Soif de liberté en Egypte
En direct de la révolution égyptienne, Sabah, membre du Mouvement des Travailleurs Chrétiens d’Egypte, nous livre son témoignage et son analyse. Elle a participé aux actions qui ont renversé le régime Moubarak, les membres du mouvement ont occupé la place Tahrir et s’inscrivent dans le renouveau du pays. « Il s’est passé des choses extraordinaires sur cette place, du jamais vu en Egypte. Une grande fraternité nous unissait. Nous marchions ensemble vers un but commun… »
Sabah est membre du Mouvement des Travailleurs Chrétiens d’Egypte. Elle a été élue au Conseil international du MMTC, au titre du continent africain, lors de l’Assemblée générale de Nantes, en octobre 2009.
Le consulat belge a dans un premier temps, refusé de lui délivrer un visa pour se rendre à la réunion du conseil qui se tenait en Belgique du 20 au 27 février 2011. Malgré la remise de nombreux documents et la garantie du MMTC, les autorités belges la soupçonnaient de vouloir émigrer. Ce n’est qu’in extrémis après de nombreuses démarches et interventions qu’elle a pu enfin obtenir le droit d’exercer le mandat pour lequel elle avait été élue.
Au cours de ses travaux, le conseil lui a donné la parole pour qu’elle témoigne de sa participation aux évènements qui se sont déroulés ces dernières semaines en Egypte
La révolution n’est pas née spontanément. Depuis plusieurs années, les gens du Peuple voyaient bien que le pays n’allait pas dans la bonne direction. La corruption était généralisée, le gouffre s’agrandissait entre les pauvres et les riches. Un sentiment de désespoir s’emparait d’une grande partie de la population.
Pourtant, depuis cinq ou six ans, on avait vu des commencements de soulèvement chez les travailleurs surtout dans les usines de textile. Des mouvements sont nés, comme « Ca suffit » ou le « mouvement du 6 avril » auquel j’ai adhéré et qui est composé de beaucoup de jeunes qui veulent la démocratie.
Le 6 avril 2008, a eu lieu la première grève générale dans toute l’Egypte contre la vie chère. Le pain était devenu rare et très mauvais. Ce fut un grand succès, malgré les arrestations. Le gouvernement a eu peur et a pris quelques mesures sociales.
C’est sur ce socle, sur ce bouillonnement depuis cinq ans, qu’est née la révolution du 25 janvier 2011 à partir de trois évènements majeurs :
– Les élections à la chambre du Peuple, où la fraude a été encore plus massive que les fois précédentes puisque le parti du Président a obtenu 95 % des voix. Tout ceci était calculé, afin de permettre au Président de faire un sixième mandat ou de faire passer son fils. En effet, un candidat à la Présidence doit obtenir l’accord des 2/3 de la Chambre.
– L’explosion le 1er janvier 2011 dans une église qui a fait 25 morts et plus de 100 blessés. On apprendra par la suite, que c’est le Ministre de l’intérieur (actuellement en prison) qui a organisé cet attentat afin de diviser les communautés. Le gouvernement malgré de belles déclarations, favorisaient les conflits musulmans/chrétiens afin de détourner l’attention des problèmes sociaux.
– La révolution en Tunisie qui nous a encouragés.
Tout a donc commencé le 25 janvier, jour de la fête de la police ! Grâce à Facebook, les jeunes se sont appelés les uns les autres. Ils se sont rassemblés par petits groupes dans les quartiers puis ont convergé vers la place Tahrir, la place de la libération. Nous étions très nombreux. Dans la soirée, la police est intervenue avec des gaz lacrymogènes (de fabrication américaine !).
Alors, nous avons commencé à nous organiser. Il a été décidé de se réunir le vendredi suivant, après la prière des musulmans et ensuite tous les vendredis.
Le premier vendredi a été appelé le vendredi de la colère.
Le deuxième celui du départ (du Président)
Le troisième celui de la persévérance «Nous tiendrons jusqu’au bout ».
Le vendredi 28 janvier, grande manifestation et surprise, toute la police a disparu. En fait, elle avait libéré des prisonniers de droit commun et leur a demandé d’attaquer les manifestants. De l’argent a aussi été distribué dans le même sens à des mercenaires. Des dégradations et des pillages ont été faits dans tous les quartiers. Les manifestants sur la place Tahrir ont été attaqués par des hommes montés sur des chevaux ou des chameaux. Il y a eu de morts.
Internet et les portables ont été coupés. Le gouvernement a annoncé la mise en place du couvre feu. Dans un discours à la radio et à la télévision, le Président a tenté de rallier le Peuple en annonçant qu’il ne représenterait pas. Mais il n’a pas parlé de son fils. Il a nommé également un vice-président, ce qui ne s’était pas fait depuis 10 ans. Le gouvernement a été changé et les plus corrompus ont été arrêtés.
Beaucoup de personnes ont été impressionnées par son discours. On a senti à ce moment une division du pays même si beaucoup voulait le départ du Président.
