L’aide au développement est-elle un instrument de justice ?, par Jean-David Naudet
“Il n’y a rien de si difficile à distinguer que les nuances qui séparent un malheur immérité d’une infortune que le vice a produite” (Alexis de Tocqueville). “Bien et mal n’ont plus de sens si ce n’est celui d’insuccès ou de réussite” (George Orwell).
Une abondante littérature récente a défini et commenté ce que l’on appelle désormais couramment la “crise de l’aide au développement” (1). Le signe le plus tangible de cette crise est la baisse des budgets attribués à l’aide internationale (2). Cette baisse, venant après plusieurs décennies de hausse ininterrompue, pourrait être le signe d’une mise en question de l’engagement des pays riches dans la cause de l’aide au développement.
Les motivations de cet engagement sont multiples. L’intérêt des pays riches, de nature stratégique et commerciale, y joue un rôle évident. La coïncidence de la fin de la guerre froide et de la crise de l’aide ne doit rien au hasard. Mais la légitimité de l’aide au développement provient de ce que l’intérêt des pays riches y est associé à une oeuvre de justice et/ou d’humanisme à l’échelle mondiale, qui en fait un instrument d’intérêt universel. Or, l’ensemble des analystes s’accordent avec Van de Walle (1999, p. 338) pour reconnaître que la crise de l’aide n’affecte pas seulement les motivations d’intérêt des pays riches, mais bien également son fondement éthique.
Le fondement éthique de l’aide au développement a toujours eu tendance à “s’autonomiser” vis-à-vis des préoccupations d’intérêt des pays riches. Il est en effet produit essentiellement par les grandes institutions multilatérales, et de manière moindre par les organisations civiles de solidarité, qui dominent la pensée sur le développement et qui, bien que financées par les pays riches, ont un discours qui leur appartient en propre.
Ce sont les évolutions de ces fondements éthiques, tels que construits par les grandes institutions internationales, qui font l’objet du présent article. Les changements du discours de légitimité de l’aide au développement sont le résultat de deux types de mouvements: un mouvement “objectif”, dû à l’évolution du monde et des connaissances, et un changement “subjectif”, dû au déplacement du “consensus idéologique” qui règne au sein de ces institutions. Ces mouvements ne sont pas indépendants: ce sont en partie les changements des situations réelles qui contribuent aux déplacements idéologiques. On essaiera pourtant de les distinguer et en particulier d’isoler ce qui, dans les positions éthiques, relève des changements de ce consensus idéologique.
Les évolutions du discours de légitimation de l’aide sont analysées successivement à travers quatre dilemmes éthiques, qui portent sur quatre questions. De quelle vision du monde le devoir d’intervention découle-t-il? Quelle est la nature du devoir d’intervention? Doit-on attribuer l’aide en fonction de ses conséquences? Et avec qui intervenir?
1. De quelle vision du monde le devoir d’intervention découle-t-il ?
Premier dilemme : causes “situationnelles” et “dispositionnelles” de la pauvreté
On est régulièrement confronté, dans le discours des institutions internationales, à la “dénonciation” de deux phénomènes affectant l’humanité: la première est le nombre très important (et plutôt croissant) de personnes privées de droits élémentaires (se nourrir, se loger, etc.), la seconde est le fossé qui sépare le niveau de vie entre les pays riches et les pays pauvres (3).
Le consensus est absolu quant au caractère illégitime du premier phénomène décrit. En revanche, il n’est pas du tout sûr que l’inégalité géographique soit à l’origine d’un sentiment universel d’injustice. Il existe un fort courant de pensée “conservateur”, porté vers une vision du monde juste tel qu’il est, comme le remarquait Sen (1993, pp. 292-293) parlant d’une “opinion conservatrice selon laquelle la population de chaque pays a droit à ce qu’elle se trouve avoir à un moment donné, et alors que le changement nécessite une justification, le statu quo n’en a pas besoin“.
Plus généralement, concernant les deux phénomènes évoqués, le sentiment d’injustice que l’on ressent pour le monde qui nous entoure dépend de l’analyse que l’on fait des causes de la pauvreté ou de l’inégalité. Les psychologues distinguent à ce propos deux grands types de causes distinctes, deux grandes catégories que l’on pourrait qualifier de “dispositionnelle (centrée sur les traits personnels) et situationnelle (centrée sur des causes extérieures à la personne concernée). Faire des pauvres eux-mêmes la cause de leur pauvreté ressort d’une analyse dispositionnelle ; alors que l’expliquer par des désastres naturels ou l’exploitation par les forces internationales consiste à caractériser la pauvreté de manière situationnelle” (Carr et alii, 1998, p. 24).
Cette distinction est fondamentale pour expliquer la vision du monde et l’intention d’intervenir des pays et des citoyens riches. Lorsque l’on fait une analyse dispositionnelle, alors la pauvreté devient imputable à un manque d’effort individuel ou collectif, et une quelconque aide ne se justifie pas. A l’inverse, une analyse situationnelle fait apparaître l’injustice de conditions externes différenciées et justifie une intervention.
