L’Europe, une mosaïque de christianisme
Pour les deux tiers des habitants de cinq grands pays d’Europe occidentale, le message du christianisme est toujours d’actualité. Mais la manière de vivre cette religion est encore très dépendante de la culture de chacun.
Racines chrétiennes ou non, les Européens reconnaissent une place privilégiée à cette religion, sous sa forme catholique, protestante ou même orthodoxe. Dans les cinq grands pays concernés par le sondage Ifop réalisé pour La Croix (France, Allemagne, Italie, Espagne, Grande-Bretagne), deux tiers des personnes interrogées estiment en effet que le message et les valeurs du christianisme sont toujours d’actualité. Mais ce n’est pas le cas pour un tiers d’entre eux. Le christianisme reste donc un élément marquant de la culture religieuse du vieux continent, mais il n’en a plus l’exclusivité.
Alors que le recueil de ces données s’est déroulé au moment où se déployait la polémique autour de la gestion par l’Église des cas de pédophilie, cela ne semble pas avoir influencé les réponses. Preuve que l’ancrage chrétien des Européens est profond, au-delà des vagues provoquées par l’actualité.
Pour autant, et c’est la seconde surprise, il n’y a pas d’uniformisation d’un mode de croire européen, les spécificités nationales persistent. Notamment pour la France, dont la culture laïque transparaît assez nettement dans ce sondage. « Sur toutes les questions posées, les Français répondent de manière plus radicale, tirant la moyenne vers le haut ou le bas », note ainsi Jérôme Fourquet, directeur adjoint du département opinion de l’Ifop.
L’Italie baigne dans un climat culturel profondément religieux
Les Français sont ainsi les plus critiques à l’encontre de la communication de l’Église, ils sont beaucoup plus nombreux à estimer que toutes les religions se valent, (62%, soit le même pourcentage que lors du sondage Ifop-La Croix de 2007 sur la France). Et la moitié d’entre eux jugent qu’il n’y a plus rien à attendre du message chrétien.
A l’extrême opposé, l’Italie se démarque elle aussi de l’ensemble européen. Dans la péninsule, la plupart des habitants estiment que l’Église communique bien. Cette satisfaction est même plus importante chez les plus jeunes (70% des moins de 35 ans) : de l’autre côté des Alpes, les canaux de transmission entre les jeunes générations et l’Église ne sont pas rompus. C’est aussi en Italie que l’on conserve, à 70%, leur crédit au message et aux valeurs chrétiens.
Dans la cartographie européenne des religions, l’Italie est très loin de la France. Sans doute peut-on voir là l’une des explications des incompréhensions persistantes entre le Vatican – qui baigne en Italie dans ce climat culturel profondément religieux – et l’Église de France, terre sécularisée à l’extrême.
L’Espagne : critique, surtout chez les jeunes
En revanche, si les Français dans leur majorité sont fortement détachés du religieux, les catholiques français, eux, affichent un comportement religieux plus marqué que les catholiques italiens ou espagnols : ils sont proportionnellement plus nombreux à se dire attachés aux valeurs chrétiennes, à estimer que l’Église n’est pas assez visible, et que les religions ne se valent pas. Même si, exigeants, ils se montrent encore plus critiques que les non catholiques sur la communication de l’Église (86%).
C’est donc en France que l’opinion des catholiques pratiquants se distingue le plus des autres habitants. « Rien d’étonnant », explique Denis Pelletier, directeur à l’École pratique des hautes études. « Car, minoritaires face à une société indifférente ou hostile, ils se définissent par leur opposition ». Pour ce sociologue, c’est aussi l’un des ressorts du relatif dynamisme des communautés chrétiennes en France : peu importantes mais de ce fait beaucoup plus impliquées qu’ailleurs dans leur Église.
À mi-chemin entre l’Italie et la France, l’Espagne : encore attachée aux valeurs chrétiennes (58%), mais critique, surtout en ce qui concerne les jeunes générations. Plus de la moitié (56%) des moins de 35 ans estime que le christianisme n’a plus rien à dire à la société. La movida est passée par là, et l’Église espagnole vit, de manière accélérée, ce que la France a connu dans les années 1960.
Grande-Bretagne : liberté sans confusion
De leur côté, la Grande-Bretagne et l’Allemagne présentent une configuration religieuse diverse. Dans l’un comme l’autre pays, le pluralisme est une réalité historiquement bien ancrée, avec la coexistence d’anglicans, protestants et catholiques.
Pour autant, la seconde série de questions, autour du rôle des valeurs chrétiennes et des priorités attendues des Églises, trace une assez nette démarcation dans la manière dont chacun de ces deux pays vit le religieux. En Grande-Bretagne, où il a pris un accent très communautariste, domine la conviction que toutes les religions ne se valent pas : chacun pratique différemment, en toute liberté, mais sans confusion.
C’est aussi là que l’on regrette le manque de visibilité des Églises : sans doute la gestion communautariste a-t-elle mis en avant de nouvelles minorités religieuses de manière jugée excessive par les religions plus « traditionnelles ».
Les Européens attendent les Églises «ici et maintenant»
Surtout, pour les Anglais, la religion est une affaire privée : l’Église doit être là pour les moments importants de la vie, et non pour favoriser la paix dans le monde. En Allemagne en revanche, les Églises ont un rôle social reconnu, important et admis, comme une sorte d’institution étatique.
D’une manière générale, remarque d’ailleurs, Jérôme Fourquet, les Européens attendent les Églises « ici et maintenant ». Et ne demandent pas aux religions d’être… seulement religieuses, mais présentes aux failles de la société. Faire connaître le message du Christ vient bien loin après la contribution à la paix ou à la lutte contre la pauvreté.
Auteur : Isabelle de Gaulmyn
Source : La Croix, 1er avril 2010