La revue Parvis et les “sans”
Le numéro 47 de la revue “Réseaux des Parvis” vient de sortir. Nous reproduisons ici l’éditorial. Le dossier consacré à ceux qu’on regroupe sous le terme de “sans” est destiné à nous faire réfléchir à nos engagements, en particulier dans la perspective du rassemblement de Lyon. Nous avons choisi ici l’article de Pascal Vincens, qui est chargé de l’éducation au développement au CCFD-Terre solidaire
C’est aussi une appel à mieux connaître la revue, l’acheter, la lire, s’y abonner… Elle a besoin de vous.
EDITORIAL
En parcourant le sommaire, vous avez pu voir que la rubrique L’événement n’y figure pas. Est-ce à dire qu’il ne se produit rien? Qu’aucun « événement» significatif n’est survenu ces derniers temps ? Bien au contraire. Entre autres, un événement durable, lancinant, tragique, qui nous atteint peut-être nombreux, qui touche beaucoup de nos concitoyens, difficile à cerner, difficile à confier quand on en souffre : le manque. Quel manque ? Le plus honteux, le plus trivial de tous, d’abord, le manque d’argent, lorsque les revenus baissent relativement, lorsque le chômage menace, lorsqu’on atteint la fin des droits, lorsque des indemnités qui aidaient à vivre sont supprimées, lorsque tous les handicaps se font encore plus lourds, lorsque la santé fait soudain défaut, lorsqu’on ne peut plus payer l’abonnement téléphonique, le gaz, l’électricité. Lorsqu’on ne peut plus vêtir ses enfants convenablement, leur épargner les affres de la pauvreté. Le manque de considération ensuite, le manque d’amour, lorsque tout file entre les doigts et qu’on perd l’estime de soi. Lorsqu’on se sent perdu, égaré. Inutile. L’essentiel de ce numéro sera donc consacré à ce mal qui nous ronge, qui ronge l’humanité, ici et ailleurs. Une humanité pour laquelle, justement, le Fils de l’Homme a donné sa vie, au nom du Dieu qu’il nous a dit être Amour! Une humanité très largement pauvre, voire en train de s’appauvrir – tandis que certains ont choisi le dieu Argent et tentent, ayant entre leurs mains tous les attributs du pouvoir, d’organiser le monde entier à leur solde – mais une humanité digne, qui connaît l’injustice dont elle est victime et qui se veut debout. Car tous ces gens de peu, ces gens d’en bas et de rien, qui sont réellement cette humanité, savent que l’attente n’est pas vaine, que l’Esprit a pris le nom d’Espérance, même si tous ne lui donnent pas le même nom. Ils savent aussi qu’il leur faudra sans doute beaucoup de courage et de ténacité pour que justice soit faite.
Fidèles de l’Évangile, nous savons que nous appartenons à ce monde de femmes et d’hommes du « commun », Nombreux sont ceux parmi nous qui se trouvent engagés, dans toute la diversité de nos Réseaux, dans toute la diversité de leurs participations à la vie de la Cité, dans ce combat pour que l’injustice flagrante, répandue en Europe, mais aussi bien sûr dans le reste du monde, soit corrigée.
Ce numéro paraissant peu de temps avant notre Rassemblement de Lyon (11 et 12 novembre), nous avons aussi étendu largement la rubrique Vie des Réseaux, de sorte que vous puissiez pénétrer plus avant dans le foisonnement que nous représentons. Il est le signe même du caractère non dogmatique du christianisme que nous appelons de nos vœux. Il est aussi la preuve qu’il existe parmi nous des forces qui sont non seulement prêtes à féconder l’Église de nouveauté, mais qui tiennent à porter témoignage que l’Évangile n’est pas neutre et qu’il nous appelle à mettre en actes la foi que nous proclamons.
Il y a place, dans les Réseaux, pour un engagement collectif clair, dans le sens que nous venons de lui donner, de tous les groupes qui en ressentiront la nécessité. Peut-être le temps en est-il venu aussi …
Didier Vanhoutte
LA SOLIDARITE INTERNATIONALE COMME SORTIE DE CRISES
« Ecologie, social, libertés : la solidarité internationale comme sortie de crises ». Tel était le titre de l’université d’été de la solidarité internationale organisée par le CRID (1). Rassemblant près de 1000 participants à Pessac, elle fut l’occasion de s’interroger sur la manière de construire un monde plus solidaire. Au CCFD-Terre Solidaire, nous tentons chaque jour de nous inscrire dans ce combat pour un monde nouveau. Au Sud nous soutenons la mise en œuvre de projet de développement portés par les populations locales elles-mêmes. En France, l’éducation au développement et le plaidoyer sont d’importants leviers d’action.
