Lettre de Parvis n°7 : Laïcité 2011
LAÏCITE 2011
Ne vivons-nous pas dans une constante illusion, celle de la permanence des choses ? Nous croyions la retraite, la sécurité sociale, et pourquoi pas le temps de travail légal définitivement assurés – on pourrait ajouter quantités de conquêtes de la démocratie et de la justice sociale. Patatras, tout semble devoir se retrouver à terre.
Et la laïcité ? Rappelez-vous, en 2005, au moment du centenaire de la Loi de séparation, c’est à peine s’il a été possible d’intéresser le public aux commémorations de l’événement. C’était « classé ».
Eh bien, partout dans le monde aujourd’hui, on la rejette, on la réclame. On l’évoque en tout cas. On en requiert même l’application dans la lointaine Corée du Sud. Depuis la guerre de Corée (1950-1953), le christianisme s’y est développé comme une traînée de poudre sous l’influence américaine. Les protestants évangéliques (rappelez-vous la secte Moon) y ont acquis une position dominante, si bien que l’actuel premier ministre, protestant militant, appuyé par le président américain « reborn », George W. Bush, favorise ostensiblement un protestantisme qui s’est considérablement enrichi, en ignorant délibérément la séparation des pouvoirs. Au point que les bouddhistes rappellent la nature laïque de la constitution et réclament son respect.
Dans de nombreuses régions du monde, les religions se rapprochent du pouvoir politique, ou tentent d’établir avec lui une complicité, ou même de lui imposer leurs règles, quelquefois d’un autre temps. Bien sûr, il y a les pays où la séparation entre une certaine conception de l’Islam et le politique n’existe simplement pas. Leurs noms nous viennent immédiatement à l’esprit, et de nombreux musulmans très attachés à la laïcité, en particulier en France, le regrettent profondément. Les attentats, les meurtres ne sont que l’illustration d’un refus de l’autre, éventuellement par les pires procédés. Mais il y a malheureusement tant d’autres cas.
Israël en est un. Se rend-on compte combien le caractère insoluble de la crise du Proche Orient vient en partie de ce que ce pays devient chaque jour plus clairement un Etat religieux ? Les juifs orthodoxes bénéficient de droits exorbitants (pas de service militaire par exemple), qui commencent d’ailleurs à scandaliser les autres Israéliens. Et les non juifs sont clairement des citoyens de seconde zone. Que dire alors de tous ceux qui n’ont pas cette citoyenneté, et qui ne méritent donc que les ténèbres extérieures ?
Mais le christianisme n’est pas en reste. Que l’on observe les prétentions de l’église orthodoxe russe, revenue depuis vingt ans sur le devant de la scène. Que l’on se souvienne de la complicité de l’institution catholique avec les acteurs du coup d’état au Honduras il y a peu. Que l’on entende la manière éhontée dont la hiérarchie catholique espagnole fait tout pour torpiller la politique de l’actuel gouvernement, surtout, évidemment lorsqu’elle sent ses vieilles prérogatives remontant à l’époque franquiste remises en question. Que l’on comprenne pourquoi les évêques états-uniens s’opposent aux réformes démocrates revisitant la liberté sexuelle et reproductive, mais aussi à celles qui touchent au libéralisme économique.
Il s’agit là d’une complicité ancienne avec le pouvoir politique : favoriser la « désétatisation » de l’économie revient à rouvrir toutes les portes aux intérêts privés, donc aux églises. D’ailleurs, la COMECE (Conférence épiscopale européenne) ne s’y est pas trompée lorsqu’elle a soutenu en 200… la « Stratégie de Lisbonne », qui n’était que le premier geste qui introduisait le volet libéral du traité du même nom. Il s’agissait bien là d’un geste qui allait contre la « séparation », contre la « chose publique ». Comment s’étonner ensuite de la manière dont l’institution va faire la promotion de « son » école, seule manière, dans la débandade générale, de maintenir une sorte de présence sociale, de visibilité ? Le maintien des prérogatives de la « religion » (non pas de la foi), peut-il s’accommoder de ce que l’on fasse passer en premier la liberté de conscience (condition de cette même foi), le bien de chacun comme fondement du bien de tous dans la collectivité ? Ferdinand Buisson, grand laïque et protestant militant, écrivait en 1883 : Pourquoi l’instruction primaire a-t-elle été rendue laïque, c’est-à-dire indépendante des différents cultes ? Elle est laïque parce que… nous n’avons pas le droit de toucher à cette chose sacrée qui s’appelle la conscience de l’enfant, parce que nous n’avons pas le droit, ni au nom de l’Etat, ni au nom d’une Eglise, ni au nom d’une société, ni au nom d’un parti, au nom de qui que ce soit, enfin, d’empiéter jamais sur le domaine de cette liberté de conscience qui est le fond même et la raison de toutes les libertés.
Au fond, l’école laïque est bel et bien l’assurance que la laïcité existera pour de bon. Que la liberté ne sera donc pas un vain mot.
Cette laïcité dont la droite extrême tente de s’emparer aujourd’hui, comme les fascistes de l’Entre-deux-guerres se sont emparés du socialisme !
Didier Vanhoutte