A propos de la béatification de Jean-Paul II
Notre ami Jacques Haab, de NSAE, réagit ci-après à l’annonce de la béatification de Jean-Paul II par son successeur Benoît XVI le 1er mai 2011 et dresse un inventaire résumé de ce long règne de 27 ans (« L’Eglise de Jean-Paul II »).
Il y a plus d’un an, on a commencé à entendre le Vatican parler sérieusement de “sanctification” pour Jean-Paul II (soi-disant sous la pression du peuple: tiens c’est curieux on entend le peuple? ), j’ai essayé de résumer l’histoire de son règne. J’ai depuis longtemps remarqué que la stratégie choisie par lui, pour (re)donner de la visibilité brillante à l’Eglise était contenue dans son système de “Nouvelle Evangélisation” : ce qui comptait dans l’urgence, ce n’était plus de montrer que l’Evangile était d’une modernité de tous les temps, et qu’il fallait donc reconnaître les signes de chaque “temps” comme l’avait considéré Vatican II. Sur ce point, d’après Jean-Paul II, le Concile avait voulu aller trop vite et cela déboussolait beaucoup de gens, même de fidèles (de toutes sortes, y compris parmi les plus utiles sur différents plans).Il fallait donc repartir sur d’autres bases: c’est ce qu’a fait ce Pape.
C’est comme ça que je l’ai vu !
Jacques Haab – 22 janvier 2011
L’Eglise de Jean-Paul II (octobre 1978 – avril 2005)
On met beaucoup en évidence ses appels à la paix (ex. Palestine, Irak) et les Rencontres interreligieuses d’Assise -il est rayonnant au centre de la photo de groupe- (1988, 1993, 2002), mais cela ne doit pas voiler sa « Nouvelle Evangélisation » (qui, par tactique ou conviction, a pris ses distances par rapport à Vatican II). Les moyens choisis pour la mise en œuvre de celle-ci ont été par exemple :
• Montrer une Eglise solidement gouvernée (pour les ceux qui sont –ou se disent- déboussolés par les crises et par une application trop large de Vatican II )
UNE MAIN DE FER….
* Dès juin 1981, nomination d’un homme de confiance, Joseph Ratzinger (JR), à la tête d’un rouage central du Saint-Siège : la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (CPDF). JR avait déjà manifesté ses réticences envers des applications trop progressistes et donc déconcertantes du Concile. A partir de ce moment on peut dire que JR c’est JPII et réciproquement. Beaucoup y ont vu une sorte d’adoubement pour une succession.
* Juillet 1980 (voyage au Brésil) les attaques commencent contre la théologie de la libération car elle favorise la trop grande indépendance des communautés de base par rapport à l’autorité hiérarchique.
* Un instrument sûr : l’Opus Dei devient prélature autonome au service du pape depuis octobre 1982
* Nomination d’évêques conservateurs pour freiner les « conciliaires » : un peu partout. Cela a commencé par l’Amérique latine, puis l’Autriche, les Pays-Bas, la Suisse…
* Excommunication de Lefebvre et ses évêques qui n’obéissent pas au pape, septembre 1988
* Le serment de fidélité à la hiérarchie est de nouveau imposé au clergé, mars 1989
* A partir de mars 1990, beaucoup d’interventions du pape (homélies ou discours) montrent la volonté d’étendre les cas d’infaillibilité.
* Révocation de Jacques Gaillot, janvier 1995.
* Motu proprio Ad tuendam fidem,mai 1998 : les croyants doivent un assentiment ferme et définitif aux doctrines(morale individuelle ou sociale, foi) proclamées par le Magistère infaillible.
* Motu proprio Apostolos suos, mai 1998 : la faculté d’initiative des Conférences épiscopales est réduite.