Le cas d’individus dont la pauvreté est diagnostiquée comme due à leur appartenance à des pays mal gouvernés est intermédiaire entre ces deux types d’analyses, et penchera d’un côté ou de l’autre selon que l’on considère l’individu concerné comme partiellement responsable (4) ou non de la façon dont il est gouverné. Même si le citoyen riche fait, dans ce cas, une analyse partiellement situationnelle, l’injustice dont l’individu mal gouverné est victime apparaît tout à fait externe à cet observateur (5) et ne peut entraîner qu’une intention d’intervention atténuée.
Il est certain que le discours du développement – et particulièrement de l’économie du développement – a effectué depuis les années 80 un déplacement très sensible de la mise en avant d’analyses situationnelles à celles d’analyses au moins intermédiaires, sinon dispositionnelles, celles imputant la situation de pauvreté aux pauvres eux-mêmes. Alors que les causes liées aux conditions naturelles et à l’exploitation des pays pauvres (et de leurs citoyens) dominaient largement le débat dans les années 70, les politiques économiques, puis la gouvernance et la qualité des institutions ont été progressivement désignées, par les économistes et les institutions les plus prestigieux (6), comme les causes premières de la pauvreté dans le monde.
Le regard porté aujourd’hui par les institutions de développement sur la pauvreté mondiale fait apparaître l’essentiel des “injustices” dans le cadre national des pays pauvres, et non dans les rapports internationaux (7). Ce mouvement s’inscrit dans une dissociation plus large des causes de la pauvreté et des causes de l’enrichissement, également valable au sein des sociétés développées. On ne perçoit plus de liens directs entre l’enrichissement des plus riches et l’appauvrissement (ou la stagnation) des plus pauvres (8). Il en résulte une disculpation des riches, quant à la pauvreté en général, et plus encore dans les pays pauvres, qui participe à la diminution de la légitimité de l’aide au développement.
Il est important de comprendre que ce mouvement émane en partie d’une meilleure compréhension des causes de la pauvreté, mais aussi d’une modification du “consensus idéologique” en vigueur dans les pays riches.
Comme exemple d’élément objectif ayant conduit à la modification de l’analyse, on peut citer la réussite des dragons, qui a montré que la situation générale des pays en développement ne les empêchait pas de connaître un développement accéléré. Mais l’évolution découle également d’un changement du rapport de force, notamment de la disparition du courant tiers- mondiste qui relayait en partie la vision des pays pauvres. La quasi-disparition du thème des “termes de l’échange” est symptomatique de cette évolution et de son caractère subjectif. Ce thème était mis en avant quand les preuves statistiques de la dégradation étaient fragiles et contestées. Aujourd’hui que les faits sont solidement établis dans ce sens, il n’est quasiment plus question de la dégradation des termes de l’échange dans les analyses de la pauvreté.
Un second élément, de nature psychologique, peut être évoqué. Les pays riches (et les grandes institutions d’aide), après avoir cru que le sous- développement était le résultat d’un manque d’épargne et d’investissement, puis d’un manque de liberté individuelle et d’incitations de marché, sont de plus en plus conscients de ne pas détenir eux-mêmes de solution à la situation des pays pauvres. Le sentiment d’impuissance peut alors passer d’une attitude de compassion devant la misère à une attitude marquée par l’indifférence (9), voire le “victim blaming“, le “reproche aux victimes” (Carr et alii, 1998, p. 30).
2. Quelle est la nature du devoir d’intervention ?
Deuxième dilemme : justice et humanisme
A la suite d’Opeskin (1996), on distinguera les obligations morales découlant d’une préoccupation de justice ou d’une préoccupation d’humanisme. Le devoir issu de l’humanisme repose sur la préoccupation quant aux droits ou au bien-être élémentaires des individus, quels que soient leurs caractéristiques ou leur lieu de résidence. Le devoir issu de la préoccupation de justice repose sur la réparation de fautes passées ou sur la “juste” répartition de l’ensemble des ressources. Cette dernière alternative correspond à la division aristotélicienne (10) en deux formes de justice : la justice corrective et la justice distributive.
Le souci humaniste se manifeste devant les situations de détresse inacceptables. Il est lié à la perception d’un niveau minimal de droits, de ressources ou de bien-être dus à tous les êtres humains. Ce sont des situations de pertes de droits ou de pauvreté absolues qui fondent le devoir d’intervention découlant de l’humanisme.
La justice corrective répond au souci de réparation d’injustices passées dont les effets se font encore sentir. Elle est souvent le fait des responsables de cette injustice eux-mêmes, sans que cela soit une caractéristique impérative, et est susceptible de fonder l’attribution de “dédommagements”.
Enfin, la justice distributive se justifie par le besoin de corriger une répartition des ressources qui n’est pas légitime du point de vue des droits et/ou des mérites de chacun. Elle conduit à des interventions de transferts de ressources entre ceux possédant plus que leur juste part et ceux possédant moins. Ce sont cette fois des situations d’inégalité qui fondent l’intervention distributive.
La justice distributive, comme la justice corrective, correspond bien également à la réparation d’une injustice dans la répartition des ressources. Mais la justice corrective s’attache à réparer une injustice passée, précisément définie, et se traduit par un dédommagement une fois pour toutes afin de rétablir l’équité. A l’inverse, la justice distributive s’attaque à une injustice systémique, diffuse et permanente, et organise la réparation sur une base permanente, ou du moins durable.
