Se réapproprier l’Evangile
C’est le thème dont ont débattu les participants à l’Assemblée générale des 23 et 24 janvier 2010, répartis en trois ateliers.
On trouve ci-dessous les grandes lignes de leurs conclusions suivies des compte rendus de chacun des 3 ateliers.
1 – Affronter les textes :
* Ce sont des témoignages croisés de la vie du Christ. (Auteurs, contexte, publics différents).
* Le langage imagé redonne leur force aux symboles (les paraboles, les paroles : « femme », le temps : « le 3ème jour »…).
*Jésus y apparaît comme le catalyseur entre le Père et l’humanité (au milieu des humains là où ils vivent, mais se retirant pour prier seul).
2 – Chercher ensemble :
¤ Pour croiser les grilles de lecture différentes (histoire personnelle, angles d’approche…)
¤ Pour mutualiser les compétences complémentaires (pluri et interdisciplinaires)
¤ Pour limiter les risques de contresens (contexte, style, public visé…)
3 – Découvrir l’originalité de Jésus :
§ L’Evangile n’est pas un récit mais une parole vivante (plutôt qu’une « religion du Livre » nous sommes celle d’une parole)
§ L’accueil et le pardon priment – sans l’annuler – le respect de la loi (« le sabbat est fait pour l’homme… », « Que celui qui n’a jamais péché… »
§ L’Evangile est dynamique (physiquement : Jésus se déplace pour aller rencontrer les personnes sur leurs lieux de vie et moralement car il les rencontre dans leur vie intérieure, leurs blessures leurs limites, pour les aider à faire craquer les coutures et à se mettre debout.
Synthèse rédigée par Anne-Marie HERMET
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Pistes et méthodes de travail, existantes ou à inventer, pour découvrir et/ou se réapproprier l’Evangile
Les membres du groupe ont articulé leur réflexion autour de quatre axes.
Pourquoi ? Le but est de montrer en quoi l’Evangile est pertinent.
¤ Nourriture de vie communiquée à travers un témoignage.
¤ Moments privilégiés de l’existence : oreille plus attentive.
¤ Evènements qui actualisent dans l’Evangile.
¤ Reformulation des questions.
Méthode : Peut-il y avoir une méthode unique ? Non car il faut :
* Se demander où en est notre interlocuteur.
* Bien cerner ses motivations.
* Répertorier ses connaissances préalables.
Types de lectures : Intérêt du travail de groupe : lecture pluridisciplinaire, expériences spirituelles diverses
1- Lecture en continu : la polyphonie des Ecritures est forcément anti-sectaire.
2- Lecture thématique : bon moyen de confronter les différents textes (abord + facile avec les paraboles).
3- Lecture d’un texte ponctuel pour laisser s’imprimer en soi la saveur d’une parole.
Types d’accompagnement : Pas d’improvisation.
§ La lecture de la Bible exige une forme d’initiation.
§ Importance de bénéficier d’éclairages historico-critiques
§ Intérêt de rechercher des ressources humaines internes ou externes au groupe.
Conviction forte : L’Evangile est dynamique et dynamite !
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La pédagogie du Christ à travers l’Evangile
La réponse à la question qui nous est parfois posée, « ¨Pourquoi, à NSAE, sommes-nous centrés sur l’engagement dans le monde, alors que bien d’autres sont déjà très présents sur ces questions ? Quelle est la spécificité de notre engagement ? », est à trouver dans ce que l’Evangile nous apprend de Jésus, de sa vie, de ses paroles et de ses actes.
Le Royaume de Dieu (ou des Cieux), que l’on peut voir comme l’espérance de Dieu sur nous, est central dans l’Evangile et Jésus nous donne des pistes pour l’appréhender, aller vers lui dans nos vies, à l’exemple de sa vie et de ce qu’il nous montre de son rapport au Père. Le Royaume est proche, déjà en germe dans la vie aujourd’hui.
Le langage imagé
Jésus utilise des images de la vie, compréhensibles de tous, pour dévoiler (un peu) l’image du Royaume et l’image de Dieu. En particulier dans les paraboles.
Les paraboles
Jésus utilise de façon très personnelle cette forme de langage symbolique, très usité dans le monde sémite. Dans l’exemple des ouvriers de la dernière heure, une parabole rabbinique similaire à Mt 20, 1-16 explique que ceux qui on travaillé moins de temps ont la même rétribution parce qu’ils ont eu autant de résultats par un travail plus efficace, et reste dans le cadre de la justice distributive : les paraboles rabbiniques sont toujours une illustration de la loi. Au contraire, Jésus introduit un autre registre, celui de la surabondance de l’amour.
Le corpus des paraboles est sans doute la retranscription la plus directe des paroles de Jésus, peu affectée par la réécriture des premières communautés et des évangélistes.