J’ai ressenti alors combien était forte la propagande de la télévision. Les journalistes ou les commentateurs étaient contre nous. Ils disaient que notre mouvement était menée par des étrangers, que nous étions payés 50 livres égyptiennes (6€) par jour etc. Tout a été fait pour salir notre réputation.
Les journalistes étrangers nous interrogent souvent : quel est votre leader ? Qui est derrière cette révolution ? Ils ne comprennent pas que la révolution est née de l’accumulation d’une série d’évènements, d’une soif de liberté et non d’un homme providentiel.
Face aux provocations, la population s’est organisée. Des comités de quartier sont nés spontanément pour protéger les habitants. Tout le monde y a participé, musulmans chrétiens mélangés. Un chrétien disait : « c’est la première fois que je parle d’un manière approfondie à mon voisin musulman et j’ai découvert que nous avions des tas de points communs. »
Les membres du MTC d’Egypte, qui est un petit mouvement, ont participé aux évènements. Deux prêtres qui nous accompagnent nous ont beaucoup soutenus. Chaque jour il y avait des membres des équipes sur la place, avec de la nourriture, des médicaments. J’ai occupé la place pendant 16 jours. Et quand on rentrait chez soi, c’était pour revenir avec des vivres qu’on partageait.
Sur la place, il y avait des jeunes et des moins jeunes de tous bords : musulmans, chrétiens, gens de droite, de gauche, pauvres, commerçants, chômeurs étudiants etc. Tout un peuple rassemblé. Avant seul le football pouvait réunir tout le monde.
A la fin de l’occupation, les jeunes ont tout nettoyé et remis la place en ordre. Nous ne l’occupons que le vendredi désormais.
Nous avions tous un seul but : délivrer notre pays et mettre en place un nouveau régime démocratique. Nous avions formulé quatre demandes :
– Le départ du Président et de sa clique corrompue
– Dissolution de la Chambre du Peuple et organisation de nouvelles élections non truquées
– Changement du gouvernement mis en place par le Président et où figurent encore d’anciens ministres corrompus
– Levée de l’état d’urgence en place dans le pays depuis 30 ans.
A ce jour, seul l’état d’urgence n’a pas été levé. Tous les autres points ont été obtenus.
Avec la mise en place d’un nouveau régime, nous exigeons le renforcement des syndicats trop faibles aujourd’hui, la liberté d’association, de syndicats, de la presse et d’expression.
Nous sommes bien conscients qu’aujourd’hui que nous ne sommes qu’au début de la révolution et que beaucoup d’obstacles restent à franchir.
Il y a des priorités. Actuellement, le pays subit de lourdes pertes financières en raison de l’arrêt du tourisme. Il faut tout faire pour que les tourismes reviennent.
Concernant les nouveaux élus à la Chambre, ils devront donner leur situation financière avant l’élection afin d’éviter les enrichissements personnels. Nous réclamons aussi plus de jeunes parmi par les élus.
Une des revendications essentielles est celle d’un état laïc. Il va falloir changer la constitution et çà va être très dur.
Le rôle des jeunes dans cette révolution a été déterminant. Très nombreux et très motivés. Tous unis au-delà de la religion.
Tous les chefs religieux qu’ils soient musulman, orthodoxe ou catholique ont dit aux jeunes de ne pas aller sur la place Tahrir. Et les jeunes n’ont pas obéi. Il va sans doute y avoir une coupure entre cette jeunesse et les autorités religieuses.
Il s’est passé des choses extraordinaires sur cette place Tahrir, du jamais vu en Egypte. Une grande fraternité nous unissait. Nous marchions ensemble vers un but commun. Un jour, la police voulait chasser les musulmans qui faisaient leur prière sur la place. Les chrétiens ont fait une chaîne autour des musulmans pour les protéger.
On nous pose souvent la question des Frères Musulmans. Je ne suis pas inquiète. Les Frères Musulmans sont un million. Les Chrétiens huit millions, sur une population totale de 80 millions. Dans une démocratie, toutes les forces doivent être représentées proportionnellement à ce qu’elles sont. Pour faire reculer l’intégrisme, il faut se battre pour que le Peuple sorte de la misère.
Les chrétiens en Egypte, doivent jouer un plus grand rôle dans les affaires du pays. Il faut que nous soyons présents dans les syndicats, les partis, partout où se construit l’avenir. Pour nous, membres du MTC Egypte, c’est un appel très fort.
Je suis très heureuse et très fière de participer à cette révolution. Comme mouvement chrétien, nous sommes peu nombreux mais bien présents et acteurs dans la lutte. Comme nous l’a dit un prêtre jésuite, « sur cette place, au milieu de cette immense foule, vous êtes comme le levain dans la pâte ».
Propos recueillis par JM Lanoizelez
Le 26/02/2011
Source :
http://www.acofrance.net/index.php?ID=1008995&detailObjID=1020398&detailResults=1009207&dataType=actu