La préoccupation de justice est plus exigeante et moins répandue que celle d’humanisme. Cette dernière est universelle et fait consensus. Un certain niveau de détresse humaine, en quelque lieu que ce soit, est toujours jugé comme non mérité et appelle un sentiment de solidarité, voire une intention d’intervention. En revanche, la préoccupation de justice n’est pas automatique face à une situation d’inégalité, même si celle-ci est très importante. Elle dépend étroitement de la vision du monde de l’observateur, et en particulier de l’analyse situationnelle ou dispositionnelle qu’il privilégie, ainsi que du niveau de solidarité ressenti, qui dépend généralement de la proximité des individus concernés par cette situation d’inégalité.
Certains auteurs (en particulier Kapstein, 1999) expliquent que l’idée de redistribution était à l’origine de la création des institutions internationales du système des Nations unies (y compris les institutions de Bretton Woods). Ces dernières étaient chargées d’initier des welfare policies à l’échelon international comme complément à une politique de libre-échange.
On peut trouver dans la pratique des institutions d’aide de nombreux exemples à l’appui de cette préoccupation. L’objectif de fixer l’effort minimal des riches (à 1%, puis 0,7% de leur PIB) dédié à l’aide au développement est caractéristique d’une optique de redistribution. De même que le système des “enveloppes pays” basées sur le PIB par tête, que plusieurs donateurs (le Pnud ou la Commission européenne, par exemple) ont adopté pendant longtemps. Le système des préférences généralisées (11) mis en place au début des années 70 est inspiré par les mêmes motifs. Au cours de cette décennie, le débat sur le nouvel ordre économique international (NOEI) donna une large place à la question de la justice internationale. Bien entendu, le souci d’une justice corrective, en premier lieu des dommages de l’exploitation coloniale, a également été omniprésent dans la justification de l’aide au développement, en particulier en ce qui concerne l’action bilatérale.
La littérature de l’économie du développement relève globalement d’un autre mode de pensée. La préoccupation de redistribution à l’échelle mondiale y est pratiquement absente. Jusque dans les années 70, l’analyse du développement en phases successives (à la Rostow) domine. Dans cette analyse, les pays pauvres, en retard dans le processus de développement, sont victimes d’une sorte d'”injustice de l’histoire” (12), qui appelle un effort de solidarité ponctuel en réparation, permettant à chacun de prendre par la suite sa juste place dans l’économie internationale.
La nuance entre les deux formes de justice est ici capitale. L’aide au développement est bien vue par les économistes comme un phénomène devant avoir lieu une fois pour toutes (même si cela s’étale sur plusieurs décennies), en réparation d’une situation de départ injuste. La naturelle convergence économique entre nations doit par la suite faire disparaître (ou atténuer) le besoin de justice à l’échelle internationale. L’empreinte de cette vision a été si forte que, encore aujourd’hui, avancer l’idée que l’aide au développement puisse devenir un système permanent (13), basé sur la redistribution, paraît iconoclaste.
A la fin des années 70, puis dans les années 90, les préoccupations humanistes ont fortement influencé l’aide au développement, plaçant sur le devant de la scène les thèmes de besoins essentiels et de pauvreté. Il faut sans doute y voir la conséquence d’un ensemble de faits ou de mouvements d’opinion qui mettaient en cause la vision précédente : l’atténuation du sentiment de culpabilité dû à la colonisation, la rémanence de la pauvreté et la montée des analyses dispositionnelles, le discrédit de la problématique de l’exploitation. Le discours humaniste semble, à l’heure actuelle, l’avoir emporté sur tous les autres, si bien que le souci de justice, tant corrective que distributive, paraît absent du discours de légitimation de l’aide (14).
La montée de l’humanisme a sonné le glas de la plupart des anciennes pratiques redistributives (enveloppes pays basées sur le PIB, préférences généralisées, achats de matières premières à un prix supérieur à celui du marché), fortement condamnées. La situation actuelle n’est cependant qu’un fragile équilibre. L’intérêt témoigné, par exemple, à la taxe Tobin et à son affectation en faveur du développement, montre que l’opinion peut toujours être sensible à une optique redistributive. Le nouveau concept, promu par le Pnud, de biens publics globaux (Kaul, Grunberg et Stern, 1999) est étroitement lié à une préoccupation de justice au niveau mondial.
3. Doit-on attribuer l’aide en fonction de ses conséquences ?
Troisième dilemme : “conséquentialisme” et déontologie
Un troisième débat, issu des théories de la justice, est pertinent pour rendre compte de la légitimité de l’aide. C’est celui qui oppose les démarches “conséquentialistes” aux démarches déontologiques (Clarke, 1999). Le conséquentialisme juge le caractère souhaitable d’une action selon l’évaluation de ses conséquences. A l’inverse, une attitude déontologique consiste à accepter des principes en l’ignorance de leurs fins particulières (15).
