La lettre d’information des jeûneurs-7ème jour de jeûne contre le projet de loi immigration
Bonjour,
Fin du 7ème jour de notre jeûne citoyen. Le moral est bon. Nous avons été reçus ce mardi 14 septembre à l’Assemblée Nationale par cinq députés de différents partis politiques. Ce sera l’objet principal de la lettre du jour.
Avant cela, nous tenons particulièrement à remercier l’ensemble des personnes qui, jour après jour, viennent nous rendre visite. Dans cette action où nos corps doivent nécessairement ralentir, où nous économisons nos pas, nos déplacements, où nous gravissons avec difficulté les escaliers qui se présentent à nous, la lenteur qui s’installe en nous nous permet de savourer ces moments passés sur la petite place Edouard Herriot avec tous ces inconnus, amis, militants d’associations, sans-papiers, personnalités, medias souvent acquis à notre démarche, qui viennent échanger avec nous. Les discussions sont nourries, enrichies des expériences, engagements, inquiétudes et espoirs aussi de chacun. Cela vaut bien des repas.
Pendant ces quelques jours passés ici, nous ne rédigerons pas de dossiers de régularisation, nous n’irons pas dans les CRA ou en préfecture, nous ne manifesterons pas mais parmi nous et nos visiteurs, tous ceux qui au quotidien ou plus épisodiquement se battent pour le respect et l’aide aux sans-papiers auront fait une pause avec nous ici, pour réfléchir et trouver peut-être de nouveaux moyens d’avancer dans cette lutte.
Parmi ces visiteurs, on peut évoquer par exemple cet homme australien venu nous soutenir. Un homme d’une cinquantaine d’années qui a beaucoup voyagé dans le monde et voudrait continuer à apprécier l’hospitalité française sans inquiétudes. Il est atterré par la dimension que prend le débat sur l’immigration en Australie, tant au niveau politique que dans l’opinion publique et les medias, pour une poignée de sans-papiers (3000 à 5000 personnes) qui débarquent chaque année sur le continent australien, où les conditions de rétention sont très sévères. Les australiens blancs aujourd’hui sont pourtant des fils d’immigrés et l’on sait comment ont été traités les Aborigènes.
Citons également la visite de l’association « La Vie Nouvelle » qui soutient les femmes migrantes, en particulier celles sans-papiers, participe à l’observatoire du CRA de Palaiseau et offre un enseignement aux adultes étrangers sur la justice, l’immigration, la démocratie.
A la réunion à l’Assemblée Nationale étaient présents :
Députés : Serge Blisko (PS), Patrick Braouezec (ex-PC), Michèle Delaunay (PS), Sandrine Mazetier (PS), Etienne Pinte (UMP)
Personnalités : Jacques Maury (ancien Président de la Fédération Protestante de France), Dominique Noguères (Avocate et ancienne vice-présidente de la Ligue des Droits de l’Homme), Laurent Schlumberger (Président de l’Eglise Réformée de France), Jean Alzamora (Gisti)
Délégation des jeûneurs : Alain Bosc, Jean Pierre Garbisu, François Gaudard, Jean Baptiste Libouban, Jean Paul Nuñez, Pierre Rozenzweig, Ana Verissimo, Jean Claude Vigour
Accompagnateur jeûneurs : Fréderic Carillon
Les principaux propos tenus pendant cette réunion/conférence de presse sont entre guillemets (citations issues d’une captation vidéo). A noter que seule la Chaine Parlementaire était présente alors que les médias avaient été invités. Un reportage a été diffusé mardi soir sur la LCP et est disponible en ligne.
Jean-Paul Nunez : « Nous sommes des jeûneurs, nous ne sommes pas des grévistes de la faim. Nous ne sommes pas dans une action de chantage mais dans une logique d’interpellation des députés, et en particulier ceux de la Commission des Lois. Et au même titre que ce que fait chacun de nous, nous souhaitons que les députés sortent de la logique des partis pour regarder au fond d’eux, comme nous le faisons, pour rechercher le fond d’humanité qui est en eux. Nous croyons aux vertus de l’exemple, on donne de nous-mêmes, et on aimerait que les députés se retournent vers eux-mêmes et prennent conscience individuellement de ce qu’ils vont engendrer en votant cette loi. »
Pour préciser les termes employés par Jean-Paul, notre choix est l’interpellation des consciences par un jeûne limité dans le temps (10 jours) et non une pression par un jeûne illimité, qui pourrait mettre en danger notre santé physique, et qui est communément appelé une grève de la faim.
