PÉROU – Situation de l’Église en 2010 par Bruno Van der Maat
Deux ans après avoir publié un premier bilan sur la situation de l’église sud-andine [1], nous avons de nouveau demandé à Bruno Van der Maat, théologien laïc vivant à Arequipa depuis 25 ans, de faire le point sur les évolutions et les blocages institutionnels.
1.- Composition de la Conférence épiscopale et relations Église-État
Ces dernières années la division qui s’était instaurée dans l’Église catholique du Pérou s’est approfondie. D’un côté se trouve un groupe d’évêques qui soutiennent l’archevêque de Lima, le cardinal Juan Luis Cipriani. Ce groupe est composé d’évêques de mouvements comme l’Opus Dei, le Sodalitium, le Néo-catéchuménat ainsi que de quelques autres évêques de la même tendance. De l’autre côté se situe un groupe plutôt hétérogène d’évêques de diverses orientations, unis par le seul fait de s’opposer au cardinal. Ce groupe a réussi, grâce à une majorité obtenue avec une seule voix de différence, à réélire l’actuel président de la Conférence épiscopale, l’archevêque franciscain de Trujillo, Mons. Miguel Cabrejos. La différence d’une seule voix montre bien le clivage parmi les évêques. Le motif de cette différence est la personne de l’archevêque de Lima, le Cardinal Cipriani, de l’Opus Dei, et le modèle d’Église qu’il représente. Beaucoup d’évêques ne supportent pas du tout les prises de positions politiques ni le style autocratique du cardinal. Depuis plusieurs années ils empêchent que le cardinal assume la présidence de la Conférence épiscopale. Le vote étant de plus en plus serré, plusieurs (arch)évêques se font nommer des évêques auxiliaires afin d’augmenter le nombre de votes de leur groupe. Ce jeu politique ne permet pas toujours que les nouveaux prélats répondent aux exigences pastorales du moment, ce qui n’aide pas vraiment à restaurer la confiance que la population avait dans l’Église catholique qui connaît un franc recul face aux diverses communautés évangéliques qui se consolident un peu partout, ainsi que face à une indifférence religieuse croissante, surtout en zone urbaine. L’augmentation de l’importance des évangéliques se voit par exemple dans la double célébration religieuse lors de la fête nationale. Outre la traditionnelle messe de Te Deum célébrée dans la cathédrale de Lima en présence du président de la République et de son gouvernement, depuis plusieurs années un « Te Deum évangélique » est célébré le lendemain de la fête nationale également avec la présence du président de la République.
Cette augmentation de la présence évangélique dans la vie publique et dans la politique (lors des dernières élections présidentielles il y avait un candidat pasteur évangélique) a suscité une réaction dans l’Église catholique que l’on pourrait qualifier de « retour à la chrétienté ». Plusieurs évêques préconisent que l’Église catholique ne peut pas être « réduite » au statut des autres églises et religions, de par son ancrage et sa tradition dans l’histoire du Pérou. Actuellement le Pérou est un État non confessionnel où l’on respecte la liberté de religion, mais où l’Église catholique jouit de plusieurs privilèges, surtout fiscaux. Pour certains évêques l’aide que reçoit l’Église catholique (entre autres le salaire que les évêques reçoivent de l’État) n’est qu’une (maigre) compensation pour le transfert de biens qui a eu lieu lors de l’Indépendance il y a bientôt deux siècles. En outre, ils préconisent que l’aide financière et les privilèges fiscaux que reçoit l’Église soient utilisés intégralement pour des œuvres de charité organisées ou soutenues par l’Église catholique. Cependant cela est difficile à vérifier étant donné que l’Église catholique ne montre aucune transparence dans l’usage de ses ressources et ne rend compte à personne de ses finances, ce qui rend difficile un débat ouvert.
Parlant de biens de l’Église, le cardinal Cipriani vient de remporter une importante victoire légale dans les procès pour le contrôle des biens de l’Université pontificale catholique du Pérou. Par une sentence adoptée à la majorité, le Tribunal constitutionnel lui a donné raison dans un litige qui l’oppose depuis plusieurs années à l’Université sur les conditions d’exécution du testament d’un bienfaiteur de l’Université. Le recteur ainsi que la plupart des professeurs et étudiants craignent une ingérence du cardinal qui pourrait être néfaste pour la meilleure université du pays.