L’ignorance caractéristique de l’attitude déontologique peut être voulue ou subie. On peut accepter sciemment de ne pas considérer les fins pour adopter des principes de justice. L’ensemble de la critique de la théorie utilitariste s’accorde plus ou moins sur cette attitude. On peut également être dans l’ignorance malgré soi des conséquences de certains principes, et être conduit à une déontologie de pragmatisme. Une des bases de la démarche déontologique est l’intégrité du respect dû à chacun, et notamment le respect de tous les choix de vie et de tous les modes d’utilisation des ressources. Ce respect intégral est toutefois difficile à tenir en pratique parce qu’il peut conduire à deux dérives : la légitimation de l’indifférence aux autres (16) et la perte de motivation du contributeur solidaire (le donateur), conduit par devoir à faire des choses qu’il peut juger inutiles ou nocives (Opeskin, 1996, p. 25-26).
Les démarches conséquentialistes se heurtent à d’autres types de difficultés. La première est la capacité d’évaluation objective des conséquences de plusieurs types alternatifs d’allocation des ressources, afin de choisir la meilleure attitude. La seconde est le conflit difficilement évitable entre le respect de l’intégrité des receveurs de ressources et l’objectif de parvenir à des conséquences souhaitables. Ce conflit peut se traduire par l’ingérence (contraindre ou inciter le comportement du bénéficiaire) ou par la sélectivité (choisir les bénéficiaires faisant un bon usage des ressources), cette dernière attitude étant souvent caractéristique de la charité privée (17).
Le conséquentialisme peut également dériver en une démarche qui ne distingue plus le “juste” du “performant” et “interprète le juste comme une maximisation du bien” (Rawls, 1987, p. 55), encourant toutes les critiques que les théoriciens de la justice ont apportées pour cette raison à l’utilitarisme.
Le monde de l’aide au développement est profondément marqué par les démarches conséquentialistes. Il n’est que de voir, pour s’en persuader, l’importance donnée au thème de l’efficacité de l’aide et le consensus quant au fait que cette efficacité est un critère déterminant pour le donateur.
La prégnance du principe conséquentialiste résulte sans doute en partie de l’objectif d’intervention temporaire que se donne constamment l’aide (voir point précédent). Le but de l’aide au développement n’est pas d’améliorer les niveaux de vie (18), comme l’est souvent celui de l’aide sociale, mais de les améliorer durablement, c’est-à-dire de produire un effet auto-reproductible. Ce caractère de “transfert une fois pour toutes” de l’aide, même s’il se compose d’épisodes répétés en permanence, ne peut se concevoir que dans une approche basée sur l’évaluation des conséquences. On perçoit à nouveau combien on est éloigné d’une optique de justice redistributive qui mettrait en jeu de simples transferts, et non des investissements, et pourrait s’affranchir d’une démarche conséquentialiste.
Le penchant conséquentialiste des institutions de développement s’est nettement renforcé (ou, tout au moins, élargi à l’ensemble de leur action) avec le temps, à mesure que l’on s’éloignait de l’optique de justice redistributive, comme le montre l’intérêt croissant, notamment de la littérature économique, pour les analyses globales d’efficacité. Cela a suscité une forte exigence autour de l’aide au développement, qui a débouché sur un faisceau de critiques extrêmement denses. Tout système d’aide publique génère, outre des résultats positifs, un certain nombre de conséquences nocives. L’exigence d’aboutir à des effets durables soumet étroitement l’efficacité de l’action à la capacité d’absorption des bénéficiaires d’aide. Une attitude à la fois étroitement conséquentialiste et mettant l’accent sur le caractère “une fois pour toutes” de l’aide conduit à un niveau élevé d’exigence, qui peut fragiliser l’ensemble de l’édifice.
Engagés dans le conséquentialisme, les donateurs d’aide n’ont pu échapper à aucune des difficultés mentionnées ci-dessus comme attachées à ce type de démarches. En ce qui concerne la difficulté d’évaluation des conséquences, on a longtemps considéré que les conséquences globales de l’aide constituaient un sujet trop complexe pour être réellement élucidé. John Lewis, alors président du Comité d’aide au développement (CAD), estimait dans son rapport de 1980 qu’il “n’y a pas plus lieu de demander une preuve de l’efficacité de l’aide que de demander une preuve de l’efficacité de l’impôt“, montrant par là qu’il était influencé par un souci de justice distributive. Cette difficulté technique d’évaluation limitait le conséquentialisme à une partie de l’aide (les projets de nature économique). Aujourd’hui, la position dominante, parmi les économistes, est que l’on a en partie résolu cette difficulté, notamment en découvrant les conditions nécessaires et suffisantes (en l’occurrence de bonnes politiques) dans lesquelles l’aide est ou non globalement efficace (Burnside et Dollar, 1997). De fait, cette “découverte” a été très largement et rapidement critiquée (19). Pourtant, le discours actuel de légitimation de l’aide entretient l’illusion de la résolution de cette première difficulté associée au conséquentialisme (20) (Banque mondiale, 1998).
