Les Réseaux des Parvis n°46
Extraits du dossier
Identité chrétienne ?
L’un de nos amis faisait constater la coexistence de trois contingents chrétiens selon leur façon de se situer dans le temps de l’histoire : les chrétiens d’hier que sont les traditionalistes;
les chrétiens d’aujourd’hui qui vivent et expriment loyalement leur foi dans l’esprit du Concile
Vatican II; les chrétiens de demain qui ouvrent des chemins nouveaux pour aller plus loin.
Déjà, initialement, il y avait les judeo-chrétiens et les pagano-chrétiens; il y eut ceux pour qui la nouvelle alliance divine inaugurée dans le Christ était bien dans la continuité de la première et ceux pour qui elle en représentait plutôt une rupture où les codes multiples et complexes de l’attachement à Dieu avaient fait place à une prescription unique et globalisante : celle de l’Amour.
Aujourd’hui, celles et ceux qui se revendiquent chrétiens sont identifiés sous des images très contrastées. Certains investissent très fort leur vocation d’être « lumière pour le monde » et brandissent bien haut leur bannière; tandis que d’autres se reconnaissant comme « levain dans la pâte » oeuvrent plus discrètement au milieu des autres.
Les uns sont identifiés par leur pratique religieuse ostentatoire, leurs conduites dévotes. Ou par leur rigueur morale, leur éthique sexuelle et reproductive. Et sont volontiers donneurs de leçons de bonne observance.
D’autres se replient dans des « vertus passives » : résignation, patience, humilité, optimisme béat, …
D’autres encore s’impliquent généreusement dans des activités compassionnelles auprès de populations captives de leur destin: malades, handicapés, sinistrés de l’existence , …
Et d’autres semblent plutôt se projeter dans un au-delà de la vie et de la mort, de la société, dans un monde futur, divin ou divinisé, qui les excite … ou les hypnotise.
Mais, au-delà de ces attitudes, pas toujours si caricaturales, qui créditent bien peu la proposition de la foi d ans le monde d’aujourd’hui, il y a aussi celles et ceux qui entendent travailler à l’émergence d’un monde nouveau, plus conforme à ce que l’Evangile leur fait pressentir du plan de Dieu pour l’humanité, son « Royaume » disent-ils..Ce sont ceux pour qui les inégalités, surtout croissantes, ne sont pas dans l’ordre normal de la nature humaine et sont même une insulte à la dignité de tous. Ce sont ceux pour qui la misère n’est pas seulement à consoler mais surtout à combattre. Ce sont ceux pour qui les derniers ont vocation, quasi-révolutionnaire, à être les premiers (Mt 19, Mc10, Lc13). Ce sont ceux que la destinée commune de l’humanité, qu’ils appellent « dimension universelle du salut » les fait opter pour un monde solidaire et non compétitif,;coopératif et non concurrentiel.
Pour eux, l’Evangile n’est ni un rituel de règles religieuses, ni un code de vertu moralisant. Il est la rencontre d’un homme, un palestinien, un certain Jésus. Mais, qui est-il donc, celui-là ?
Aucun titre religieux, aucune définition théologique ne peuvent exprimer son identité. Car il est au-delà de toute image et de tout nom, de tout dogme et de toute formule à répéter. Seuls les plus petits auraient même accès à son mystère (Mt 11, Lc 10) …
La seule réponse n’est que dans la relation qu’il ouvre avec telle ou tel. . Et, rejoignant chacune et chacun dans son histoire, dans son cheminement, dans sa conscience, c’est lui-même qui sollicite cette réponse : Pour toi, qui suis-je ? (Mt 16, Mc 8, Lc 9) . Un maître qui sait tout et dont on attend tout ? Un saint ou un prophète ? Un leader ou un complice ? Ou bien un révolté, un exalté, un révolutionnaire ? Ou encore un ami, un compagnon, un frère ?
C’est celui dont je peux dire : Cet homme-là me fascine. La foi des chrétiens est qu’il est toujours vivant et que Dieu, c’est lui. Alors, moi aussi, j’en suis !
Michel Deheunynck
Et vous, qui dites-vous que je suis ?
Dans la foi chrétienne, notre identité se réfère à celle de Jésus, et s’articule donc autour de la réponse que nous donnons à cette question qu’il nous pose.
La plus grande difficulté que nous éprouvons à définir une identité qu’elle soit personnelle ou qu’elle soit collective, comme l’identité nationale ou l’identité chrétienne, est liée à sa permanence dans le temps. L’identité d’une personne implique à la fois une absence de changement, comme par exemple son code génétique ou ses empreintes digitales, mais aussi la permanence d’un « moi », dont les désirs, les convictions, les passions évoluent et qui, en dépit de cela, se maintient dans le temps. Il en résulte une impossibilité à enfermer l’identité dans une définition.
Une façon de l’approcher passe par le récit : lorsque je veux dire qui je suis, je raconte une histoire, mon histoire. Cette histoire se déroule dans le temps, inclut le changement, mais donne aussi unité et sens à l’ensemble : « Le récit construit l’identité du personnage, qu’on peut appeler son identité narrative, en construisant celle de l’histoire racontée. C’est l’identité de l’histoire qui fait l’identité du personnage »[1]. Cette approche nous aide à comprendre à la fois que l’identité est dynamique et qu’elle se construit dans la relation. Elle s’applique aussi bien à l’individu qu’à une collectivité. Enfin, elle met l’accent sur le caractère en partie reçu ou hérité.
Le Jésus de l’histoire ? le Christ de la foi ?
Les épisodes de la vie de Jésus, ses rencontres, ses actions, ses paroles, son enseignement que nous racontent les Evangiles, permettent de cerner une identité en quelque sorte historique, dans une narration à laquelle se mêlent les interprétations qu’en font les évangélistes et donc des premières communautés et, au-delà, les dogmes de l’Eglise.
Alors, suivant que l’on privilégie l’identité « historique » de Jésus ou l’identité « dogmatique » du Christ, on ne donne pas la même définition de sa propre identité de chrétien. Souvent, parmi nous, les dogmes n’ont pas la cote… mais serions-nous tout à fait clairs en nous recentrant uniquement sur le « Jésus de l’histoire » ?
Le père Alain Thomasset[2] a proposé un rapprochement très éclairant avec la notion d’identité narrative.
En effet, dans les Evangiles, c’est bien à la narration qu’est confiée l’identité de Jésus, les récits évangéliques racontant l’expérience que ceux qui l’ont suivi ont faite avec lui. Ces récits, le lecteur les comprend, se les approprie en les mettant en perspective, en les confrontant avec son propre monde, à l’époque et dans la culture qui sont les siennes.
Certaines appropriations collectives ont acquis une force symbolique et l’histoire des dogmes est l’histoire de ces symboles, « à mi-chemin entre récits et concepts »[3].
Mais puisque l’identité d’une personne n’est pas statique, celle de Jésus n’est pas close sur elle-même ; nous nous l’approprions par un travail permanent d’imagination, à partir de la mémoire évangélique confrontée à nos attentes et aux expériences inédites que nous vivons.
Et cela implique qu’apparaissent de nouvelles figures de chrétiens, avec de nouvelles manières de comprendre la personne de Jésus, de l’appeler Christ, et de vivre de lui.
Ce n’est pas de ceux-là, mais de leur absence qu’il faudrait s’inquiéter.
Lucienne Gouguenheim
[1] Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Seuil, 1990
[2] L’identité chrétienne en question, Publication du Secrétariat général de la Conférence des évêques de France n°10, 2004
[3] ibidem