Les communautés de base en Europe
Cet article est extrait du n° 6 de la Lettre d’information des Réseaux des Parvis
Les communautés sont des groupes de personnes qui partagent une identité commune. Cette identité est le produit de la rencontre de tous les individus qui la constituent. C’est ce que nous appelons leur identité collective. Les communautés sont établies selon deux axes, l’axe psychologique et l’axe politique.
On peut avoir une communauté ou un groupe de personnes qui se réunissent pour se sentir bien ensemble, en sécurité. La raison d’être d’un tel groupe, ce « bien-être », leur donne un sentiment d’appartenance, le sentiment de faire partie d’un corps plus grand. La dimension psychologique d’un tel groupe est déterminante.
Parallèlement, on peut avoir des groupes dans lesquels la dimension psychologique est virtuellement absente. Nous pouvons imaginer un groupe politique dont le but est de gagner les élections et d’accéder au pouvoir, ne laissant aucune place à l’attention portée à ses membres.
Une communauté ecclésiale saine, du type de celles que nous désirons, devrait idéalement insister sur les deux dimensions. Les catholiques progressistes se rassemblent parce qu’ils éprouvent un urgent besoin d’action politique. Ils veulent faire survenir le Royaume de Dieu, ils veulent changer le monde et atteindre la justice sociale, ils veulent changer la structure de l’Église. C’est la dimension politique de leur communauté.
Le temps passant, ils se rendent compte que le changement n’est pas si facile à obtenir. Si le groupe – ou communauté – n’est pas capable de développer la dimension psychologique, elle stagnera ou cessera de croître. Elle aura de la difficulté à recruter de nouveaux membres. Une communauté a besoin d’offrir à ses membres un espace dans lequel ils peuvent se développer en tant qu’individus, s’épanouir et contribuer à dessiner l’identité collective de la communauté.
Dans l’Église préconciliaire, la grille d’autel coupait l’église en deux espaces délimités: le sacré et le profane. L’un où la sexualité était taboue, l’autre où elle était strictement codifiée. De ce côté-ci se rassemblaient les impurs, les femmes, qui ont des règles et qui symbolisent la sexualité, les hommes qui n’excluent pas d’avoir des relations charnelles avec les femmes, et les enfants. L’autre côté était réservé à ceux qui, par la grâce des Saints Ordres, pouvaient agir in persona Christi et détenir l’autorité. Ils avaient le pouvoir sur les clés du paradis et définissaient la Doctrine et la Tradition, et veillaient à ce qu’elles soient imposées et respectées. Sans leur médiation, il n’y avait nul accès au sacré et à Dieu. Et Dieu était loin, et enfermé dans une petite cage appelée le tabernacle, dont les prêtres avaient la clé.
Le prix à payer pour les hommes – les femmes étaient exclues par définition – pour être cooptés dans le royaume du Pouvoir et du Sacré était de renoncer à tout ce que les femmes représentaient.
Avec Vatican II, une conception différente de ce qu’est une communauté devint acceptable et légitime, alors que, dans l’histoire européenne, ceux qui revendiquaient être les gardiens de l’héritage de Jésus n’ont jamais conçu cette sauvegarde autrement que par la violence et la coercition. Le catholicisme s’est répandu à travers le monde essentiellement par l’épée. Mais le miracle, c’est que cette violence, tout en obscurcissant le message de libération que Jésus prêchait, n’est jamais parvenue à le tuer complètement. Et le potentiel utopique et consolateur de la Bonne Nouvelle a survécu en aidant les opprimés à survivre. Il semble qu’il y ait du vrai dans l’idée que Dieu habite avec les Anawim, les pauvres et les opprimés. C’était la Bonne Nouvelle que les pauvres et les opprimés n’avaient qu’une chance de survivre, à savoir établir une communauté. Additionner leurs faiblesses en vue d’une force: croître et multiplier.
Donc la vie communautaire est centrale dans l’identité chrétienne. [Malgré le choc de la Révolution française], l’Église maintient comme institutionnelle sa structure aristocratique, monarchique et absolue. Cependant elle perd de façon progressive le pouvoir politique. Tout au long des XlXème et XXème siècles, l’éducation atteint des secteurs de plus en plus larges de la société, et une lente révolution culturelle accompagne une urbanisation qui s’accélère, même dans les rangs catholiques.
Des personnalités telles que Joseph Cardjin en Belgique apparaissent, qui comprennent l’importance de s’adresser au monde ouvrier, et de nouvelles formes pastorales naissent, qui permettent aux laïcs de prendre en main la vie de la communauté. La méthode Voir – juger – agir se développe, fournissant au peuple un instrument pour décider de son action, en utilisant l’Écriture comme un paramètre de décision éthique.
Un changement d’attitude à l’égard de la sexualité devient crucial dans le processus de maturation des laïcs catholiques.