Regardant le conflit entre conséquentialisme et respect de l’intégrité, les années 80 et 90 ont marqué une accélération dans l’attitude d’ingérence des donateurs. D’investissement, l’aide s’est transformée partiellement en incitation (21). Cette ingérence devenue excessive a, à son tour, été diagnostiquée comme un facteur d’inefficacité, et les analyses économiques sur l’aide ont naturellement abouti à la recommandation alternative d’une sélectivité dans le choix des partenaires (Banque mondiale 1998), permettant de concilier souci d’efficacité et respect du receveur d’aide. Cette évolution paraît logique, mais il convient de remarquer qu’elle éloigne encore davantage l’aide au développement d’un instrument de justice (22), pour la rapprocher d’un instrument de “performance”, et rapprocher du même coup le comportement du donateur d’aide publique de celui d’un investisseur privé. Dans ce sens, Collier et Dollar (1999) proposent, par exemple, une allocation optimale de l’aide pour réduire le nombre de pauvres, selon la qualité des politiques des pays receveurs d’aide : aux réserves précédentes près (23), cette allocation est peut-être performante, mais en quoi est-elle juste ? La “morale du résultat” (Sen, 1993, p. 279) est un choix éthique particulier parmi une gamme étendue de compréhensions de la justice.
On ne peut cependant, en conclusion, que remarquer que cette “fuite” vers le conséquentialisme, guidée par la domination économique de la construction de la légitimité de l’aide au développement, est aussi une façon de prévenir les dangers, au moins aussi grands, des démarches déontologiques : la montée de l’indifférence et la perte de motivation des donateurs.
4. Avec qui intervenir ?
Quatrième dilemme : justice internationale ou justice globale
Sen (1999, p. 118) distingue les notions de solidarités globale et internationale comme des concepts différents. La première relève du grand universalisme, basé sur une considération et des droits égaux donnés à chaque citoyen du monde, en tant qu’individu. La seconde relève du particularisme national, où “l’exercice de l’équité s’applique à chaque pays pris séparément“.
L’humanisme accorde par nature la même considération à tout individu et relève de manière évidente du grand universalisme. En revanche, la préoccupation de justice (ou de justice comme équité) ne prend naissance que dans des “sociétés bien ordonnées“, selon l’expression de Rawls, et nécessite des conditions préalables de proximité ou de solidarité entre individus propices à une démarche de nature contractuelle. C’est pourquoi la plupart des travaux sur la justice se situent dans un contexte national et, lorsque la dimension internationale est envisagée, c’est dans le cadre de la justice internationale relevant du particularisme national.
La légitimation de l’aide au développement repose donc sur la superposition de deux cadres distincts : un de nature humaniste, relevant de la justice globale, et liant les individus entre eux, et un autre issu des préoccupations de justice et d’équité relevant de la justice internationale, et concernant les nations. De plus, Sen (1999, p. 120) ajoute un troisième cadre d'”affiliations plurielles“, de nature intermédiaire, liant cette fois-ci, non plus les individus ou les Etats, mais l’ensemble des institutions représentatives d’une identité à caractère transnational.
On peut relier à chacun de ces grands cadres un type d’aide bien particulier dans la pratique : au cadre global humaniste d’individu à individu sont associées l’aide humanitaire en premier lieu, mais aussi toute l’action directe ciblée vers les populations pauvres en provenance des ONG ou des agences d’aide (représentant le contribuable) ; au cadre international de la justice entre nations correspond naturellement l’aide inter-Etats ; au cadre intermédiaire des “affiliations plurielles“, on peut relier de multiples coopérations reliant des institutions de même nature au niveau international (coopération régionale, coopération entre communes, associations professionnelles, etc.).
Une nouvelle fois, l’évolution de la pensée sur l’aide au développement et de sa pratique témoignent d’un déplacement continu et net en ce qui concerne ce quatrième dilemme. L’optique autrefois quasi exclusive de justice internationale, basée sur les particularismes nationaux et l’aide d’Etat à Etat, s’est affaiblie, tandis que les préoccupations d’humanisme global et de solidarités plurielles gagnaient du terrain, entraînant une diversification importante des modalités d’attribution de l’aide.
La question n’est pas seulement celle des différents niveaux de solidarité et devoir d’intervention, mais aussi du diagnostic sur les causes et les remèdes de la pauvreté. On parlait jusqu’à une date récente de pauvreté des nations (24), entretenant ce que Sen (1993, p. 292) a intitulé la “fiction des nations au coeur battant” (25), en considérant de manière indissociable nations et citoyens. Cela relevait d’une vision étatiste où la pauvreté était vue avant tout comme un manque de biens publics : infrastructures, industries nationales ou systèmes éducatif ou de santé. De ce fait, pauvreté des nations et des citoyens étaient en partie la même chose.
Cette vision n’est plus valable, car il est aujourd’hui admis que la solution à la pauvreté se trouve en grande partie dans les mains des pauvres eux-mêmes, par leurs actions individuelles et collectives, et non uniquement dans l’offre de biens publics nationaux ou internationaux. Cela a conduit à des schémas d’aide plus directement ciblés sur les individus (ou les institutions civiles représentatives) et tendant à élargir le champ de leurs opportunités et capacités. Mais personne ne prétend que la totalité des problèmes se situe à ce niveau ; la question des biens publics nationaux – en premier lieu un cadre macroéconomique et institutionnel performant – se trouve aujourd’hui toujours posée. On remarquera que ce schéma à trois – donateur, citoyen pauvre, institution du Sud (voire à quatre, si l’on compte le contribuable du Nord) – rend presque inévitable une approche au moins partiellement conséquentialiste. Si le devoir est envers le citoyen, on ne peut donner à l’institution sans se préoccuper du comportement de cette dernière envers ce premier.
