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EDITORIAL
Si une société se juge, comme nous le pensons, au regard de la façon dont elle traite les plus démunis, le jugement ne peut qu’être sévère : l’injustice domine partout, avec des oasis de richesses, de luxe, et des ghettos de misère. La mondialisation fait disparaître le rempart des législations sociales, remplacées par la compassion, par l’humanitaire. Une culture de marché s’est instaurée, qui substitue aux principes moraux des principes ayant permis le succès matériel du système de marché.
L’idéologie qui gouverne le monde est fort bien résumée par lord Griffiths, vice-président de Goldman Sachs, qui écrivait dans « The Guardian » en octobre 2009 : « L’opinion doit apprendre à tolérer l’inégalité comme moyen d’atteindre une plus grande prospérité pour tous. » Nul ne sait si elle la tolèrera encore longtemps, la prospérité ne semblant pas en vue : c’est visiblement le constat que font tous ces citoyens du monde Arabe en révolte. Et si pratiquement partout en Europe les victimes de l’idéologie néolibérale élisent massivement ceux qui en sont les tenants, on voit aussi que des mouvements de contestation se développent, devant les politiques d’austérité. Le fossé se creuse ainsi entre la représentation politique et les citoyens, mettant en péril la démocratie.
La promesse de justice grâce à la croissance, pourra-t-elle résister aux désastres sociaux et écologiques des politiques menées, ignorer encore longtemps les contraintes physiques de la planète, la raréfaction des ressources, la conscience nouvelle de finitude ?
Où va le monde ? Nous vivons une phase régressive de l’histoire, entraînés dans une course qui nous mène vers des périls croissants : crise économique, dégradation de la biosphère qui est notre milieu vital, prolifération des armes de destruction massive. Nous ne savons pas ce qui en sortira. Comment ne pas être effrayés ?
La mort du totalitarisme communiste a provoqué le réveil du fanatisme religieux et libéré le capitalisme financier de toute contrainte. Les utopies mortes, qui pourra réveiller les énergies ? Encore que ce ne soit pas pour autant, comme on le répète, la fin des idéologies. Nous vivons dans celle d’une humanité simplifiée, sans le moindre degré de complexité, avec d’un côté les bons et de l’autre les mauvais ; à laquelle s’ajoute celle d’une société sans risque, obsédée par une sécurité absolue, dans laquelle les principes de précaution puis d’exclusion s’appliquent à tout ce qui peut représenter un danger.
Or, le défi de la globalisation est justement un défi de la complexité, dont seule la prise en compte pourrait aider à trouver la voie de sortie de la crise planétaire actuelle.
L’état de rupture où nous sommes crée l’incertitude sur ce que sera le monde de demain. Il nous faut chercher les indices de ce « monde nouveau » en construction, imprévisible, qui stopperait la course à l’abîme : la vitalité de ce l’on appelle la société civile, dont la créativité est porteuse d’avenir, toutes ces initiatives qui s’ignorent et peuvent devenir une force si elles réussissent à converger, la conscience écologique, le sujet porteur de droits… L’inattendu n’est-il pas en train de surgir aujourd’hui de ce monde arabe méprisé par l’Occident, qui semble se rebeller contre la loi de l’argent tout puissant ?
Le genre humain n’est peut-être pas prêt à accepter indéfiniment une injustice qui le nie.
Lucienne Gouguenheim