L’accord République française-Saint siège sur les instituts d’enseignement supérieur catholiques : position de l’OCL
L’accord du 18 décembre 2008 entre la République Française et le Saint Siège se présente comme une conséquence de la Convention de Lisbonne (11 avril 1997) « sur la reconnaissance des qualifications relatives à l’enseignement supérieur dans la région européenne » et du « processus de Bologne » pour « la construction d’un espace européen de l’enseignement supérieur en améliorant la lisibilité des grades et diplômes de l’enseignement supérieur délivrés par les établissements habilités à cet effet ».
L’Observatoire Chrétien de la Laïcité (OCL) rappelle que la cité du Vatican est un Etat indépendant reconnu mais non membre de l’ONU où il a néanmoins un statut d’observateur comme dans les institutions européennes. Il a aussi des ambassadeurs (Nonces) dans la plupart des pays et auprès de l’Union européenne. Il est représenté dans des centaines d’institutions et commissions internationales, notamment celles qui dépendent de l’ONU, de l’Union européenne ou du Conseil de l’Europe. Cet « État » unique dans son genre a été créé le 11 février 1929 comme représentation temporelle du Saint Siège (vocable qui désigne l’ensemble des institutions d’autorité de l’Église catholique romaine), aux termes des accords du Latran signés au Vatican par le cardinal Gasparini et par l’Italie de Mussolini. Il est le vestige des anciens États pontificaux, le dernier bastion du cléricalisme romain.
Cet accord entre le Saint Siège et la France prétend concerner l’enseignement supérieur catholique sur le territoire national Français. On est très clairement devant une tentative de mettre en place un accord de nature concordataire. En effet sont considérés comme relevant du Saint Siège (représentant l’État du Vatican ou organisation religieuse ?) « pour les Universités catholiques, les Facultés ecclésiastiques et les établissements d’enseignement supérieur dûment habilités par le Saint-Siège ». Or ou bien ces établissements d’enseignement supérieur catholiques sont considérés comme des enclaves d’un Etat étranger sur le territoire français. Il y a donc un problème de souveraineté. Ou bien ils sont des établissements dont la compétence est validée par une institution religieuse, alors il y a une atteinte à la laïcité.
Saisi par des partis, des organisations et des personnalités laïques très diverses -de toutes convictions philosophiques ou religieuses- en particulier des personnes et des associations de l’O.C.L., concernant la légitimité de ce décret, le Conseil d’État, tout en rejetant le recours en annulation, interprète un nombre important de dispositions ou de termes du décret pour les rendre conformes à la loi française. Il estime d’abord que cet accord ne peut pas être pas en référence avec la convention de Lisbonne. La promesse du président de la République d’accorder une reconnaissance automatique aux diplômes des établissements catholiques est dès lors inapplicable. Le Conseil d’État estime ensuite que les stipulations de cet accord « n’autorisent pas les établissements d’enseignement supérieur privés à délivrer des diplômes nationaux et ne permettent pas aux bénéficiaires de titres délivrés par des établissements supérieurs privés ayant reçu une habilitation par le Saint-Siège de se prévaloir, de ce seul fait, des droits attachés à la possession d’un diplôme national ou d’un grade universitaire ». La nécessité de contrôle des aptitudes des postulants par les universités publiques venant de l’enseignement privé, confessionnel ou non, est confirmée. La validation des diplômes obtenus et du contenu des enseignements reste donc « de la seule compétence de l’Université publique ».
L’OCL se demande aussi quel sens pourrait bien avoir la reconnaissance par la France des diplômes ecclésiastiques directement délivrés par les facultés ecclésiastiques sous l’autorité du Saint Siège. L’Etat ne se contenterait pas alors de connaître l’existence d’une recherche théologique, il la reconnaîtrait. Ce qui est contraire à la laïcité. Certains protestants -dans la suite de l’accord avec le Vatican et par soucis de n’être pas moins mal traités que les catholiques sans doute- demandent pourtant la reconnaissance par l’Etat des diplômes de leurs facultés de théologie. L’Observatoire Chrétien de la Laïcité s’y oppose aussi. Il n’appartient pas à l’État de reconnaître ni de censurer les diplômes de nature théologique. En effet on peut espérer – mais non garantir – que les enseignants-chercheurs qui les délivrent travaillent librement car leur autonomie dépend du bon vouloir des autorités religieuses qui cautionnent les instituts privés confessionnels. D’autre part les travaux de théologie sont fondés par nature en même temps que sur des études de nature scientifique et universitaires sur des convictions religieuses respectables mais que l’État n’a pas à cautionner. Quant au dialogue entre intellectuels et chercheurs – quel que soit leur statut universitaire – il doit rester évidemment tout à fait libre dans le cadre d’une société civile démocratique.
Enfin l’objectif de l’autonomie des Universités et institutions d’enseignement supérieur est une des dispositions communes reconnue au sein de l’Union Européenne par la convention de Lisbonne. Cette notion d’autonomie est parfois invoquée pour la liberté de la recherche et de l’enseignement. Il faut néanmoins s’interroger sérieusement sur l’usage de ce concept dans son rapport à la notion de service public dans le cadre de la pensée ultra-libérale. Le service public a entre autres fonctions celle de protéger la recherche universitaire -y compris dans le domaine des sciences religieuses- de la mainmise des intérêts particuliers idéologiques ou des intérêts privés économiques sur ses programmes et ses objectifs. En signant cet accord l’État français n’a-t-il pas souhaité une reconnaissance plus grande du rôle du secteur privé dans l’enseignement supérieur et n’aurait-il pas visé à réaliser le rêve de la droite libérale la plus idéologiquement conservatrice : favoriser une marche progressive vers la privatisation de l’enseignement supérieur ?
Jean Riedinger
secrétaire de l’Observatoire Chrétien de la Laïcité