* Octobre 2002 : un signe fort : canonisation de Balaguer (fondateur de l’Opus Dei)
• Avoir une influence au plus près des milieux dirigeants (pour faciliter l’action de l’Eglise dans la société, donc son développement)
* Novembre 1981 : création de la COMECE (bureau de l’Eglise à Bruxelles, dont le but est d’intervenir, dans son intérêt, auprès de la Commission européenne et du Parlement)
* Discours de Compostelle, mai 1982 : Vieille Europe, ne renie pas tes origines chrétiennes ! Ensuite, J-P II insiste : les « racines chrétiennes » de l’Europe doivent être inscrites dans la Constitution. Cela permettra d’éviter des décisions non conformes aux lois de l’Eglise. Discours au Parlement européen, septembre 2000 ; Ecclesia in Europa, juin 2003.
* Nombreuses rencontres au sommet (Vatican-Etats) : ex. en 1982, cordialement avec Reagan ; avril 1987, aimablement avec le « très catholique » Pinochet) : Jean-Paul II interviendra en 1999 pour que celui-ci ne soit pas jugé mais libéré ; janvier 1995 : Chirac présente la « fille aînée de l’Eglise » au Vatican. Réceptions officielles des Etats, toujours appréciées, lors de tous les nombreux voyages du pape.
* Nomination du cardinal Tauran comme « ministre des affaires étrangères » du Vatican, décembre 1990. Sa mission : essayer de généraliser les concordats partout : l’Eglise « partenaire » donnant-donnant de l’Etat. En 2001, Tauran critique la laïcité française devant l’Académie des Sciences morales et politiques. Il rencontrera plusieurs fois les évêques de France pour leur vanter les bienfaits d’un concordat.
* Félicitation au gouvernement français qui a accepté enfin une institution de concertation permanente d’égal à égal avec l’Eglise (représentée par le président des évêques, mais aussi le nonce), février 2002.
• Conserver ou retrouver le plus possible la « tradition »
1. Pour ceux qui ont eu peur des libertés et de l’engagement des chrétiens avec tous pour la justice, promus par Vatican II :
* 1980 : voyage au Brésil. Premières mises en garde contre la théologie de la libération (TL). La tradition est que l’on ne prend pas le risque d’œuvre avec des « communistes » qui mettent en cause la propriété privée : c’est contraire à la Doctrine sociale. Janvier 1983 : attaques de la CPDF contre Guttierez, théologien péruvien de la libération. Mise au pas des Jésuites après l’effacement d’Arrupe (1983). Mai 1984 : Leonardo Boff (Brésilien) est convoqué au Vatican pour être jugé. (En 1985 son livre récent sera condamné.) Septembre 1984 : Instruction contre la TL, signée par la CPDF de Ratzinger et Jean-Paul II : elle sera complétée en 1986.
* Les théologiens en général (et exégètes) ont pris trop d’indépendance de jugement. Parallèlement aux condamnations de la TL, puis de la CLAR (Conférence latino-américaine des Religieux) dont le projet Parole et Vie est cassé en 1989, des théologiens,les uns après les autres, sont privés d’enseignement : Schillebeckx, Balasuriya, Curan, Küng, Drewermann, Curran, Dupuis… En janvier 1989, 163 théologiens avaient dénoncé une « mise sous tutelle ». Pour Veritatis Splendor (1993), les audaces créatives des théologiens font verser dans le « relativisme ». (Le relativisme est également stigmatisé en 1999 par Ratzinger invité à un Congrès d’étude sur Vatican II : on a interprété trop largement Lumen Gentium, en particulier dans le concept de « Peuple de Dieu »). Discours de JP II à la CPDF : il exige la soumission absolue des théologiens au Magistère(1997).
* Le statut de clerc par rapport à celui de laïc est intouchable : rappels du caractère sacré et de l’obéissance aux « vœux » (dont la chasteté bien sûr), et par opposition, rappel de la « sécularité » des laïcs: Lettre aux prêtres d’avril 1990 ; homélies de 1993. Dès 1982 il est réaffirmé que la prêtrise est interdite aux femmes.
* Rappeler que, depuis toujours, seule l’Eglise catholique peut transmettre la vérité :
– La foi transmise par l’Eglise ce n’est pas autre chose que la raison : Fides et Ratio (oct. 1998). Ratzinger vient le redire en Sorbonne l’année suivante.
