Le n°45 des Réseaux des Parvis est paru
Hommage à Edward Schillebeeckx, théologien du peuple de Dieu Un incessant combat pour la liberté chrétienne
Au terme d’une longue vie passionnée par le service de l’Évangile, le fr. Schillebeeckx nous lègue l’exemple d’une existence pleine de luttes pour promouvoir les libertés fondamentales du peuple de Dieu. A elle seule, la liste de ses publications laisse voir la cohérence profonde d’une recherche vouée à conquérir, à défendre une pratique de la vie en Église qui, dans ses axes fondamentaux, coïncide avec celle pour laquelle nous nous sommes regroupés à Parvis. Il aura été l’un des très grands théologiens du XXe siècle, et sûrement l’un des ouvriers majeurs dont le travail aura permis les ouvertures et les avancées réalisées au Concile Vatican II.
La force est aux sources et je veux y aller voir, a fièrement écrit le P. Lacordaire. Edward Schillebeeckx a vite compris qu’une théologie renouvelée au service des communautés chrétiennes exige un accès libre, critique et intelligent aux sources de la foi. Il prend part aux recherches concernant l’herméneutique : une interprétation des textes de la Bible ne peut être dite « Parole de Dieu » que si elle touche, elle éclaire au plus près la profondeur de l’existence des croyants d’aujourd’hui. Dès ce moment commencent ses ennuis avec Rome, peu soucieux de liberté herméneutique. Mais tout naturellement, mandé au Concile par le cardinal Alfrink, archevêque d’Utrecht, il coopère activement, avec d’autres, à la rédaction de la Constitution Dei Verbum sur la Révélation divine, enfin adoptée en mars 1965 à la quasi-unanimité, au terme de cinq rédactions successives… Semblablement, son apport au Concile Vatican Il fut important pour ce qui regarde l’exercice de l’autorité dans les Églises et son fonctionnement institutionnel. Schillebeeckx s’est attelé à la question cruciale des ministères dans les Églises. Il participe aux rudes débats concernant la collégialité des évêques, qui aboutira à la Constitution sur l’Église De Ecclesia votée le 21 novembre 1964 et au Décret sur la charge pastorale des évêques Dominus Christus adopté le 6 octobre 1965. Il collabore aussi à la Déclaration sur la liberté religieuse Dignitatis Humanae très difficilement adoptée en novembre 1965.
Le Concile clos, reste une tâche gigantesque : le mettre en application, le faire entrer dans les mœurs, surtout celles de l’autorité pontificale qui va, comme on le sait, mettre tout en œuvre pour en gommer les avancées les plus décisives. C’est dans cette longue lutte que le frère Schillebeeckx va donner toute sa mesure. Avec ses confrères réformateurs, Y. Congar, M.-D. Chenu, K. Rahner, C. Geffré,… il fonde la Revue Concilium dont l’objectif avoué est la fidélité aux décisions du Concile. Il applique les principes critiques de l’exégèse à l’élaboration d’une grande christologie qu’il publie. en trois tomes. Dès le premier volume, la Congrégation pour la doctrine de la foi le convoque à Rome, et il doit se justifier au sujet de neuf points fondamentaux de la doctrine chrétienne. Les difficultés vont se poursuivre et même s’aggraver au cours des années qui suivent. C’est principalement sur la théologie des ministères qu’elles portent maintenant. Le dominicain a publié Le Ministère dans l’Église, traduit en français en 1981. Armé d’un réalisme courageux sur la situation qu’il constate pour les communautés chrétiennes, il préconise des décisions qui sont à la mesure de la crise : ordinations des hommes mariés, fin des discriminations catholiques vis-à-vis des femmes, ministères nouveaux confiés aux fidèles, etc. La pression du Vatican est telle qu’il doit une nouvelle fois s’expliquer sur ses positions ; il le fait dans Plaidoyer pour le Peuple de Dieu (Cerf, 1985), dont le plan révèle clairement ses options: 1. le Christ et ses communautés messianiques ; 2. les communautés chrétiennes anciennes ; 3. le ministère ecclésiastique au cours de l’histoire ; 4. prêter l’oreille aux « doléances du Peupie» ; 5. plaidoyer pour un Peuple de Dieu en marche.
En 1989, il signe, avec 160 collègues catholiques, la fameuse Déclaration des théologiens, qui révèle le fossé qui s’est creusé entre Rome et un large secteur de l’intelligence catholique. Cette Déclaration dénonce les conséquences malsaines et nuisibles du « nouveau centralisme romain » et la mise sous tutelle de toute la recherche théologique.
Jusqu’au bout, notre frère dominicain soutiendra avec intrépidité une théologie des ministères dont nous pouvons, à Parvis, continuer à nous réclamer. En bref, Schillebeeckx la définit ainsi : Le caractère pneumatologique, prophétique et apostolique de la communauté de foi chrétienne dans son ensemble (fondée dans le baptême dans l’Esprit) est la base première, ontologique, qui porte le ministère […]. L’œuvre de l’Esprit du Christ dans son Église est plus puissante que les règlements canoniques qui, à bon droit et légitimement, déterminent la validité d’une célébration dans des circonstances normales. L’absence de ministres qualifiés renvoie la communauté ecclésiale apostolique à elle-même en matière de vie sacramentelle (Plaidoyer pour le Peuple de Dieu, Cerf, 1985, p. 301).
FR. BERNARD QUELQUEJEU, O.P.
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