L’Église et la misogynie, par Marie-Thérèse Van Lunen Chenu
Alors que les scandales de pédophilie dans l’Église catholique ont permis de rouvrir le débat sur le célibat, il faudrait également s’interroger sur la misogynie de l’institution et le primat du sexe masculin qu’elle a instauré.
La vague des informations sur des cas de pédophilie répétés dans l’Église catholique a suscité de nombreux commentaires qui induisent en retour des appréciations intéressantes. On y lit qu’une première mise en cause de la loi du célibat obligatoire pour les prêtres trouve maintenant d’ardents opposants alors que restent stigmatisés l’immaturité fréquente du choix de vie par de trop jeunes gens, une formation restée longtemps inadaptée dans les séminaires, le manque de relations avec le monde féminin, l’autoritarisme, la culture du secret et du déni dans l’institution ecclésiale.
Je m’étonne pourtant que le débat n’ait pas encore été élargi jusqu’à prendre en compte la question de plus en plus sensible de la marginalisation – voire de l’éviction – des femmes dans les structures de l’institution romaine. Et que les commentateurs ne se soient pas penchés non plus sur un problème de fond : la nature de l’entêtement avec lequel Rome s’évertue à la défense du primat du sexe masculin.
Quels sont donc les causes et les effets de cet attachement exceptionnel de l’institution romaine à un primat du sexe masculin, jusqu’à conduire à sa véritable «sacralisation» dans le cléricalisme ? Une critique qu’on pourrait qualifier de « pastorale » (venue de l’intérieur même de l’Église) a rejoint, depuis au moins une décennie, une première analyse féministe démasquant ce jeu sémantique qui s’obstine à nommer « service » ce qui, choisi et exercé souvent avec la plus grande générosité personnelle, reste néanmoins un monopole et un pouvoir.
On se demande alors comment ce service ultime de la « représentation du Christ pour accomplir l’eucharistie », ce pouvoir-servir qui ne se décline qu’au seul mode masculin n’infléchirait pas l’identité cléricale et, par là même, l’idéalisation et le caractère de refuge que des jeunes gens peuvent y investir ? Et il parait naïf de s’étonner qu’un certain nombre d’entre eux soient tentés d’échapper par là à une identification sexuée exigeante.
Mon propos va donc plus loin que de déplorer ce qu’on appelle pudiquement des « difficultés à vivre la chasteté ». Je parle ici des troubles du comportement qui peuvent être liés à une difficulté non-résolue de l’identification personnelle. Etre capable de s’identifier comme un être masculin c’est pouvoir accepter l’en-face d’une égale partenaire féminine. Et j’avance que l’idéalisation du primat masculin, sa canonisation en quelque sorte, et la justification permanente qui en est faite au moyen du refus de la compétence et de l’autorité des femmes, peuvent troubler le processus d’identification masculine et venir parfois infléchir un choix pour la prêtrise ou la vie religieuse.
Au fond, les causes seraient bien plus imbriquées qu’on ne le pense entre l’interdiction faite aux femmes d’accéder au ministère sacerdotal et l’obligation du célibat pour le prêtre masculin. Ce sont des racines profondes et ténébreuses qui s’entrecroisent entre dépréciation de la sexualité, marginalisation des femmes, primat accordé au sexe masculin, sacralisation du sacerdoce, rapport sclérosé à la tradition et ce gouvernement autoritaire, clérical et mono-sexué.
Ainsi, que l’on se place au-dedans ou au-dehors de l’institution, la crise actuelle désigne comme un enjeu à la fois ecclésial et social la nécessité d’un vrai débat et de changements dont l’importance ne se limitera pas au seul champ religieux. Car l’Église catholique est en retard sur la société pour mettre en oeuvre ces changements qu’on appelle désormais « humains » : en même temps que d’identifier et soigner les causes d’une appréciation négative de la sexualité, il lui faut aussi, enfin, envisager son rapport à la sexuation.
Qui dit « sexuation » reconnait évidemment la bi-sexuation foncière de l’humanité. Par quels moyens faire comprendre alors que l’institution s’est sclérosée et s’épuise tristement dans une approche masculine de la féminité, bien au contraire de ce que fut l’attitude du Christ envers les femmes ? Ce n’est pas « la question des femmes dans l’Église » qui fait problème comme on l’entend dire avec légèreté, c’est celle d’une Église autoritaire qui défend son primat clérical masculin et refuse une confrontation plénière avec une large moitié de ses membres.
Il s’agit là d’un manque structurel lié plus que ne le laisse croire une première apparence aux scandales actuels. On se demande jusqu’à quand Rome pensera pouvoir atténuer ceux-ci par des excuses publiques et une honte affichée « au nom de toute l’Église ». Et jusqu’à quand des femmes, qui furent plus souvent cuisinières que conseillères dans les séminaires, ne s’en désolidariseront-elles pas publiquement ?
Nombreuses d’entre elles sont déjà de fait, avec des hommes parties prenantes eux aussi des réformes nécessaires, sinon en rupture pastorale, du moins en rupture de conscience avec l’institution. Accepter de façon reconnaissante et responsable la sexuation, la sexualité, et donc les femmes d’aujourd’hui comme véritables partenaires, suppose à la fois un travail pluridisciplinaire et un large débat de société et d’Église.
Théologie et ecclésiologie sont conviées : qu’avons-nous fait pour perdre la capacité prophétique du message chrétien qui témoignait du principe de respect des femmes à une époque de misogynie sociale mais qui demeure réduit au silence par son contre-témoignage de sexisme ecclésial dans l’aujourd’hui de parité sociale ?
L’enjeu est majeur pour le catholicisme si celui-ci veut garder sa place au sein du christianisme et sa crédibilité « humaine ». Certains chrétiens, et de plus nombreuses chrétiennes, espèrent encore que la gravité actuelle des mises en accusation et en question pourrait devenir la pierre de touche d’une conversion profonde du catholicisme romain.
Auteur : Marie-Thérèse van Lunen Chenu, membre de Femmes et Hommes en Église et de Genre en christianisme
Source : Témoignage Chrétien, 24 mars 2010