– Le projet œcuménique ne doit pas faire oublier que les communautés chrétiennes séparées ne sont pas des Eglises, elles : Dominus Jesus (sept. 2000)
– L’Eglise se dit compétente sur pratiquement tous les aspects de la vie sociale : Ecclesia in Europa assure qu’« une cité digne de l’homme doit s’inspirer de la Doctrine sociale de l’Eglise ». Celle-ci sera rassemblée en 2004 en plus de 500 pages !
– De même pour la morale privée et l’éthique : Jean-Paul II réaffirme sans cesse que les seules règles valables sont celles de la « loi naturelle » (contre avortement légalisé). Avec l’obsession habituelle sur la sexualité (horribles pilule et contraceptif). Le concept de « culture de mort » s’adresse aux contrevenants. (Donum vitae, 1987 et Evangelium vitae,1995). Ratzinger tonne contre les unions homosexuelles (2003).
2. Pour tenter de récupérer les nostalgiques du passé dont certains sont allés jusqu’au schisme :
ils se retrouvent donc bien dans la plupart des directives de la Nouvelle Evangélisation mais ils ont fait, des manifestations visibles de la foi, une sorte de bannière de ralliement : Là aussi, c’est, morceau par morceau, les initiatives prises dans l’esprit du Concile, qui sont remises en cause pour les rassurer.
Les 3 voyages de Jean-Paul à Fatima (1982, 1991,2000) peut leur plaire : on sait la « philosophie » de ce pèlerinage. Les voyages à Compostelle avec leur cérémonial immuable et grandiose, également.
Octobre 1984 : Décret autorisant la messe de « Saint-Pie V », mais sous autorisation, et parallèlement au nouveau missel.
Le cardinal Castrillon Hoyos, président de la Congrégation du Clergé, explique une « Lettre de JPII » aux prêtres : Les prêtres de notre époque ignorent « l’authentique théologie dogmatique du ministère ordonné », ils sont comme « laïcisés » y compris par l’abandon de la soutane…(1997)
Décembre 2000 : Ratzinger dénonce une liturgie moderne qui a « banalisé le mystère » et n’étonne plus assez le grand public : auparavant, un côté « ésotérique » (l’usage du latin par exemple) était reconnu comme utile…
Juin 2001 : Ratzinger, encore : « L’Esprit de la liturgie » : des « abus » ont été encouragés à la suite de la messe postconciliaire de Paul VI.
• Rendre l’Eglise attractive
Pas facile avec le style général de la NE, mais on espère atteindre ainsi, pour les retenir ou pour les convertir, les populations des pays du Sud, tentés par les pentecôtistes – ou les sectes- et généralement les « jeunes ». Et c’est un peu de sucre dans la potion amère
…….DANS UN GANT DE VELOURS.
Tout le monde reconnaît l’habileté de Jean-Paul II à ce sujet : il a su maîtriser les communautés charismatiques, d’abord spontanées et faisant concurrence, en les faisant rentrer dans les normes « romaines » mais surtout il a exploité un charisme personnel évident. Il apparaissait, dans les manifestations publiques, comme un bon grand-père, un sage plein d’expérience qui sait voir ce que les gens attendent (sans bien le savoir) et, avec une autorité souriante, leur impose les règles nécessaires.
C’est en même temps le côté spectaculaire et médiatique du système : on sait que notre époque adore ça. C’est chatoyant, d’allure « moderne » autant que possible, bien orchestré dans sa gestuelle, souvent par des professionnels, afin de souder avec enthousiasme la foule des participants mais aussi attirer les regards extérieurs et l’intérêt des médias et donc de prolonger l’effet attendu. Il y a eu un encouragement aux initiatives locales dans cet esprit-là : retour des Congrès eucharistiques à but tridentin, des processions dans les rues dans certains pays, organisation de festivals « cathos », aux résonances rock ou rap…
Le très grands nombre des voyages du pape ont permis de multiplier les occasions de redonner de la « visibilité » à l’Eglise. Avec des moments forts, ceux des grands pèlerinages, et principalement ceux des JMJ.
Une Eglise du Jésus de l’Evangile ? Priorité : redonner du prestige et du pouvoir à l’Église face aux autorités publiques et aux concurrents éventuels. Faire croire aux peuples que… De quoi canoniser Jean-Paul II ?