Sandrine Mazetier « On assiste à un réveil des consciences depuis cet été. Les dangers sont perceptibles aujourd’hui par tous, dans le projet de loi et les amendements qui ont été rajoutés par le gouvernement, les intentions sont claires et les consignes aussi et au regard de cela, je voulais rendre hommage à l’initiative des jeûneurs »
Michèle Delaunay nous remémore les enseignements des périodes sombres de notre passé, lorsque des lois iniques se mettent en place et amènent peu à peu au glissement vers des régimes qui déclenchent de terribles catastrophes humaines. Nous devons tenir compte aujourd’hui des nouveaux équilibres du monde et élaborer des lois qui tiennent compte des enjeux contemporains, dans le respect des droits fondamentaux.
Etienne Pinte « Je vais commencer en reprenant cette phrase de Camus : vous êtes des éveilleurs (voire des réveilleurs) de consciences et pour moi c’est très important, quels que soient les résultats. […] Un certain nombre de mes collègues n’en pensent pas moins, ce que je regrette c’est qu’ils ne s’expriment point. Je me rends compte qu’un certain nombre d’entre eux sont sur la même longueur d’ondes que nous mais n’osent pas s’exprimer, certains par pudeur, d’autres par discrétion ou encore par manque de courage. […] Et lorsque qu’il faudra voter certains articles, certains amendements et sur le texte lui même, ils prendront leur responsabilité. En tout cas, en ce qui me concerne, je l’ai dit à M. Besson l’autre jour, lorsqu’il présentait son projet de loi devant l’Assemblée Nationale […] je lui ai dit qu’il m’était impossible de voter un tel texte, en tout cas en l’état. Et en particulier en ce qui concerne la possibilité introduite d’élargir les cas de déchéance de la nationalité. […] Avant d’être à l’Assemblée Nationale, j’étais un étranger dans ce pays. Disons que j’ai des raisons supplémentaires d’être contre un tel texte. »
Mr Pinte nous explique qu’il est arrivé pendant la guerre, avec sa famille. Séparés de leurs parents, son frère et lui ont été placés chez des réfugiés républicains espagnols qui eux aussi avaient pu être accueillis en France. Sa naturalisation française est assez récente et il défend depuis longtemps dans son parti ses points de vue pour une politique d’immigration plus humaine.
Serge Blisko : « Nous souhaitons un réveil citoyen qui soit le plus large possible. »
Mr Blisko rappelle qu’un vent mauvais souffle sur de nombreux pays européens qui adoptent des politiques d’immigration très dures. Il juge la déchéance de la nationalité épouvantable, déchéance qui aggrave encore considérablement la discrimination faite aux étrangers sans-papiers. Il appelle à une citoyenneté fraternelle et propose aux jeûneurs d’interpeler toute l’Assemblée Nationale sur la gravité de la situation.
Patrick Braouezec « Ce qui nous réunit tous, c’est qu’on vise à une société plus humaine, et j’apprécie qu’on dépasse dans ces moments-là nos appartenances politiques. […] Parce qu’on touche à des questions cruciales sur le devenir de notre société, qu’on se retrouve au delà de nos attachements partisans. Et cela devrait interpeller chacun de nous au plus profond de ce que l’on est, au delà de notre appartenance politique. Ce n’est pas une démarche humaniste mais humaine. Parce que ce texte de lois est un texte de basculement. »
Mr Braouezec rappelle que les villes de Saint Denis et de Versailles ont aussi connu les occupations de cathédrales et de basiliques par les sans-papiers. Chaque loi accroit les difficultés des sans-papiers. Tout est fait pour les empêcher de travailler, de se loger, pour les pousser à la rue sans revenus et maintenant on voudrait avancer jusqu’à la négation de leur identité. Chaque député devra individuellement analyser et voter ce texte en son âme et conscience.
