“Il faut qu’une société civile chrétienne émerge”, par Jean-Pierre Denis
C’est une première dans le petit monde des “chapelles” chrétiennes. Près de 3 000 personnes sont attendues les 23, 24 et 25 septembre, à Lille, pour assister aux Etat généraux du christianisme, organisés par l’hebdomadaire catholique La Vie (groupe Le Monde). Durant trois jours, une centaine d’intervenants, chrétiens ou non, débattront de questions autour de la défense de l’Eglise, la mise en place d’un nouveau concile, le “care” et le retour de la charité, ou encore, le rapport aux sciences.
A l’heure où le christianisme devient une culture minoritaire dans la société et alors que, depuis plusieurs mois, l’image de l’Eglise catholique est ternie par une série de scandales et de polémiques, la société civile chrétienne doit se faire entendre, défend Jean-Pierre Denis, directeur de la rédaction de La Vie. Une approche qui fait écho à la “minorité créative“, régulièrement mise en exergue par le pape Benoît XVI.
Pourquoi avoir organisé ces Etats généraux du christianisme ?
Jean-Pierre Denis : La succession d’affaires qui ont ébranlé le monde catholique depuis deux ans (évêques intégristes, polémique sur le préservatif, pédophilie…) a occupé le devant de la scène et nous a amenés à nous poser des questions sur la place et l’avenir du christianisme dans nos sociétés sécularisées.
Parallèlement, on se rend compte qu’au sein du christianisme, les lignes bougent, que les clivages anciens entre les progressistes et les traditionnalistes, les chrétiens sociaux et les charismatiques, les protestants réformés et évangéliques, perdent de leur sens. Contrairement à ce qui se passait au XXe siècle, le christianisme n’est plus idéologisé, notamment chez les jeunes. Et alors que l’œcuménisme institutionnel est arrivé au bout d’un processus, un désir personnel de chacun pour l’œcuménisme persiste. Dans ce contexte, on ressent un besoin de débats.
Enfin, cet été, avec les déclarations du pape et des évêques français sur les Roms, les médias ont redécouvert que les chrétiens avaient un discours sur les questions de société, allant au-delà des interdits. Certes, le contexte était particulier : l’intérêt pour la parole de l’Eglise sur les Roms est né du silence de la gauche sur cette question.
Néanmoins, je pense que nous sommes dans un changement d’époque où le christianisme éveille de la curiosité, entre amusement et bienveillance. L’idée de ces Etats généraux est donc de montrer que le christianisme n’est pas réduit au pape et à ses gaffes. Il faut qu’une société civile chrétienne émerge.
Les chrétiens sont-ils armés pour cela ?
Globalement, les catholiques restent très inhibés ; ils ont du mal à assumer leurs choix ou à attester de leur foi. Et quand ils se lancent, ils le font parfois de manière maladroite, agressive ou communautariste. Une conception restrictive de la laïcité et le caractère minoritaire du protestantisme, plus habitué au débat, explique cette difficulté à prendre part aux débats.
Les catholiques sont encore écrasés par le mythe de l’unité de l’Eglise. Ils ont du mal à gérer les voix discordantes et ont tendance à les excommunier assez vite. Les catholiques doivent rentrer dans l’âge adulte c’est-à-dire respecter l’autorité du pape sans idolâtrie ni névrose.
Dans ce contexte, quel est l’état d’esprit des catholiques ?
Cela dépend de qui on parle. Les pratiquants sont habitués à ce que leur vécu ne corresponde pas au message communément envoyé par le christianisme. Ils condamnent la pédophilie, mais connaissent leur prêtre. Ils font aussi la part des choses par rapport au discours du pape, et ce, depuis le texte Humanae vitae qui prônait l’interdiction de la contraception. Quant aux non pratiquants, ils ont la même distance avec l’Eglise que le reste des Français.
L’écart se creuse entre ceux qui connaissent le christianisme de l’intérieur et ceux qui en ont une connaissance lointaine. Et les crises actuelles ne vont pas combler le fossé. Ainsi, le discours de l’Eglise sur le célibat des prêtres ou sur le divorce est aujourd’hui incompréhensible pour la majorité de la population, catholiques compris.
Mais je reste persuadé que les gens attendent de la religion autre chose qu’un code de pensée ou de comportements ; elle doit répondre aux interrogations sur les mystères de l’existence. Or, sur les questions anthropologiques, ils continuent de penser que le christianisme a des réponses intéressantes que l’on ne trouve pas ailleurs dans la société.
Y a-t-il des sujets tabous que vous n’avez pas souhaité aborder lors des débats de Lille ?
Non. Nous aurons des débats polémiques, que ce soit sur les questions internes à l’Eglise ou sur les sujets sociétaux. Nous ferons débattre un abbé traditionnaliste et la présidente de la Conférence des baptisé(e)s, qui incarne l’aile réformatrice, sur les changements nécessaires dans l’Eglise. De même, un débat est prévu sur l’évangélisation, vécue parfois comme une provocation.
Sur les questions de société nous aborderons l’homoparentalité ou le devoir d’objection des chrétiens, un sujet qui monte, notamment face à la question des sans papiers. Dans une société plurielle, et tout en respectant la loi, jusqu’où peut aller la dissidence des chrétiens face à des lois qui leur paraissent immorales ? C’est une question qui va devenir de plus en plus importante à mesure que le christianisme va devenir une minorité culturelle et politique.
Sur un plan plus politique, on a évoqué dernièrement, et notamment après la polémique sur les Roms, la rupture des catholiques avec la droite. Partagez-vous cet avis ?
Du malaise au divorce, il y a un pas qui, selon moi, n’a pas été franchi. Je suis prudent sur le fait que les catholiques, au vu des attitudes, des discours ou des décisions de Nicolas Sarkozy, le lâcheraient en 2012. C’est un électorat qui ne s’abstient pas, qui est structurellement de droite et qui vote moins que la moyenne pour l’extrême droite.
Il ne se reportera que marginalement à gauche, surtout si la gauche met l’accent sur des réformes sociétales. Au premier tour, il peut se disperser sur des candidats démocrates-chrétiens. Mais il faut rappeler que François Bayrou a perdu une partie de cet électorat voix, faute de l’avoir cultivé.
Source : Le Monde, édition du 23 septembre 2010.