L’Union européenne a besoin d’une voix laïque forte
Après des décennies de sécularisation et en dépit d’un déclin de la fréquentation, les églises et les groupes religieux accroissent leur influence sur l’élaboration de la politique de l’UE. Le premier demi-siècle de l’intégration européenne fut consacré pour une large part à des politiques d’une nature technique: charbon et acier, marché intérieur. Au fur et à mesure que la coopération diplomatique entre gouvernements européens faisait place à une union politique et à une communauté de citoyens, le besoin s’est fait sentir de définir les valeurs partagées et de discuter de questions éthiques.
Nos valeurs ont déjà été inscrites formellement dans une longue série de traités, conventions et lois. Les traités de l’Union font référence aux valeurs communes et aux droits fondamentaux. La Charte UE des droits fondamentaux, la Convention européenne des droits de l’Homme et la Déclaration universelle des droits de l’Homme des Nations-unies constituent une solide base pour la protection et la promotion de nos valeurs.
Tout naturellement, la société civile, y compris les associations représentant les diverses conceptions, religieuses et laïques de la vie, s’implique activement dans l’approfondissement de la définition des valeurs de l’Union européenne. Cela résulte de l’introduction de l’ Article 17 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européene. Cet article dispose que l’Union “entretient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces églises et ces organisations”. Mais en pratique, le “Dialogue” est très inégal et non-représentatif, du fait que les forces religieuses, en particulier les fractions les plus conservatrices, exercent une influence disproportionnée sur l’élaboration de la politique de l’UE. La voix laïque se fait à peine entendre dans le débat.
La plupart de ces organisations ont des représentants à Bruxelles. Cependant, à la différence des lobbys d’affaires ou des ONG, ces organisations ne sont pas assujeties aux règles en vigueur sur la transparence. C’est là une grave omission, qui rend leur influence politique invérifiable. D’autant plus grave qu’elles ont non seulement les instruments habituels des lobbys, mais qu’elles peuvent appliquer les règles et les sanctions officielles de leur communauté religieuse – par exemple l’excommunication – aux décideurs politiques, les forçant ainsi à voter en conformité avec la doctrine religieuse.
L’Eglise catholique romaine a une position spéciale, le Vatican étant en même temps un Etat. L’UE a des relations diplomatiques avec le Vatican, y compris une embassade. Dans les siècles passés, les pouvoirs civils et les pouvoirs ecclésiastiques étaient étroitement liés et les premiers cherchaient une légitimation divine de leur autorité.
Malgré la séparation officielle de l’Eglise et de l’Etat, nous trouvons encore dans bien des Etats des traces de cette coopération séculaire. Or, les institutions de l’UE sont depuis l’origine purement laïques. Les tentatives d’insérer la référence aux racines judéo-chrétiennes dans le traité de l’UE ont échoué. Mais les dirigeants des institutions de l’UE cherchent à créer des liens spéciaux entre l’UE et la religion. Au sein des services du président de la Commission de l’UE, Barroso, une unité spéciale a été mise en place pour les “Relations avec la religion, les églises et communautés de conviction”. Barroso organise des “Sommets” annuels avec les chefs religieux.
Les critères de sélection des participants sont peu clairs, de même que la procédure d’élaboration des ordres du jour. Ces dernières années les présidents du Parlement et du Conseil se sont joints à ces “Sommets”. Malgré l’absence de base spécifique dans l’article 17, Barroso a choisi de rencontrer séparément les groupes religieux et les groupes laïques. Il n’a accepté de rencontrer ces derniers qu’à la suite de questions et de pressions de membres du Parlement européen. Une attitude similaire fut adoptée par le précédent président du Parlement, qui invita une série de chefs religieux à prendre la parole devant le Parlement en séance plénière. C’est sous la pression qu’il accepta d’ajouter un intervenant laïque à la liste (seule femme, incidemment), mais le président du Parlement lui-même fut, ostentatoirement, absent pendant son intervention de celle-ci devant l’assemblée plénière.
Les débats sont centrés presqu’exclusivement sur un nombre limité de questions touchant les droits fondamentaux, les droits à la santé sexuelle et reproductive, le mariage. La liberté de religion et la liberté de parole sont également un domaine d’intérêt. Les lobbys religieux n’ont pas d’intérêt fort dans d’autres domaines de la politique, tels que les transports ou la concurrence. Dans l’ensemble les plus puissants lobbys religieux représentent des vues conservatrices, parfois même en contradiction avec les droits fondamentaux de l’UE, par exemple l’égal traitement des citoyens gays et lesbiennes. Ils font sentir leur présence sur des dossiers tels que les directives Anti-Discrimination, les droits à la santé sexuelle et reproductive dans le contexte des Objectifs du Millénaire, du Développement , de la coopération au Développement, de la lutte contre le SIDA, ou du financement par l’UE de la recherche sur la cellule souche. Dans de nombreux cas ils réclament des exemptions des droits fondamentaux de l’UE et des exceptions, pour des motifs de liberté de religion.
La version européenne du “Droit Religieux”ne représente pas la majorité des citoyens européens mais n’en a pas moins une forte influence sur l’élaboration des politiques. L’Europe devenant une union politique mature, il est grand temps que la voix laïque soit entendue. Les mouvements laïques sont hautement divers: athées, agnostiques, laïques, humanistes, mais aussi les associatios religieuses libérales telles que Catholics for Choice, les mouvements des droits des femmes ainsi que des droits des gays. Ils partagent l’opinion que la séparation de l’Eglise et de l’Etat s’applique également aux institutions de l’UE et ils défendent fermement les droits fondamentaux de l’UE.
Au Parlement européen, la Plateforme pour la Laïcité en Politique met ensemble des parlementaires et des ONG. Les débats couvrent un large éventail de questions, des droits des gays jusqu’à l’objection de conscience en médecine, de l’apostasie en Islam jusqu’au rôle des Concordats. Les ONG associées travaillent actuellement à mettre sur pied l’Alliance pour la Laïcité en Europe. La Plateforme et l’Alliance oeuvreront pour qu’une voix laïque forte s’élève dans l’Union européenne.
Sophie in’t Veld, Présidente de la Plateforme du Parlement Européen pour la Laïcité en Politique
Traduction Hubert Tournes
Sophie in‘t Veld est membre du Parlement européen, Pays-Bas, dans le Groupe de l’Alliance des Libéraux et Démocrates en Europe. Elle est membre de la Commission parlementaire mixte EU-Turquie et vice-présidente de la Commission des Libertés civiles, de la Justice et des Affaires intérieures.