Les réfugiés mis au frigo
Selon le HCR, environ 200 000 réfugiés ne peuvent, chaque année, ni rentrer chez eux ni rester dans les pays qui les ont accueillis. L’Union européenne en aide considérablement moins que ne lui permettent ses ressources et capacités. Une opinion de Rui Tavares, Député au Parlement européen et coordinateur de la commission Libe pour la GUE.
Les réfugiés sont parmi les personnes les plus vulnérables au monde. Dans cet article, nous vous parlerons des plus vulnérables parmi les vulnérables. Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), chaque année, environ 200 000 réfugiés ne peuvent ni rentrer chez eux – ils y risqueraient leur vie – ni rester dans les pays qui les ont accueillis, en particulier les pays de transit qui n’ont pas signé la Convention de Genève de 1951 – n’étant pas autorisés à y travailler dans la légalité, chavirant ainsi dans des conditions précaires induites par le travail illégal. Les instances internationales elles-mêmes le reconnaissent : la seule hypothèse durable pour ces populations s’avère être la réinstallation. En d’autres termes, offrir à ces personnes une nouvelle vie dans un pays tiers d’accueil.
Répétons-le : il s’agit ici d’une petite minorité parmi les millions de réfugiés dans le monde, dont 90 % souhaitent regagner leur région d’origine. Des individus que les autorités internationales, et notamment le HCR, connaissent particulièrement bien. Ce dernier a confirmé les cas de persécution et ces réinstallations prioritaires concernent des réfugiés victimes de violences physiques ou sexuelles, y compris la torture, ceux qui ont besoin d’un traitement médical qu’il est impossible de donner dans les camps, ceux qui risquent leur vie là où ils se trouvent ainsi que les enfants non accompagnés dont la réinstallation est, certainement, dans leur meilleur intérêt. Tous les cas sont documentés, les dossiers sont suffisamment détaillés et ont été examinés un par un afin de vérifier, entre autres, si parmi eux ne se trouve aucun criminel de guerre. Les réfugiés dont nous parlons ont des papiers, sont reconnus par les instances internationales et l’Union européenne n’a aucun doute quant à l’urgence de trouver une solution durable pour ces personnes.
Ceux qui ont visité ces réfugiés vivant dans des camps ou en milieu urbain et dont le statut a été, pour tous, certifié par le HCR, savent que leur vie peut rester en suspens pendant des années avant qu’une solution ne soit trouvée.
La bonne nouvelle, c’est que cette solution existe. Près de la moitié des réfugiés à réinstaller chaque année ont vu leur situation se dénouer grâce à l’aide de plusieurs pays. A commencer par les Etats-Unis, qui réinstallent près de 80 000 réfugiés par an. Si nous ajoutons à cela les quelque 20 000 qu’accueillent d’autres acteurs tels que le Canada et l’Australie ou, plus récemment, le Brésil et le Chili, nous atteignons les 100 000 réfugiés réinstallés chaque année. Il nous reste donc à trouver une solution pour l’autre moitié.
Et la mauvaise nouvelle, c’est que l’Union européenne en fait considérablement moins que ne lui permettent ses ressources et capacités. Sur les 27 Etats membres, dix se sont engagés à réinstaller des réfugiés, ce qui permet d’offrir une solution à uniquement 4500 cas chaque année – un nombre qui se trouve à des années-lumière de ce que font les Etats-Unis et bien en deçà des ambitions et des responsabilités que l’UE est censée assumer en tant qu’”acteur global”.
En 2009, le gouvernement suédois – qui présidait alors l’UE – a déclaré qu’il était possible d’atteindre les 100 000 réinstallations par année en Europe. Si nous passions à l’acte, nous pourrions réaliser un fait sans précédent : régler un problème humanitaire. C’est dans ce but que la Commission européenne a proposé d’effectuer des modifications au Fonds européen pour les réfugiés et a soumis sa proposition au Parlement. Pendant le travail législatif, l’enthousiasme était patent : nous avons augmenté les fonds mis à disposition des Etats membres de l’Union, tout en accordant une attention particulière aux 17 pays qui n’ont pas encore participé à des programmes de réinstallation; nous avons établi des catégories de réinstallation et permis une concentration des efforts dans des régions considérées comme prioritaires; nous avons prévu des mécanismes de facilitation des opérations d’urgence en cas de catastrophe, de crise et d’imprévus; nous avons proposé la création d’une petite unité consacrée à la réinstallation. Une large majorité du Parlement, allant des communistes aux conservateurs, a approuvé un texte final en mai dernier.
Puis vint le temps de l’attente et, après l’attente, celui de la déception.
En juillet, la présidence belge a entamé ses travaux et les premiers échanges furent positifs. Il y avait un réel consensus entre la Commission, le Parlement et le Conseil concernant les mesures à prendre, et ce large consensus a d’ailleurs été, à plusieurs reprises, réaffirmé lors des réunions qui ont eu lieu à Bruxelles et à Strasbourg. Mais la présidence de l’UE n’a pas mené à terme le processus de codécision, le Conseil n’ayant jusqu’à présent pas voté ce texte pourtant approuvé par le Parlement il y a déjà huit mois. Autrement dit, ni réponse négative ni réponse positive, mais un droit de veto tacite probablement exacerbé par une interprétation ésotérique du traité de Lisbonne.
C’est la présidence de l’UE qui détermine les priorités et l’ordre du jour du Conseil. Et c’est à elle que revient le pouvoir de conclure le processus de codécision. Cette attitude nous a surpris et déçu. Elle est révélatrice d’une grande froideur et d’une insoutenable négligence vis-à-vis de ces réfugiés qui attendent toujours dans des camps, vivant dans des conditions d’extrême précarité. Tout le monde s’accorde à dire qu’ils n’ont d’autre solution que d’être réinstallés et l’Europe peut les y aider. Constater qu’elle ne le fera pas pour des raisons purement institutionnelles est grave, voire cruel.
Ne l’oublions pas : il s’agit ici d’êtres humains. Et ces impasses institutionnelles se paient en conséquences réelles : nous allons perdre une année (2011) de soutien financier aux nouveaux pays d’accueil et nous ne serons donc pas en mesure de fermer des camps de réfugiés tels que Al Hol, en Syrie, où la sécheresse sévit depuis plus d’une décennie, où les enfants qui y vivent poursuivront, une année de plus, leur scolarité dans des conditions inacceptables. Il s’agit d’une énorme défaite pour tous ceux qui se sont engagés dans ce combat, et c’est ajouter encore un peu plus au désespoir de tous ces réfugiés. Personne n’y gagne; mais il y en a qui perdent du temps de vie.
Il est donc légitime de se poser la question suivante : pourquoi les réfugiés n’ont-ils pas été une priorité pour la présidence belge de l’UE ?
Source :
http://www.lalibre.be/debats/opinions/article/637049/les-refugies-mis-au-frigo.html
Mis en ligne le 19/01/2011