Pierre de Locht, trois ans déjà !
Voilà trois ans déjà que, le 9 mars 2007, Pierre de Locht nous quittait. Né à Bruxelles en 1916, Pierre de Locht était prêtre catholique et docteur en théologie. Expert appelé à siéger à Rome dans la Commission pontificale sur la famille (1964 -1966), il a progressivement pris des positions ” non traditionnelles”. Il se retrouve de ce fait quelques années plus tard mis au ban de l’Église catholique par sa hiérarchie. Si ses prises de position (notamment sur la contraception et l’avortement) ont fait grand bruit dans la société et ont secoué l’Église catholique, elles ont surtout permis à de nombreux croyants de se libérer d’une morale d’interdits. Elles ont aussi amené bien des incroyants à considérer sous un jour nouveau les relations avec les chrétiens. Il prendra position pour la dépénalisation de l’avortement dans les années 80, s’attirant les foudres “célestes”. Il plaidera également pour l’ordination d’hommes mariés ou l’accès des femmes à la prêtrise. Il regrettera inlassablement l’effet dévastateur de la centralisation du pouvoir de l’église “en faveur d’un tout petit nombre, le pape et sa curie”. Outre de nombreux articles consacrés à la morale, et plus spécialement à l’éthique de la sexualité et à la foi chrétienne, il est l’auteur de plusieurs livres, parmi lesquels L’avortement. Les enjeux d’un débat passionné (1985), La foi décantée (Desclée de Brouwer, 1998), Oser être chrétien aujourd’hui (Desclée de Brouwer, 2000), Et si j’étais nommé évêque (Mols, 2002) ou encore, en février 2007, Chrétien aujourd’hui : un engagement contradictoire ? (éditions Luc Pire). Mais pour nous, il était d’abord un témoin d’évangile à la voix incomparable, bienveillante, ferme, stimulante, libératrice…
Le texte qui suit est pour nous une façon de prolonger sa vie et sa voix parmi nous. Il s’agit des réflexions qu’il nous livra lors de l’assemblée générale de Nous Sommes Aussi l’Église en juin 1998 : importance du vécu à la base et nécessité de se libérer d’une sorte de « dépendance hiérarchique » que peuvent paradoxalement révéler certaines postures contestataires. Ecoutons-le…
Où faut-il investir nos énergies ?
Au lendemain d’une très intéressante et stimulante assemblée, je me suis fait quelques réflexions, que j’aimerais vous communiquer. Il est impressionnant de voir avec quel dynamisme les participants, et spécialement les femmes, refusant l’esprit peu évangélique de tant de prises de position officielles de notre Église, militent pour de tout autres comportements. Spécialement à l’égard des divorcés remariés, des prêtres qui s’ouvrent à un amour humain, des homosexuels…
Je garde cependant un peu la crainte que, pour un certain nombre, il s’agisse avant tout d’obtenir de la hiérarchie qu’elle modifie son regard et sa manière de faire. N’est ce pas donner encore trop d’importance à l’autorité, comme si les maturations et évolutions dans l’Église étaient conditionnées par l’attitude des évêques ?
Légitime transgression
On n’a pas besoin d’autorisation pour refuser personnellement et en communauté des manières d’être que l’on perçoit comme anti-évangéliques et pour se mettre à adopter des attitudes que l’on croit autrement plus conformes à l’inspiration de Jésus. Sachant bien, d’ailleurs, que les évolutions germent pratiquement toujours à la base.
La transgression n’est pas une opposition. Elle est une manière d’être qu’on adopte en soi et pour soi, car on la considère comme davantage conforme à l’Évangile. Faut-il une autorisation pour faire ce que l’on croit mieux ? Transgresser, ce n’est pas s’opposer, c’est avancer au-delà des normes actuellement établies, afin de mieux répondre aux exigences humaines et évangéliques. Et lorsqu’on constate avec étonnement que les « autorités » ne perçoivent guère ou pas le sens de ces indispensables modifications, on ne peut laisser tomber les bras et attendre leur autorisation pour agir selon ce que l’on croit devoir faire. Et cela d’autant plus que n’existe pas de dialogue ouvert et confiant entre l’autorité et le peuple chrétien.