Pourquoi Dieu aurait-il créé le plaisir sexuel pour en faire un mal ? Le plaisir sexuel ne pouvait-il réellement recevoir l’approbation de Dieu ? Et si une grossesse conduisant à une naissance que l’on est incapable d’assumer économiquement pouvait être empêchée, pourquoi ne devrait-on pas le faire ? À la publication de Humanae Vitae, une réaction mondiale se produisit. Les laïcs avaient mûri et un processus de séparation entre le religieux et le hiérarchique survint, entre Ecclesia et Ecclesiasiica, selon les mots d’un ami colombien. Vatican II a confirmé l’idée que l’Église était le peuple de Dieu. À partir de là, de nombreuses petites communautés sont nées et devenues visibles à travers le monde, en particulier là où les gens souffraient d’oppression. Mais certaines apparurent dans des pays où il n’y avait pas d’oppression politique, comme l’Allemagne ou l’Italie, et le Tiers-mondisme fut une expression de la conscience grandissante de la « globalisation ». Ces catholiques se sentaient responsables de la justice sociale et de la souffrance des pauvres dans le monde en développement.
Humanae Vitae produisit la première crise. La sexualité faisait problème en termes de droit, le droit à la liberté de conscience au sein de l’Église. De nombreux prêtres quittèrent le ministère, et finirent par créer des organisations de prêtres mariés. En 1975, le Rassemblement pour l’Ordination de Femmes vit le jour. Avec l’élection de Jean-Paul II, la liberté de pensée et de parole fut mise en question, et les protestations au sein de l’Église se firent de plus en plus virulentes. De nombreuses organisations et associations furent créées en Allemagne, en France, aux Pays-Bas etc., dont certaines font aujourd’hui partie du Réseau Européen, ou des Réseaux du Parvis en France, par exemple.
Les Communautés de Base avaient un équilibre harmonieux entre les dimensions politiques et psychologiques. Elles voulaient changer l’Église en commençant par elles-mêmes et par leur vie en tant que communautés.
Le capitalisme généralisait son modèle socio-économique avec la libre concurrence, et le Vatican, allié objectif de Reagan dans son combat contre le marxisme, se tenait aux côtés des oppresseurs, tandis que le peuple de Dieu, l’Église de la base, souvent avec la solidarité de prêtres et de religieuses, organisait la résistance. De cela surgit la théologie de la libération, réprimée par le Vatican. Les communautés de base étaient des sortes de cellules révolutionnaires où l’on faisait l’expérience de la démocratie. Pendant ce temps, le Vatican, sous l’influence grandissante de l’Opus Dei, fit de la diplomatie internationale l’une de ses plus hautes priorités. Le Saint-Siège chercha à assurer une présence dans toutes les instances internationales importantes, tentant, entre autres, d’y empêcher les progrès des droits des femmes et des droits reproductifs.
En 1995, Wir sind Kirche fut créé en réponse au scandale des abus sexuels révélé par le Cardinal Groër à Vienne. En trois semaines, 500 000 signatures furent obtenues pour demander des réformes structurelles fondamentales dans l’Église catholique. Il devait y en avoir 1 800 000 en Allemagne en trois mois. Et en 1996, le Mouvement International Nous Sommes Église était créé à Rome. La même année en Autriche, le premier Synode des Femmes d’Europe se réunissait à Gmunden, et aboutissait à la création de WOW (Women Ordination Worldwide), et les premières ordinations de femmes eurent lieu sur le Danube en 2002. Inutile de préciser que de nombreux autres mouvements européens se joignirent à cette démarche.
Avenir
Les mouvements réunis dans le Réseau Européen Églises et Libertés sont très soucieux de la dimension politique. Mais, au-delà du désir de changer le monde, et même l’Église institutionnelle, nous ne devons pas oublier que nous avons aussi besoin d’appartenir à une communauté dans laquelle nous pouvons faire l’expérience de l’intérêt mutuel et nous développer personnellement. Au fil du temps, les choses apparaissent plus compliquées qu’au début, et le groupe fait l’expérience de ses premières petites crises. Ce sont des expériences bénéfiques si les membres mûrissent, et le groupe peut en sortir plus fort. Des règles sont établies, qui définissent les relations et les prises de décision. Les individus doivent se soumettre à ces règles et les conflits peuvent être évités.
Mais les individus doivent préserver leur droit d’être des individus.
Dans les communautés saines, les gens comptent. Leurs besoins individuels comptent. Les hiérarchies, si elles existent, sont plates, et les responsabilités tournent. Tout le monde apprend de tout le monde et tout le monde a quelque chose à enseigner aux autres. Une communauté saine n’est pas une affaire de pouvoir. Cela n’a pas d’importance d’être le groupe le plus vaste ou le plus influent. Ce qui importe, c’est de lui appartenir, et que tout le monde se sente bien et prospère. Ce n’est pas essentiel d’avoir une continuité, des héritiers ou des successeurs. C’est magnifique d’avoir des groupes qui fonctionnent de façon démocratique, mais finalement ce n’est pas le groupe, le plus important, mais l’individu. Toutes les formes de totalitarisme ont toujours mis les intérêts du groupe au-dessus des intérêts et des droits des individus. Le fascisme. Le communisme. L’Église.
Elfriede Harth
Traduction : Didier Vanhoutte