Un contexte mondial de crises
Notre planète n’a jamais été aussi riche. Ses habitants, les Hommes, n’ont jamais disposé d’autant de ressources pour satisfaire leurs besoins fondamentaux. Et pourtant, les inégalités entre eux, entre peuples, entre communautés n’ont jamais été aussi criantes. Plus d’un milliard de personnes souffre de la faim sur notre planète. Plus d’un quart des enfants des pays en développement souffrent de retards de croissance. Deux milliards de personnes vivent encore avec moins de deux dollars par jour (2).
Si quelques progrès notables ont été accomplis, si les Etats de la planète se sont engagés, au sein de l’ONU en 2000, via les Objectifs du millénaire pour le développement à réduire les situations d’extrême pauvreté … la dernière crise financière est venue mettre à mal ces timides avancées.
Aujourd’hui ce n’est pas simplement à une crise financière que l’humanité doit fait face. Mais bel et bien à une conjonction de crises financière, sociale, écologique, politique … qui confirme si besoin était, que le capitalisme néolibéral, modèle de développement dominant ces dernières décennies, nous conduit dans le mur.
De plus, en prenant conscience de la finitude de notre planète, de ses limites écologiques, l’Homme, pour la première fois de son existence, se trouve confronté à un défi nouveau : inventer d’autres manières de vivre ensemble et ce de manière durable.
Refuser l’inacceptable … pour changer le Monde
Dans ce contexte morose, au CCFD-Terre Solidaire, nous continuons de croire que « le développement de l’Homme et de tous les Hommes » (3) est une nécessité urgente. Face aux dérives de ce monde qui conduisent l’Homme à l’échec, nous devons trouver la force de refuser l’inacceptable. Non, il n’est plus tolérable en 2010 de voir les Etats du monde trouver en quelques jours des centaines de milliards pour sauver les banques et afficher une volonté politique quasi nulle quand il s’agit de mettre un terme au scandale de la faim, de l’extrême pauvreté.
Pour que nos concitoyens soient en capacité de refus de l’inacceptable, nous croyons que l’Education au développement est un levier primordial.
L’Education au développement (EAD), de quoi parle-t-on ?
Alors qu’on l’interrogeait sur la manière de mieux appuyer le développement des populations brésiliennes, Dom Helder Camara eut cette réponse : « Si vous voulez que les choses changent chez nous, commencez par les changer chez vous ». Cette réponse nous dit déjà beaucoup sur la nécessité de construire au Nord comme au Sud, des sociétés civiles organisées pour faire face aux défis de notre époque. Elle nous invite à regarder le monde dans sa globalité à partir de nos réalités quotidiennes et locales. Elle nous invite à comprendre les mécanismes qui engendrent le non développement, la misère. Elle souligne qu’il n’y aura de changement qu’à partir d’une action au cœur de nos lieux de vie, en pesant localement sur des décisions qui ont un impact à l’autre bout de la planète. Et bien, l’Education au développement englobe toutes ces dimensions.
Ainsi peut-on définir l’EAD comme un acte éducatif, comme un acte politique au sens noble du terme dont la finalité est bel et bien la transformation sociale du monde. En cela, l’EAD se pose non plus comme un acte de sensibilisation visant à émouvoir nos concitoyens sur la situation de nos frères et sœurs à l’autre bout de la planète pour susciter au final leur générosité. Elle se pose alors comme un processus global dans lequel nous voulons impliquer les citoyens pour qu’ils deviennent des acteurs authentiques de la construction d’un monde nouveau.
L’éducation au développement dit notre Espérance
Croyants au Dieu de Jésus Christ, nous croyons que la vie est plus forte que la mort. En réponse à l’appel de Jésus Christ, par l’éducation au développement, nous voulons appeler à les hommes et les femmes de ce temps, à se lever et à devenir serviteur du développement de leurs frères et sœurs en humanité.
Fidèle à la pensée sociale de l’Eglise, nous voulons placer l’Homme au cœur du monde de demain, l’inventer avec lui convaincu que chacun porte en lui des richesses uniques à mettre au service de la Création.
Par l’EAD, nous disons donc au monde toute notre Espérance, notre soif de justice et de dignité pour tous les Hommes.