L’attention, le respect et l’absence de jugement
Envers les plus faibles les rejetés, les hors norme, les handicapés physiques, sociaux, femmes, enfants, gens de mauvaise vie…
L’inversion des valeurs
Le sabbat pour l’homme ; l’esprit plus fort que la loi ; le prochain n’est pas la personne à aider, mais la personne qui se fait proche de celui qui a besoin.
Sagesse et folie : le fou est celui qui amasse.
Les miracles
Pas de la magie, mais une confiance et une conversion qui peuvent aller jusqu’à la guérison physique : « Ta foi t’a sauvé » i.e. « tu as trouvé en toi les forces pour faire le choix de la vie ».
La patience inlassable de Dieu
Exemple parmi beaucoup, toujours dans la parabole des ouvriers de la dernière heure, le maître de la vigne va jusqu’au dernier moment du jour à la recherche des journaliers toujours sans travail.
L’équipe
Jésus la constitue à partir de gens ordinaires, qui ne sont pas du sérail ; il ne les sélectionne pas sur une compétence supposée, une position sociale. Le Royaume, c’est pour tout le monde, et il l’annonce avec et pour le tout-venant.
Son équipe, il en a besoin ; il a besoin des gens ; il se retire seul seulement pour prier.
Dieu a besoin de nous
Se laisser interpeller, pousser à l’ouverture
L’hémorroïsse. La rencontre avec la Syro-Phénicienne : un tournant important où Jésus se laisse pousser à l’ouverture non prévue.
L’espérance
Jésus transforme l’espérance messianique du rétablissement du Royaume d’Israël en celle de la venue du Royaume de Dieu, qui se manifeste par de toutes petites choses peu visibles, et qui ne nous sera donné que si nous participons à sa construction. Et sa vie nous montre le chemin.
Un autre monde est possible, disons-nous…
Pierre Desbruyères, Lucienne Gouguenheim, Anne-Marie Hermet
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Du quotidien à l’Evangile
1- a Comment notre vie actuelle, quotidienne, peut-elle nous amener à confronter nos expériences, nos relations humaines, nos constats, aux textes d’Evangile ?
1- b Partons-nous de notre existence concrète pour en trouver le sens, en référence à l’Evangile? / -Ou bien est-ce la lecture de l’Evangile qui nous amène à l’« appliquer » au quotidien dans notre existence actuelle?
1er tour de table : 13 personnes disent que leur existence concrète les a amenés à se référer aux Evangiles.
1- « On ne peut pas être confronté à l’Evangile en dehors d’un vécu percutant , souvent d’un choc ; ou de ruptures , ou de situations humainement bloquées. » (5 personnes, à partir de la 1ère intervention d’A. Thireau).
2- « Ces « ruptures » nous amènent à chercher le sens de notre vie et des vies humaines que nous côtoyons, et à nous reporter aux Evangiles pour découvrir ce sens. »
3- « Même si nous sommes engagés dans des groupes et associations où se dessinent nos orientations, au quotidien nous sommes seul(e)s avec nos hésitations et nos cas de conscience .C’est moins facile de décider avec justesse et avec un maximum de justice : devant des situations qui nous désarment, l’Evangile nous présente la double exigence de Justice et d’Amour. Pas simple de décider… »
« Il faut faire la différence entre les commentaires d’Evangile, qui nous semblent abstraits dans la plupart des homélies de messe du dimanche et la recherche de sens éclairée par une lecture d’Evangile en Groupe » Ex :une pratique de lecture en A.C.O.
4-Témoignage d’une mère enseignante : éprouvée par la mort brutale de son mari, qui l’a amenée à un gagne-pain d’enseignante dans un quartier de familles démunies, « a été ramenée au cours de sa vie lourde d’épreuves à retrouver l’Evangile ; à partir de là ,à s’engager dans une Association de parents de jeunes (homosexuels laissés en marge de la société) ; à chercher -y compris au collectif NSAE- à comprendre la révolte de précaires actuels, en se référant aux textes révolutionnaires de l’Evangile( tel le Magnificat ), afin de faire émerger de cette révolte une espérance .C’est,dit-elle,l’Evangile qui lui a permis de ne jamais se croire abandonnée, de rester relationnelle ,et de lutter contre les réactions dépressives d’un très grand nombre de précaires , qui passent de la révolte au rejet de l’humain . L’Evangile lui a fait (re-)trouver Dieu aimant tout humain, et elle tente de faire passer en actes cette force de l’amour, qui fait que chacun(e) soit reconnu (e) dans son égale dignité d’humain, jamais abandonné(e),….une fois évacués indifférence et mépris. Sa démarche du quotidien à l’Evangile est une chaîne fructueuse:la rupture entraîne le retour à l’Evangile/et l’engagement évangélique transforme le vécu, en communiquant l’Espérance, moteur d’action en faveur des largués par injustice et intolérance. »
5- Un autre précise : « La « rupture » avec une situation antérieure habituellement heureuse entraîne parfois le rejet de l’Evangile. Mais assez souvent, la recherche et le doute mènent à Dieu. ».