Le cas qui pose un problème éthique au système d’aide est celui du citoyen pauvre mal gouverné (26). Deux réponses étaient jusqu’à présent proposées, sans qu’aucune ne soit pleinement satisfaisante. La première est de contraindre ou d’inciter, par le biais de l’aide accordée, les institutions à mener des politiques au profit de ce citoyen, ce que la Banque mondiale appelle de “bonnes politiques“. Les deux difficultés liées à cette stratégie sont, d’une part, le postulat de supériorité de la vision du donateur, ainsi que le risque de paternalisme associé, et d’autre part, le devoir d’ingérence qui en découle. La seconde est de court-circuiter les institutions défaillantes et d’offrir directement des services à ce citoyen, à l’aide d’institutions financées par l’extérieur. Cette pratique courante (en particulier, mais pas seulement, pour l’aide humanitaire) suscite également une forme d’ingérence et pose des problèmes préoccupants de coordination et d’efficacité, et plus précisément de durabilité.
La politique de sélectivité, prônée depuis peu par la Banque mondiale, se base sur un diagnostic d’échec de ces deux types d’intervention et propose de se concentrer sur les citoyens pauvres bien gouvernés. On a déjà vu précédemment que cela constituait une solution davantage dictée par l’impératif d’efficacité que par celui de justice (27).
En résumé, on dira qu’auparavant le souci de justice globale était réel, mais transitait étroitement par une pratique de justice internationale et d’aide d’Etat à Etat. Désormais, le caractère global est facilité par une démarche beaucoup plus fondée sur les individus ; en revanche, il n’est pas sûr que le souci de justice soit intact et qu’il n’ait pas laissé place à un simple humanisme global, que la conscience de son impuissance éloigne encore d’une pratique de justice.
On peut retenir quatre principaux points de conclusion de cet examen des principaux dilemmes éthiques qui traversent la légitimité de l’aide au développement, et des déplacements du discours et de la pratique qui ont eu lieu à travers ces différentes alternatives.
Tout d’abord, l’une des explications à la crise de légitimité de l’aide est que, sur les dilemmes examinés – ou au moins les trois premiers d’entre eux -, le consensus actuel se situe sur des positions associées à un engagement a minima vis-à-vis de l’aide extérieure. Le diagnostic des causes de la pauvreté confère une place réduite aux analyses situationnelles ; la préoccupation dominante d’humanisme supplée à tout devoir de redistribution et à l’indignation devant l’inégalité ; un conséquentialisme exigeant met sans arrêt en lumière les limites et les défauts de l’action des institutions de développement.
Le second point est la réponse à la question titre de cet article. La préoccupation de justice, corrective et plus encore redistributive, est peu présente dans la légitimation actuelle de l’aide au développement. L’aide n’est pas conçue ni surtout pensée comme un instrument de redistribution, même si la pratique montre que cette préoccupation est souvent sous-jacente (Naudet, 2000). Il reste sans doute de nombreux vestiges d’une fonction de justice corrective dans les discours et dans la pratique. Mais le souvenir de la responsabilité coloniale s’est éloigné, tandis que les débats sur l’injustice des échanges internationaux se sont atténués, si bien que le dédommagement une fois pour toutes ne fait plus guère partie des justifications actuelles de l’aide. De plus en plus, la préoccupation d’efficacité, dans un cadre globalement humaniste, écarte les fondements éthiques de l’aide extérieure d’une optique de justice internationale ou globale.
La troisième conclusion est cependant que l’on est peut-être parvenu, sur les questions examinées, à une situation d’étiage, qui laisserait supposer que la légitimité de l’aide ne peut plus guère s’affaiblir. A l’inverse, la globalisation devrait normalement redonner force au souci de justice globale. Elle ne peut être vue comme un simple facteur de performance sans contenir une exigence de justice. La globalisation représente peut-être, dans les esprits, la prémisse d’une “société mondiale bien ordonnée“, préalable à la légitimation de l’idée de justice globale. La mise en avant du concept de biens publics internationaux (Kaul, Grunberg et Stern, 1999) est un premier pas dans cette direction.
Enfin, on constatera que ces dilemmes éthiques ne sont guère discutés par les institutions de développement. Le discours de la légitimation de l’aide est étroitement lié à l’économie du développement. Il présuppose sans discussion (et la plupart du temps sans en avoir conscience) des positions éthiques, pour ensuite ne décliner que des options à l’intérieur de ce cadre prédéfini. La recommandation d’une politique de sélectivité, correspondant à des choix éthiques tranchés, est un exemple parfait de ce débat tronqué (28). Une telle politique mérite d’être discutée avec plus de considération et moins de certitudes, plutôt que d’être présentée comme la solution économiquement optimale pour diminuer la pauvreté dans le monde.
