Une autre manière d’être Église par Leonardo Boff
L’article qui suit a été publié dans la traduction française de Pierre Collet sur le site de nos amis belges du Réseau P.A.V.E.S. (http://www.paves-reseau.be/).
Il fait suite à un autre article de Leardo Boff intitulé ” Où se situe la véritable crise dans l’Eglise” (http://www.paves-reseau.be/revue.php?id=851).
La lecture de mon dernier article ci-dessus peut en avoir désespéré plus d’un. J’y analysais la structure du pouvoir de l’Église, centralisé, pyramidal, absolutiste et monarchique. Ce type de pouvoir ne favorise pas l’idéal évangélique d’égalité, de fraternité ni de participation des fidèles. Il ferme plutôt les portes à la participation et à l’amour.
C’est qu’un tel type de pouvoir, par nature, a besoin d’être fort et froid. Ce modèle d’église-pouvoir se présente comme l’Église sans plus, et pire encore, comme voulu par le Christ, alors que, comme je l’ai montré, il est apparu à un moment de l’histoire et est seulement son instance d’animation et de gestion, comptant moins de 0.1 % de l’ensemble des fidèles. Par conséquent, il n’est pas toute l’Église mais seulement une partie infime.
Mais l’église-communauté comme phénomène religieux et comme mouvement de Jésus est beaucoup plus que l’institution. Elle trouve d’autres formes d’organisation beaucoup plus proches du rêve de son fondateur et de ses premiers disciples. Sagement, les évêques brésiliens, dans leur réunion annuelle tenue à Brasilia du 4 au 13 janvier derniers, ont admis : « seule une Église avec différentes manières de vivre la même foi sera capable de dialoguer de manière significative avec la société contemporaine ». Avec ceci ils ont rejeté la prétention d’une seule manière d’être : celle de la tradition du pouvoir. Sans la nier, il y a beaucoup d’autres manières : celle de l’Église de la libération, celle des charismatiques, celle des religieux et religieuses, celle de l’action catholique, et même celle de l’Opus Dei, celle Communion et Libération et celle de la Nueva Canción, pour citer seulement les plus connues.
Mais il y a une manière toute spéciale et très prophétique qui est née au Brésil dans les années 50 et qui a pris une dimension mondiale, parce qu’elle a été assimilée dans beaucoup de pays : les Communautés Ecclésiales de Base (CEB). Les évêques leur ont consacré un « Message au Peuple de Dieu sur les CEB ». Curieusement, elles sont apparues au moment où se développait au Brésil une nouvelle conscience historique. Dans la société : le peuple désirait davantage de participation politique ; et dans l’Église : les fidèles voulaient aussi davantage de participation et de coresponsabilité ecclésiale. Les CEB sont une autre manière d’être Église, dont le sujet principal, bien que non exclusif, est les pauvres. Son style est communautaire, participatif et inséré dans la culture locale. Les services sont rotatifs et l’élection démocratique. Elles articulent continuellement foi et vie, elles sont actives dans le domaine religieux, en créant de nouveaux services et rites, et actives dans le domaine social ou politique, dans les syndicats, dans les mouvements sociaux comme dans le MST (Mouvement des travailleurs Sans Terre) ou dans les partis populaires.
Nous ne savons pas avec précision combien il en existe, mais on compte quelque cent mille communautés de base au Brésil, regroupant plusieurs millions de chrétiens. Les évêques constatent leur haute valeur novatrice et anti-systémique. Le marché a éliminé les relations de coopération et de solidarité tandis que dans les CEB on vit des relations fondées sur la gratuité, sur la logique de l’offre-réception-rétribution. Elles ont assumé la cause écologique, c’est pourquoi on comprend aussi les CEB comme des communautés écologiques de base. Elles ont développé une forte spiritualité de respect de la vie et de la Terre Mère. Le résultat de tout cela a été davantage de respect, de vénération et de coopération avec tout ce qui vit et existe.
Les CEB montrent comment la mémoire sacrée de Jésus peut recevoir une autre configuration sociale, centrée sur la communion, sur l’amour fraternel et sur la joie de certifier la victoire de la vie contre les oppressions. C’est la signification existentielle de la résurrection de Jésus comme insurrection contre le modèle du monde actuel.
Humblement les évêques déclarent qu’elles aident l’Église à être plus engagée dans la vie et la souffrance des pauvres. Plus encore, elles interpellent toute l’Église en l’appelant à la conversion, à l’engagement pour la transformation du monde en un monde de frères et sœurs.
Cette manière d’être Église peut servir de modèle pour l’insertion dans la culture contemporaine, urbaine et globalisée. Si elle était choisie comme inspiration pour le projet du Pape Benoît XVI de « reconquête » de l’Europe, ce dernier aurait sûrement un certain succès. On pourrait voir des communautés de chrétiens, intellectuels, travailleurs, femmes, jeunes, … vivre leur foi en articulation avec les défis de leurs situations existentielles. Elles ne prétendraient pas avoir le monopole de la vérité et de la certitude, mais elles associeraient tous ceux qui cherchent sérieusement un nouveau langage religieux et un nouvel horizon d’espoir pour l’humanité.
Leonardo Boff – Brésil)
Notes :
http://alainet.org/active/39873
traduit de l’espagnol par Pierre Collet