Deux personnes exposent une démarche différente :
Une octogénaire: « Ma démarche est l’inverse : je ne pars pas du vécu, ni des rencontres, mais de l’Evangile lui-même. En réalité, c’est pendant les conflits de la guerre, alors que ma famille était athée, que j’ai découvert la personne de Jésus-Christ en lisant l’Evangile, au cours de mon adolescence. Et il a fallu des décennies pour que ma vie s’engage à fond dans le sens de l’absolu de l’Amour évangélique. »
Une autre, un peu plus jeune: « Moi, je n’ai pas découvert l’Evangile, qui ne m’intéresse pas:c’est le vécu et le quotidien qui m’intéressent et non pas l’Evangile. J’ai entendu la référence évangélique au local de « Chrétiens-Migrants »: des « néo-arrivants » s’y référaient. Tant pis s’ils n’avaient rien à voir avec le message de Jésus !»
Réaction de Christophe et Marcelle: « Selon moi, vécu et Evangile ne peuvent pas se séparer. La Foi chrétienne introduit un point de vue révolutionnaire qui s’inscrit dans les difficultés inhumaines que vit plus de la moitié de l’humanité : c’est l’Incarnation, le message évangélique que Dieu partage notre humanité. »
Marcelle ajoute : « Statistiques officielles en France : 40%de la population active se recycle professionnellement 2 à 3 fois au cours de la vie ».Donc : difficultés à court et long terme pour la famille. La conscience de l’incarnation de Dieu, apportée par les Evangiles, est source d’espérance, de force de ressourcement dans une pareille situation sociale… »
Réponse d’une personne: « Je ne peux pas vivre avec le souci constant de 40% de gens dans le malaise ».
Un autre : «Après une jeunesse de catholique ordinaire, j’ai été captivé à la fois par un prof. de philo marxiste et par un aumônier chrétien très ouvert, puis je suis devenu lecteur de Témoignage Chrétien .En ne voyant que le côté humain de Jésus, je suis allé vers les autres. Actuellement responsable du « Secours populaire »de mon département, j’y dialogue quotidiennement avec une autre responsable« libre penseur »et avec des athées. Sans aucune gêne ni conflits. »
Chantal conclut le « tour de table: « L’originalité de l’Evangile, c’est qu’il reste actuel. C’est heureux que NSAE prenne en compte ce thème de l’actualisation de l’Evangile. »
2- Comment des faits surgis actuellement, dans notre vie, peuvent-ils être vecteurs de prise de conscience à la fois d’urgences humaines, et d’Evangile à actualiser?
2.1 REPONSES SPONTANEES :
Une personne : « Des questions cruciales pour les humains sont celles du doute et de l’abandon ; c’est à dire celles du Christ sur la croix: « Mon Père, pourquoi m’as-tu abandonné ?». Questions d’isolement, de « déréliction ». «Je n’ai aucune certitude. Mais ce n’est pas l’Evangile qui m’intéresse; ce qui m’intéresse c’est l’humain, en constatant la richesse de potentialités de chaque être humain. »
Un autre:« Dans mon travail, au quotidien, j’ai rencontré des situation réelles très dures pour quantité de gens! Un prêtre-ouvrier a su me montrer à travers les Evangiles un message d’Amour plus fort que l’écrasement des humains. »
Un autre: « Ma femme m’a expliqué l’importance d’une rupture avec des habitudes de paroles de« partage d’Evangile .La recherche intellectuelle ne permet pas la compréhension du vécu concret de chacun(e) .Nous ne nous situons pas comme les autres chrétiens à NSAE. Notre regard de groupe NSAE est plus concret. Il faut choisir son « groupe ».
Un syndicaliste approuve : tant que chrétien, il dit « avoir élargi l’engagement syndical à une « intersyndicale » se battant pour que chacun réalise son potentiel humain».