2.- Modèles d’Église en jeu
Au Pérou s’opposent différents modèles ecclésiologiques, dépendant fortement de la formation et de la personnalité de l’évêque du lieu. Dans le Sud, où le poids d’évêques de l’Opus Dei et des nouveaux mouvements comme le Néo-Catéchuménat et le Sodalitium est écrasante, le style est nettement autocratique. Les décisions de l’évêque font loi. En soi, cela pourrait paraître normal si ce n’était que ces décisions sont souvent perçues comme arbitraires car prises sans consultation et – bien souvent – sans connaissance de cause. Plusieurs évêques appliquent une politique de la terre brûlée : avant leur arrivée rien de bien n’a été développé et la véritable évangélisation de leur diocèse commence avec eux. Tout est décidé personnellement par l’évêque, sans aucune possibilité de recours. Rares sont les visites pastorales où les prêtres, religieuses et fidèles peuvent s’exprimer. La communion avec l’évêque se réduit à une obéissance aveugle et sans dialogue. Comme l’exprimait un évêque : « Je n’ai pas le temps de dialoguer ». Un diocèse du Sud, par exemple, n’a pas de vicaire général depuis que le nouvel évêque a pris position il y a déjà plusieurs années, ce qui laisse le terrain libre pour le seul évêque du lieu. Seulement il ne peut pas tout faire tout seul. Aussi la population se plaint-elle que leur évêque n’est jamais disponible car souvent en voyage à Lima ou à Rome.
Il est vrai que les évêques donnent la priorité à certains groupes : en premier lieu leur propre mouvement qui a le vent en poupe. En second lieu, on peut constater une certaine alliance avec les grandes entreprises, surtout les mines, fort importantes dans le Sud. Beaucoup de mines financent directement des projets sociaux ou culturels des diocèses (par exemple la restauration d’églises baroques). Cela n’est pas sans lien avec le fait que le thème de l’environnement est devenu pratiquement tabou dans l’Église du Sud (contrairement par exemple au centre du pays où l’Église catholique est fortement impliquée dans la préservation de l’environnement et où elle critique les entreprises minières et le manque d’action de l’État). La relation entre l’Église et la presse locale permet de passer outre ce thème des mines et de projeter au premier plan les activités pastorales et sociales de l’évêque.
Toutefois, tout n’est pas sous contrôle. Un évêque a été attaqué en justice pour diffamation par le prêtre d’un diocèse voisin, un autre a plusieurs procès en cours pour licenciements arbitraires, un prêtre est en prison accusé du viol d’une mineure, etc. Plusieurs congrégations ont quitté le Sud, les sœurs de Maryknoll ont été obligées de quitter la Prélature de Juli où elles ont travaillé avec la population depuis plus de 40 ans.
Le mouvement de respect et d’adaptation à la culture andine a pratiquement disparu des préoccupations officielles de l’Église du Sud andin. On en revient à la culture d’une « Église Universelle », c’est-à-dire européenne. Tout ce qui avait été développé dans le courant de l’inculturation a été annulé, car considéré comme païen et contraire à la foi. En christologie, la tendance d’une christologie descendante est fortement renforcée, un évêque allant jusqu’à minimiser l’importance des festivités de Noël, car il ne s’agirait « que de l’aspect humain du Christ, Fils de Dieu ». Par contre la dévotion mariale est utilisée pour rassembler les fidèles lors de manifestations qui n’ont pas nécessairement de lien avec la Vierge Marie (comme l’anniversaire d’un diocèse ou l’ouverture de l’année du sacerdoce).
Ce style d’Église cause certaines réactions. D’une part, dans le Sud andin, des laïcs formés sous l’ecclésiologie antérieure de communion et d’inculturation se sont organisés pour se réunir et continuer la formation et l’aide à la population. Les portes des locaux de l’Église leur ont été fermées et tous les évêques du Sud andin ont signé une lettre demandant aux ONG catholiques d’Europe de ne pas financer leurs projets. Ce qui est intéressant c’est que les évêques du Sud andin n’ont jamais émis aucun document pastoral commun ni signé aucune lettre commune si ce n’est celle-ci. La communion ecclésiale n’est pas exactement visible dans la région. Chaque évêque veut installer son propre séminaire diocésain. Face au manque de candidats séminaristes locaux, ceux-ci sont accueillis ou attirés depuis d’autres diocèses.
D’autre part, les communautés évangéliques et les autres groupes para-chrétiens renforcent leurs rangs avec des ex-catholiques mécontents. Une Église parallèle de prêtres mariés a ordonné dans la région plusieurs prêtres et diacres, que la population en manque d’attention pastorale confond facilement avec les ministres catholiques.
La réponse de la plupart des évêques au Pérou est de serrer les rangs, de renforcer l’obéissance et de prôner une évangélisation centrée sur les sacrements. Pourtant les évêques latino-américains réunis à Aparecida en 2007 avaient proposé un chemin d’ouverture et de dialogue pour l’Église du continent. Les deux projets risquent de se confronter encore pendant un certain temps.
Notes
[1] Voir DIAL 2978 – « PÉROU – Situation de l’Église sud-andine ».__________________________________________________
samedi 1er mai 2010, mis en ligne par Dial
Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3107.
Source française : Dial – http://enligne.dial-infos.org
Adresse internet de l’article : http://www.alterinfos.org/spip.php?article4403