Francois Houtart : Debout les jeunes !
François Houtart a cette petite flamme qui l’anime et lui a donné la force d’agir. Cet homme est prêtre, sociologue, professeur universitaire, fondateur du CETRI [1] et surtout il a consacré sa vie à la justice sociale et aux gens. Nous avons rencontré ce grand monsieur qui nous parle de son combat, de sa vision de la société et du message qu’il délivre aux jeunes générations.
Entretien réalisé par Camila Campusano
16 décembre 2010
Vous avez plus de 80 ans. Et vous avez mené une vie de luttes. Pour les gens qui ne vous connaissent pas, comment expliqueriez le combat que vous avez mené ? Quelles sont, pour vous, les causes les plus emblématiques que vous ayez défendues ?
La situation dans le monde est telle qu’il y a malheureusement beaucoup de causes à défendre. Une des premières questions dans lesquelles je me suis investi est l’opposition à la Guerre du Vietnam et aux crimes perpétrés par l’agression des Etats-Unis. Ensuite, je me suis tourné vers les colonies portugaises et l’Apartheid, la région de l’Afrique Australe, la Guinée et le Cap Vert. Je me suis également fortement impliqué dans la révolution sandiniste au Nicaragua. J’ai soutenu Cuba et tout ce que l’île pouvait représenter en termes de transformations en profondeur de la société. Dans la même lignée, j’appuie le Venezuela avec sa révolution bolivarienne, la Bolivie ou l’Equateur.
Les causes que vous défendez pourraient être qualifiées d’altermondialistes. Pourtant vous venez d’un milieu plutôt aisé, vous avez choisi de devenir prêtre et vous avez accumulé les diplômes. Comment se fait-il que vous ayez décidé de vous engager dans cette voie-là ?
C’est assez simple. Mon engagement comme prêtre était orienté vers l’aspect de justice sociale qu’on retrouve dans l’évangile, et cette référence à un dieu de justice et d’amour, ainsi que les contradictions dans le monde tel qu’il existe. Cela a pris forme lorsque j’ai rejoint les JOC, Jeunesses Ouvrières Chrétiennes. C’était le mouvement le plus progressiste à l’intérieur de l’Eglise. J’y ai découvert la réalité de la classe ouvrière et notamment des jeunes travailleurs. Cela m’a amené, quand j’ai été ordonné prêtre, à demander de faire des études sociales. C’est pourquoi après mes études à Chicago, je me suis rendu en Amérique Latine. Pendant plus de 6 mois, j’ai visité la JOC dans les différents pays latino-américains. C’était une manière de connaitre le continent par le bas. J’ai été profondément frappé par tout ce que j’y ai découvert. Après cela, j’ai voulu approfondir mes études pour acquérir les instruments qui permettent de comprendre les sociétés. C’est comme ça que j’ai fait des recherches en Amérique Latine, en Asie et mon doctorat sur la sociologie du bouddhisme au Sri-lanka.
J’ai découvert les grandes causes, telles que le Vietnam, les colonies portugaises, les mouvements de libération en Amérique Latine, parce que j’y ai été directement confronté. Je me rappelle que j’avais été invité à Khartoum, à une réunion de solidarité Asie-Afrique avec les luttes des colonies portugaises et d’Afrique du Sud. Et là je me suis demandé si mon rôle de prêtre était compatible avec un engagement dans des affaires aussi politiques. En réfléchissant, je me suis dit que si le fait d’être prêtre m’empêchait de défendre les valeurs de l’évangile, ça n’aurait pas beaucoup de sens. Cela ne m’a pas facilité le travail. Mais pour moi, ce n’est pas possible de faire autrement.
Quel est votre fer de lance actuellement ?
La cause des agrocarburants et de l’énergie me tient particulièrement à cœur. C’est une thématique emblématique de la logique capitaliste face à un besoin réel. Le discours dominant présente les agrocarburants comme la solution alors que c’est une fausse solution. En réalité, cette proposition détruit la biodiversité. Elle demande des millions d’hectares au Sud pour produire de l’énergie, soi-disant verte, pour le Nord. Cela engendre des destructions épouvantables sur le plan écologique et social, en expulsant les petits paysans de leurs terres.
Vous avez fait des recherches et du travail de terrain. D’après vous qu’est-ce qu’il faut concrètement pour défendre des idées telles que les vôtres ?
Il faut une certaine motivation, alliée à une bonne analyse des phénomènes. Sans quoi on peut se faire tromper par des slogans et des informations incorrectes, utilisée comme une arme par les adversaires.