Une autre « Le problème des chrétiens, et surtout des prêtres, c’est qu’ils sont engagés dans plusieurs associations et autres tâches, ce qui dévore le temps : ils n’ont ni le temps de nous écouter, ni de communiquer en phase avec les évènements et notre vécu! Du coup nous aussi, chrétiens ou humanistes, sommes sur occupés ! Ainsi l’Evangile n’est pas catholique!….Il se pose aussi de ce fait le problème de l’élargissement de la lecture de l’évangile dans le monde des Jeunes : on ne le leur propose pas de façon adaptée à leur type de culture « numérique »…
2.2 DEBAT
Réponse-1: « Pour ce qui de la « nouvelle évangélisation »…si c’est pour introduire du rock-chrétien, autant en emporte le vent!! Quant aux J.M.J., cela se veut grandiose, mais c’est peu ressourçant …C’est du théâtre! »
R – 2 : « Ce n’est pas une « nouvelle évangélisation », mais une nouvelle « christianisation », qui vise à instaurer une nouvelle « chrétienté ». C’est aberrant, car cela cherche à réinstaurer une prépondérance de l’Institution religieuse. »
R- 3 « Les personnes que je rencontre, et, entre autres, les détenus avec lesquels j’écoute la messe du dimanche à la Maison d’arrêt au titre d’ex-moniteur d’atelier bénévole, sont attentifs, authentiques : ils ne cherchent pas à se donner une étiquette, mais à trouver la personne du Christ, qu’ils diffusent ensuite autour d’eux … »
R – 4: « La lecture d’Evangile m’aide. Le fait que je le lis en fonction de mon engagement pour la tolérance envers les « jeunes homos », m’a donné une ouverture, qui va à l’encontre des blocages et préjugés sociaux. L’Evangile a cette audace… »
Quelqu’un conclut: «C’est bien en Groupe qu’il faut lire l’Evangile, que la lecture d’Evangile devient fructueuse : les groupes sont médiateurs entre notre quotidien personnel et la mise en oeuvre d’actions inspirées de l’Evangile. Cette insertion de l’Evangile nous aide à faire tomber la terrible barrière de l’individualisme ambiant dans notre système socio-économique. ».
La modératrice de l’Atelier : « La lecture d’une autre très beau texte nous donnerait-elle la même richesse essentielle que celle de l’Evangile? Ex. celle du « Petit Prince » de St Exupéry ou un autre? »
R-1 « Songeons qu’il y a une masse de gens qui n’ont jamais rencontré l’Evangile, tout en cherchant à trouver un sens aux ruptures dans leur vie .Nous sommes, avec l’Evangile, des arpenteurs du désert. Les « fissures » que nous vivons nous mènent à découvrir l’Evangile, en y amenant d’autres … »
Christophe « Les formulations des textes d’Evangile sont à relativiser. Il faut replacer chaque texte dans son contexte .Cela suppose des compétences dans le Groupe de lecture d’Evangile. »
Didier, Rédacteur principal de PARVIS, conclut : « Ni l’Ancien, ni le Nouveau Testament ne sont une ensemble de textes construits en un tout composé. Ils ont été écrits, dans des contextes très divers. Les Evangiles nous offrent le flou d’une ombre…d’où sort la lumière. »
3- L’Evangile, actuellement transmis, s’intègre-t-il dans nos dialogues avec ceux qui cherchent sens, justice (sociale, juridique, équitable, etc.) et fraternité ? Comment l’Evangile nous fait-il répondre aux attentes de nos «proches », et des plus malmenés socialement?
Un bénévole au « Secours Populaire » : « Dans la vie associative, on nous connaît comme catho; mais c’est notre attitude, notre action, qui font comprendre pourquoi nous nous référons à Jésus. »
Une autre : « Ns sommes à NSAE pour retrouver des gens qui vivent pour qu’émane du quotidien leur Evangile ».
A. Thireau « Que pouvons-nous faire de nos interrogations concernant l’actualisation et l’actualité de l’Evangile, pour les chômeurs qui perdent la tête de désespoir, et qui restent confinés dans le chômage? C’est à cette question que nous devrions aussi nous attacher à la suite de cette A.G. De plus, nous constatons l’isolement des gens, y compris de chrétiens prêts à s’engager, mais cherchant d’autres gens de Foi. »
La modératrice : « Oui. Et n’oublions pas qu’on prévoit quantité de chômeurs en plus en fin de droits en 2010, pendant que la France a la palme d’or des « solutions médicamenteuses »qui enrichissent nos labos… »
Ingrid « Ce qui m’inspire, c’est la folie de l’Evangile, manifestée dans les Béatitudes : elles sont le reflet de la richesse incommensurable des formes d’humanisation réalisées avec Dieu. »
Didier. « Certes, là est le message d’Evangile toujours actuel .N’oublions pas que le Magnificat avait été supprimé en Amérique Latine par la volonté de Jean-Paul II, parce qu’il est révolutionnaire! Aujourd’hui, il est rétabli à sa place dans l’Evangile! »
P. « La Justice idéale, celle vers laquelle on tend, celle de Dieu, c’est l’Evangile qui la balise ».
Notes prises par Marcelle Remérand