Saisir les opportunités
Pour en revenir à la période de crises que nous évoquions précédemment, nul besoin d’être un grand devin pour affirmer qu’elle est appelé à durer et que les plus faibles, une nouvelle fois, en seront les premières victimes. Si ce moment de notre histoire présente des facettes bien déroutantes voire affolantes, il présente aussi des opportunités. Ce qui était interdit hier est aujourd’hui possible. A savoir la critique du modèle de développement dominant et la recherche d’alternatives. En cela, la dernière crise financière aura eu un effet bénéfique. La médiatisation des mécanismes de la finance internationale, en particulier du rôle et de la place des paradis fiscaux, a permis une prise de conscience. Ces mécanismes d’optimisation fiscale, méconnus hier, ont été intégrés comme un élément clé des crises que nous traverson, par nombre de citoyens. A tel point d’ailleurs, que les gouvernements des pays les plus riches ont été contraints d’inscrire la lutte contre ces paradis fiscaux à l’agenda politique international. Avec ces paradis fiscaux, nombre d’entreprises multinationales parviennent à échapper à l’impôt en localisant leurs bénéfices dans des lieux où ils seront faiblement ou pas du tout taxés. Au final, ce sont environ 125 milliards par an d’impôts qui échappent aux pays en voie de développement (4), privant les gouvernements des Etats du Sud de toute possibilité de lutter efficacement contre la misère.
Et ce n’est là qu’un exemple. On pourrait les multiplier à souhait. Un exemple qui prouve bel et bien que la bagarre dans laquelle nous sommes aujourd’hui n’est rien d’autre que celle qui déterminera le(s) modèle(s) de développement qui présideront demain aux destinés de la communauté humaine. L’enjeu est donc de taille et le moment historique. En complément, des enjeux d’EAD que j’évoquais précédemment, l’opportunité d’interpeller fortement nos dirigeants politiques et économiques nous est offerte : ils ne peuvent plus nier qu’il y a urgence à réformer les structures mêmes du monde voire à les refonder. Au CCFD-Terre Solidaire, nous avons pour habitude de mener des campagnes de plaidoyer. C’est-à-dire de faire valoir auprès de nos dirigeants nos exigences au nom du Bien commun. La prochaine d’entre elles sera une mobilisation forte autour des paradis fiscaux puisque, en 2011, le G20 se tiendra en France.
Nous changeons le monde
Le CCFD-Terre Solidaire est largement impliqué dans le mouvement altermondialiste. « Un autre monde est possible » avons-nous l’habitude de proclamer. Autant cette formule donne de la perspective à nos actions, dit notre Espérance … autant elle pourrait laisser croire que nous sommes des utopistes qui attendraient patiemment et presque indéfiniment le jour où un nouveau monde voudrait bien advenir !
Dans la réalité, il n’en est rien. Quand nous soutenons le développement de l’agriculture familiale en Amérique Latine ou Afrique, quand nous permettons le développement d’activités d’économie solidaire en Asie … nous changeons d’ores et déjà le monde et ce de manière très concrète pour des dizaines de familles.
Quand des citoyens français investissent leur argent auprès de Terre de Liens pour le rachat de terres agricoles (5) qui seront mise à disposition de jeunes agriculteurs qui n’avaient jusqu’alors pas d’accès à la terre dans notre pays … nous changeons d’ores et déjà le monde en combattant le modèle de développement qui promeut la seule agriculture intensive comme modèle.
Dans notre engagement de militant de la solidarité internationale, nous ne saurions nous contenter d’une responsabilité limitée qui nous inviterait à dénoncer les ravages qui se produisent chaque jour sous nos yeux. Non, nous entendons exercer notre responsabilité de manière pleine et entière. Non comme un fardeau, une charge qui nous pousserait à la culpabilité. Mais comme une chance qui nous invite à saisir au cœur même de nos lieux de vie toutes les opportunités de reprendre du pouvoir sur les acteurs du modèle dominant en exigeant d’eux qu’ils repensent leurs manières d’agir. Acteurs de transformation du monde, nous voulons l’être à partir de nos territoires !
Pascal Vincens
Directeur de l’Education au développement au CCFD-Terre Solidaire
(1) Centre de recherche et d’information pour le développement, dont le CCFD-Terre Solidaire est membre (www.crid-asso.fr)
(2) Sources : Action Mondiale contre la Pauvreté (www.omd2015.fr)
(3) Populurom Progressio
(4) www.argentsale.org
(5) www.terredeliens.org