Il faut aussi ne pas rester purement dans la théorie. Il faut toujours confronter la pensée théorique à la réalité. Cette combinaison est essentielle.
Ajoutons à cela, le travail avec les mouvements sociaux. Ils sont les forces sociales qui essaient de porter soit une résistance, soit une proposition d’alternative. Il faut donc rester constamment en contact avec ces mouvements. D’une part, on peut apporter en les aidant dans l’analyse et la réflexion sur leur propre action. D’autre part, ce sont eux qui nous nourrissent car ce sont eux qui vivent cette réalité et ses contradictions. Travailler dans son bureau peut être intéressant mais cela n’a finalement que peu d’impact. C’est pour cela que je continue à voyager et à m’investir sur le terrain.
Vous faites aussi des conférences, vous participez à des cours universitaires, vous avez un pied dans le CETRI aussi. Qu’est-ce qui vous occupe d’autre actuellement ?
Oui, c’est ce que je fais… Je crois que tant qu’il y a moyen de faire une multitude d’activités, il faut le faire. Je remplis mon rôle de prêtre aussi, j’accompagne des gens, je célèbre des baptêmes et des mariages ou je préside des cérémonies d’enterrement. Je cherche à donner un sens à la vie des gens, indépendamment de leurs croyances religieuses.
Vous avez reçu le prix Unesco pour la tolérance et l’action non violente en 2009. Qu’en avez-vous pensé ?
Quand on m’a annoncé que j’étais nominé pour le prix Unesco, je n’y croyais pas beaucoup mais finalement je l’ai obtenu. Aussi étonnant que ça puisse paraitre, c’est en fait le gouvernement cubain qui m’a proposé comme leur candidat. Cela a marché.
Le prix récompense « la tolérance et l’action non violente » mais il m’a été accordé pour mon action sociale dans les différentes parties du monde. Dans mon speech lors de la réception du prix, j’ai précisé que j’étais en faveur de la tolérance et l’action non violente. Mais il existe des situations intolérables et une violence est présente dans l’organisation des sociétés. Alors je voulais bien définir le sens de ce prix là pour moi. Et en réalité, ce genre de prix représente l’occasion de remettre en valeur toutes les idées de l’altermondialisme et des luttes sociales d’aujourd’hui, face aux crises dans lesquelles nous nous trouvons et face au défi énorme devant lequel se trouve l’humanité dans son ensemble.
Quel serait le message que vous auriez envie de faire passer aux jeunes générations ?
Les jeunes devraient prendre conscience des mécanismes qui définissent la société. Ils construisent ou vont construire la société de demain, sans vraiment connaitre les fondements du monde qui les entoure. La mémoire historique est également indispensable. Ce sont des outils fondamentaux pour mener une lutte pour un changement de la société. Il ne faut pas suivre les pistes d’évasions qui réduiraient à néant toute possibilité de transformation des sociétés. Or tout est mis en œuvre pour qu’on n’ait pas les instruments d’analyse nécessaires, notamment via l’éducation. Cela demande donc un effort considérable de la part des jeunes. Ils ne doivent surtout pas perdre leur énergie transformatrice et s’endormir avec toute une série de gadgets et d’activités. Les grands pouvoirs économiques et politiques, qui orientent le monde, ne demandent qu’une seule chose, que les gens restent passifs.
Il faut donc une jeunesse informée, consciente et qui se bouge pour transformer la société en quelque chose de mieux. C’est l’adage de toutes les générations, à condition d’avoir tous les instruments qu’il faut pour comprendre la société et la volonté qu’il faut pour s’engager efficacement.
J’ajouterais qu’il est très important d’avoir une référence solide pour tous les engagements qu’on prend. J’entends par référence solide, une base de convictions fondamentales. Cette base de convictions peut être la foi religieuse. Pour moi, c’est une base très importante parce qu’elle est l’affirmation des valeurs de justice, d’égalité entre les être humains, en référence à un transcendant. Cette base de référence peut aussi être un humanisme profond, comme on l’a connu chez Marx, par exemple. Sans base fondamentale, on peut partir dans toutes les directions. J’ai vu tellement de gens de la gauche radicale devenir, avec le temps, les meilleurs néolibéraux qui soient.
Note :
[1] Le CETRI est une ONG. C’est un centre d’étude, de publication, de documentation et d’éducation permanente sur le développement et les rapports Nord-Sud. Le CETRI a pour objectif de faire entendre des points de vue du Sud et de contribuer à une réflexion critique sur les conceptions et les pratiques dominantes du développement à l’heure de la mondialisation néolibérale. http://www.cetri.be/