La difficulté à traiter les questions éthiques provient certainement de ce que l’on demande aux institutions de développement d’être porteuses de solutions. Elles se tournent alors plus volontiers vers les débats économiques et techniques que vers les débats éthiques, qui, généralement, ne sont avant tout que porteurs de doutes.
En savoir plus :
Banque mondiale, L’ajustement en Afrique: réformes, résultats et chemin à parcourir, Banque mondiale-Oxford University Press, 1994, Washington, 327 p.
Banque mondiale, “Assessing Aid: What Works, What Doesn’t and Why”, World Bank Policy Research Report, Oxford University Press, 1998, Washington, 160 p.
Boltanski Luc et Eve Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, éd. Gallimard, 1999, 843 p.
Burnside Craig et David Dollar, “Aid, Policies and Growth”, Policy Research Paper n° 1777, World Bank, 1997, 48 p.
Carr Stuart, Eilish Mc Auliffe et Malcom Mc Lachlan, Psychology of Aid, Routledge, 1998, Londres, 253 p.
Clarke N. John, “Ethics and Humanitarian Intervention”, Global Society vol. 13 n° 4, 1999, pp. 489-510.
Collier Paul, “Aid Dependency: A Critique”, Journal of African Economics, 8 (4), Oxford University Press, 1999, Oxford, pp. 528-545.
Collier Paul et David Dollar, “Aid Allocation and Poverty Reduction”, Policy Research Working Paper n° 2041, World Bank, 1999, Washington, 42 p.
Hirschman O. Albert, Défection et prise de parole, éd. Fayard, 1970.
Kapstein B. Ethan, “Distributive Justice as an International public Good: A Historical Perspective”, in Kaul Inge, Isabelle Grunberg et Marc A. Stern (eds.), Global Public Goods: International Cooperation in the 21st Century, UNDP-Oxford University Press, 1999, New York, pp. 88-115.
Kaul Inge, Isabelle Grunberg et Marc A. Stern (eds.), Global Public Goods: International Cooperation in the 21st Century, UNDP-Oxford University Press, 1999, New York, 546 p.
Lecomte Bernard et Jean-David Naudet (ed.), “Survivre grâce à l’aide, réussir malgré l’aide”, Autrepart n° 13, éd. de l’Aube, 2000, 211 p.
Lensink Robert et Howard White, Assessing Aid: a Manifesto for Aid in the 21st Century?, mimeo, 1999, 15 p.
Myrdal G., Asian Drama: An Inquiry into the Poverty of Nations, 1968.
Naudet Jean-David, “A chacun selon ses besoins ou selon ses mérites : l’aide doit-elle être sélective ?”, Afrique contemporaine n° 188, éd. La Documentation française, 1998, pp. 184-198.
Naudet Jean-David, “Aider sans excès ou aider sans compter: le dilemme entre solidarité et dépendance”, in Lecomte Bernard et Jean-David Naudet (ed.), “Survivre grâce à l’aide, réussir malgré l’aide”, Autrepart n° 13, éd. de l’Aube, 2000, pp. 173-193.
Opeskin R. Brian, “The Moral Foundations of Foreign Aid”, World Development vol. 24 n° 1, 1996, pp. 21-44.
Rawls John, Théorie de la justice, éd. du Seuil, 1987, 666 p.
Schultz T. Paul, Inequality in the Distribution of Personal Income in the World: How it is Changing and Why, mimeo, 1998.
Sen Amartya, Ethique et économie, éd. Puf, 1993, 364 p.
Sen Amartya, “Global Justice: Beyond International Equity”, in Kaul Inge, Isabelle Grunberg et Marc A. Stern (eds.), Global Public Goods: International Cooperation in the 21st Century, UNDP-Oxford University Press, 1999, New York, pp. 116-125.
Van de Walle Nicolas, “Aid’s Crisis of Legitimacy: Current Proposals and Future Prospects”, African Affairs n° 98, 1999, pp. 337-352.
Notes :
(1) Voir par exemple Lecomte et Naudet (2000) pour une revue de cette littérature.
(2) Baisse d’environ 20% en dollars constants entre 1990 et 1998, dont 5% s’expliquent par une restriction de la liste des pays pour lesquels les transferts sont comptabilisés en aide au développement.
(3) L’évolution de cette inégalité géographique est un premier sujet de controverse. L’écart entre pays les plus riches et pays les plus pauvres croît très fortement; en revanche, l’inégalité mondiale mesurée sur l’ensemble de la population de la planète a plutôt eu tendance à décroître sur la période récente, du fait de la performance des grandes économies asiatiques. Cependant, on estime que l’inégalité géographique (inter-pays) constitue plus des deux tiers de l’inégalité totale, l’inégalité intra-pays ne représentant que le tiers restant (Schultz, 1998).
(4) Ce qui peut être le cas, pour le moins, dans les pays démocratiques, surtout lorsque l’on étend la notion de “mal gouverné”, au-delà de la nature des simples politiques du gouvernement, vers des considérations telles que la gouvernance ou la qualité des institutions.
(5) Contrairement à des injustices dont il se sentirait partie prenante parce qu’elles ont une dimension internationale, comme les conséquences du libre-échange ou des fluctuations des marchés des matières premières, mais aussi à des injustices dont il peut s’imaginer lui-même en victime, comme des catastrophes naturelles ou des épidémies.