Dominique Noguères « Nous sommes en train de perdre nos repères dans une société démocratique et dans ce qui a fondé notre République »
Mme Noguères souligne et soutient notre rôle d’éveilleurs de conscience citoyenne dans cette période redoutable. Le fait que les notions d’immigration et de délinquance soient liées, et ce au plus haut niveau de l’Etat, lui est inacceptable. Elle juge honteux que la circulaire sur les Roms, qui a été modifiée dans la précipitation après sa révélation dans les médias, n’ait amenée à aucune réaction de la part des préfets qui se sont tous tus pendant de nombreuses semaines. Ce qui la choque en premier lieu dans le nouveau texte : la déchéance de la nationalité, le recul du droit d’asile (au mépris des conventions internationales), l’éloignement du juge. On a tous besoin des uns et des autres.
Jacques Maury fait une intervention courte en disant approuver complètement les précédentes et souligne que ce jeûne citoyen est un appel à la défense de l’humanité de tous les députés français, ce qui est un fait rare qui mérite d’être souligné. Remarque largement partagée par les députés.
Laurent Schlumberger évoque le grand rassemblement national contre le racisme du 4 septembre, les inquiétudes perceptibles dans la société française, la violence sociale, les demi-mots et les calculs électoraux. Il estime que notre jeûne tire les consciences vers des notions essentielles : nous vivons les uns chez les autres, dans les années à venir nous aurons encore plus besoin des connaissances, des cultures, des compétences, des mains d’œuvre des uns et des autres. Il estime que les peuples doivent bâtir une nouvelle hospitalité internationale. Nous sommes tous des accueillants et des accueillis. Il faut défendre, avec gravité, le troisième symbole de notre devise nationale : la fraternité.
Jean Paul Nuñez conclut pour les jeûneurs que les citoyens français ont collectivement le devoir d’empêcher la France de glisser d’un Etat de droit vers un Etat de police.
Patrick Braouezec conclut en se projetant sur la prochaine alternance politique dans notre pays. Il faudra défaire ce type de lois en proposant une autre conception de l’accueil et de l’intégration des étrangers. Il insiste sur le fait que ce problème n’est pas un clivage gauche / droite mais un clivage entre une vision peureuse et fermée de l’immigration là où il faudrait une vision audacieuse et humaine. Il nous encourage à interpeler l’ensemble de l’Assemblée Nationale de manière percutante sur ce projet de lois.
Nous avons donc rédigé mardi soir une deuxième lettre, plus courte, à l’attention de la commission des lois et l’avons envoyé aussitôt aux députés. Commission qui se réunit le 15 septembre matin sur ce projet de loi Immigration. En voici ci-dessous le texte intégral. Nous préparons également un autre texte pour l’ensemble des députés de l’Assemblée Nationale.
Le texte de la deuxième lettre :
« 7eme jour de jeûne citoyen face au projet de loi sur l’immigration
Madame, Monsieur le député de la Commission des Lois,
Indignés et inquiets du projet de loi sur l’immigration, nous avons rencontré ce mardi 14 septembre à l’Assemblée Nationale des députés de diverses formations politiques, en présence de représentants de mouvements associatifs et religieux.
Ces élus nous encouragent à vous alerter à votre tour. Ce projet de loi est inacceptable.
Outre les aggravations de toutes les dispositions restrictives et répressives, il introduit une rupture grave dans l’esprit et la lettre de notre législation.
Parmi toutes ces dispositions qui nous heurtent, l’une nous paraît extrêmement inquiétante : le recul, voire la disparition, du rôle des juges, qui ouvre la porte à un Etat de police. C’est une brèche qui pourrait s’élargir demain à d’autres situations.
Au delà de votre appartenance à une formation politique, vous êtes des femmes et des hommes dont la responsabilité personnelle est engagée.
Êtes-vous prêt à accepter une loi qui institutionnaliserait une maltraitance pour les étrangers que vous jugeriez intolérable pour vos proches ou vous-même?
Nous en appelons à votre courage et à votre conscience. Ne laissez pas dans l’ombre cette part essentielle de vous-même dans laquelle toute personne doit pouvoir se reconnaître.
Avec toute notre considération citoyenne,
Les 9 jeûneurs de la place Edouard Herriot, le 14 Septembre 2010 »