Encore trop marqués par une obéissance-soumission qu’on nous a inculquée comme vertu majeure du chrétien, beaucoup n’osent pas encore être eux-mêmes. C’est pourtant la manière d’être des chrétiens de la base, entre autres vis-à-vis des divorcés remariés, des homosexuels ou des prêtres qui se marient, comme la manière de célébrer l’Eucharistie, qui feront le plus efficacement changer le mentalités et peu à peu les structures, mais ces dernières à un rythme plus lent car les législations sont toujours en retard sur la vie.
Le vécu à la base, condition d’une contestation crédible et efficace
Les énergies ne doivent donc pas être investies d’abord, me semble-t-il, dans la lutte pour faire changer l’autre, et spécialement les autorités religieuses, mais pour vivre à la base d’autres manières de penser et d’être. Et cela, au besoin dans l’incompréhension des autorités. Telle est l’exigence de la transgression comme avancée indispensable.
Le plus urgent n’est donc pas de demander à l’autorité ces transformations ; il s’agit de les susciter à la base, de les instaurer, de les vivre, au besoin en marge des normes établies, lorsque celles-ci sont figées et qu’un vrai dialogue est impossible.
Les stratégies à l’égard de l’autorité, si importantes soient-elles, je les crois secondes (non pas secondaires ni accessoires). Elles n’engendrent ni densité ni force, si elles n’émanent pas d’un vécu à la base. Ces stratégies se mèneront du reste dans un tout autre esprit si elles ne sont pas avant tout revendicatives, mais le cri de ce qui se pense, se vit, se réalise déjà à sa mesure à la base.
Tant à l’égard des divorcés remariés que des homosexuels, un climat de non jugement et d’accueil s’est peu à peu instauré dans les communautés. Ces changements de mentalité, dont nous sommes tous agents actifs, sont primordiaux. Sans eux, les modifications structurelles n’auraient guère de poids. Pourquoi ne pas instaurer, dès maintenant, à l’égard de prêtres qui se marient, des attitudes constructives et même comme cela se réalise déjà à plus d’un endroit, des pratiques qui ne les qualifient pas.
Ne pas surestimer l’importance de la hiérarchie
Cela n’empêche nullement de militer pour que l’ensemble de la communauté participe aux choix des évêques. A la condition de ne pas laisser croire ou se persuader que la vitalité d’une communauté tient avant tout à la qualité de sa hiérarchie. Ce serait encore en majorer l’importance. Mais il est clair que celle-ci n’est nullement négligeable. Cependant, le climat de confiance, de collaboration, de dynamisme joyeux, ne dépend pas seulement de l’évêque, mais de tout ce qui est suscité à la base.
La revendication des chrétiens de la base (laïcs et ministres divers) d’être partie prenante dans le choix de ses dirigeants est beaucoup plus qu’une exigence de rendement et d’efficacité. Elle tient à la dignité foncière des baptisés, également et solidairement responsables du devenir du message chrétien dans l’aujourd’hui. Ce sont des raisons théologiques fondamentales qui appellent à refuser la conception d’une Église dans laquelle les fidèles ne seraient que les exécutants d’une hiérarchie dépositrice privilégiée de la grâce et des dons de l’Esprit, et relais indispensable entre Dieu et les humains.
La vérité de l’Église, c’est d’abord ce que les chrétiens vivent à la base
Ceci m’amène à une dernière réflexion. La participation indispensable du tout venant chrétien n’est pas seulement une question d’efficacité dans l’organisation de l’Église. C’est l’apport de chacun, avec sa manière personnelle d’accueillir l’inspiration évangélique et de l’incarner dans la réalité présente, qui constitue l’Église. Quel appauvrissement du rayonnement évangélique lorsque cette effervescence de l’Esprit, ce « souffle de sainteté », suivant l’expression de Chouraqui, est paralysée parce que domine une organisation pyramidale et dictatoriale ! Il est entre autres indispensable à la vérité de la communauté ecclésiale que la perception féminine du message de Jésus Christ, loin d’être contrecarrée, puisse se déployer pleinement.
Si le peuple chrétien revendique, à juste titre, sa participation dans tous les rouages d’organisation de l’Église, c’est parce qu’il doit être présent dans la réflexion doctrinale, l’élaboration morale, la sensibilité sacramentelle… C’est ce que pense, cherche, vit le peuple chrétien qui fait la vérité et la vitalité de l’Église.