(6) On se référera en particulier aux travaux de la Banque mondiale (par exemple 1994, 1998) et à ceux d’économistes tels que Collier, Dollar, Easterly, qui sont les leaders de la pensée moderne sur l’aide au développement.
(7) Ceci est très sensible à la lecture du rapport (à paraître) de la Banque mondiale sur la pauvreté dans le monde, “Attacking Poverty”, qui se consacre essentiellement à conseiller les politiques des pays pauvres.
(8) Ce point est par exemple magistralement illustré par les analyses de Boltanski et Chiapello sur le “nouvel esprit du capitalisme” et le passage de la problématique d’exploitation à celle d’exclusion (1999, notamment p. 426).
(9) On peut par exemple se référer à la célèbre analyse d’Adam Smith, dans The Theory of Moral Sentiment, du sentiment d’un Anglais à propos d’un tremblement de terre en Chine.
(10) Dans Ethique de Nicomaque, livre V.
(11) Un système de préférences commerciales, ainsi que beaucoup d’éléments des Conventions de Yaoundé, puis de Lomé, tels que, par exemple, les systèmes de stabilisation des matières premières.
(12) Que l’on attribue, selon les sensibilités, aux pays riches eux-mêmes (du fait de la traite, puis de la colonisation, et enfin de l’échange inégal) ou à des causes externes (démographie, géographie, hasard, etc.).
(13) Malgré tous les signes qui montrent que c’est devenu un système permanent, et que la convergence n’a pas lieu.
(14) On cherchera en vain, par exemple, une simple mention du besoin de justice internationale dans le rapport de la Banque mondiale “Attacking Poverty” (à paraître), parfaitement représentatif du discours actuel.
(15) Comme, par exemple, dans “la théorie de la justice comme équité, les personnes acceptent par avance un principe de liberté égale pour tous et elles le font dans l’ignorance de leurs fins particulières” (Rawls, 1987, p. 56).
(16) A-t-on le devoir d’intervenir lorsque l’on sait que quelqu’un fait mauvais usage de ses ressources ?
(17) On retrouve ici les options d’exit (sélectivité) et voice (ingérence) analysées par Hirschman (1970) dans un autre contexte.
(18) L’imposante littérature sur l’efficacité de l’aide analyse toujours les effets de l’aide sur la croissance et non sur les niveaux de vie. Une aide qui n’améliore que les niveaux de vie est considérée comme inefficace.
(19) Notamment de manière dévastatrice par Lensink et White (1999).
(20) Voir par exemple Collier (1999).
(21) En conservant la même exigence d’avoir des effets durables et donc auto-reproductibles.
(22) La plupart des théories de la justice admettent que le résultat (en termes de bien-être) doit être différencié selon les individus et dépendre de leurs mérites ou de leurs efforts. Mais cette différenciation doit précisément résulter de l’effet de ces mérites et efforts, et non de la répartition des ressources elles-mêmes. Les théoriciens ne prétendent pas que les ressources doivent être attribuées en fonction des mérites de chacun et qu’il faut, dès ce stade initial, punir les non-méritants et récompenser les vertueux.
(23) Qui sont importantes, car une erreur dans l’évaluation des conséquences, dans une démarche d’ingérence, conduit à une mauvaise incitation et donc à une moindre efficacité, tandis que dans une démarche sélective, cela conduit à une mauvaise allocation et donc à une injustice.
(24) Comme par exemple Myrdal, un des principaux défenseur de la position de justice redistributive entre nations, qui, en 1968, intitulait son ouvrage Asian Drama: An Inquiry into the Poverty of Nations.
(25) Sen cite Cooper pour illustrer la prévalence de cette fiction durant le débat sur le NOEI: “Les débats récents sur le transfert de ressources versent sans nuance dans ce que j’appellerai l’anthropomorphisation des nations, en traitant les pays comme s’ils étaient des individus et en leur appliquant par extrapolation, sur la base du revenu moyen par habitant, les divers arguments éthiques qui ont été appliqués pour les individus” (Cooper, 1977, p. 355, in Sen, 1993).
(26) Ou mal défendu par les institutions (nationales, mais aussi locales ou civiles) censées le représenter.
(27) L’idée essentielle de la sélectivité n’est pas que l’aide est plus efficace dans un environnement de bonnes politiques et de bonnes institutions, ce qui tient du truisme, mais qu’elle ne sert à rien dans un environnement défavorable. Au nom du conséquentialisme et du fait qu’il ne peut y avoir de devoirs inutiles, le donateur est alors délié de toute obligation de justice envers le citoyen pauvre mal gouverné.
(28) Signalons également que la volonté politique d’aller vers une stratégie sélective est affirmée par l’état-major de la Banque mondiale dès 1993. Les premières preuves “scientifiques” de l’optimalité d’une telle démarche sont données par les équipes de recherche de cette même institution en 1997 (Naudet, 1998, p. 193).
Auteur : Jean-David Naudet, économiste au groupement d’intérêt scientifique Dial
Source : L’économie politique, n°7, juillet 2000