NORA CARMI Chrétienne palestinienne d’origine arménienne, Nora Carmi n’a de cesse d’élever sa voix au service de la non-violence.
Dans le dédale des ruelles du vieux Strasbourg, elle marque un arrêt soudain au pied de l’imposante cathédrale en grès rose. Elle lève les yeux vers le ciel et, quelque part, l’émotion la saisit. « Le lieu sert-il encore d’église ? », demande-t-elle. Chaleureuse, mesurée, Nora Carmi revendique une triple identité : palestinienne, chrétienne et œcuménique. « Ma foi est ce qui me donne la liberté. J’y puise l’espoir, au sein d’un peuple qui souffre pour surmonter l’occupation et l’humiliation… », affirmait-elle d’emblée, en décembre. Par son père médecin radiologue, elle se dit aussi héritière du génocide arménien. Sa famille, rescapée du massacre de 1915, est arrivée par miracle jusqu’à Jérusalem. Jeune fille, elle fréquentera l’institution Notre-Dame-de-Sion avant de suivre une formation universitaire de sociologue.
Sabeel, la source d’eau vive
Reconnue au-delà des frontières pour son professionnalisme militant, Nora Carmi ne compte plus ses engagements. À l’Union chrétienne de jeunes filles (YWCA) de Jérusalem pendant 15 ans, elle parcourt le monde pour des actions en faveur de la paix. Engagée dans la création d’associations au sein de la société palestinienne, elle milite, entre autres, à l’Association de défense des femmes de Jérusalem, au Christian Peacemaker Teams (Équipes d’artisans de paix chrétiens), au Mouvement de la journée mondiale de prière où elle représente son Église arménienne. C’est elle qui, le 13 mai 2009, au cours d’une audience spéciale à Bethléem, s’adresse au pape Benoît XVI au nom de la communauté des chrétiens de Jérusalem. Où puise-t-elle tant d’énergie ? « C’est l’avenir de mes petits-enfants qui me fait tenir. L’image de mon père miraculé du génocide arménien me fait croire en l’humanité et me donne le pouvoir de survivre sans rancune, sans haine… »
Mais c’est bien son engagement à Sabeel – le chemin, la source d’eau vive – qui la marquera. Depuis 1993 et jusqu’à sa récente retraite, Nora Carmi s’est dépensée sans compter au sein de ce mouvement oecuménique palestinien de théologie de la libération qui se donne pour mission de lutter pour la justice, la paix et la réconciliation et qui est actif, dans cette perspective, dans un imposant travail de formation auprès des jeunes, des adultes et du clergé chrétien et musulman. Sabeel a tissé des liens au-delà des frontières : des chrétiens se sont rassemblés dans divers pays en groupes d’Amis de Sabeel – dont celui de France constitué en association loi de 1901 en juin dernier. Objectif : entourer matériellement et financièrement les chrétiens minoritaires d’Israël et de Palestine, les encourager spirituellement dans leur foi. « Concrètement, explique Nora Carmi, mon engagement à Sabeel a consisté à gérer le programme de la communauté des femmes. Des rencontres de formation sociale et spirituelle. Des journées de découverte et de contact avec des groupes aussi bien dans les territoires occupés qu’en Israël.
Des visites de réfugiés. Des conférences sur des sujets comme la résolution 1325 de l’ONU sur la protection de la vie sociale des femmes. Des rencontres théologiques internationales. »
Du coeur de Sabeel, en témoin d’un combat qui fait toute sa vie depuis soixante-trois ans, Nora Carmi évoque encore et toujours sa chère ville de Jérusalem, « la ville de la paix » pour tous les croyants des trois religions monothéistes. « Ce concept est vide de sens pour le petit Palestinien qui ne peut pas circuler librement pour respirer cette paix et s’amuser à son aise comme le petit Israélien. Il est vide de sens pour la vieille dame qui se voit refuser l’accès dans la vieille ville pour aller prier à la mosquée durant le mois de ramadan. Il est vide de sens pour le Palestinien qui se voit humilié devant ses petits-enfants et ses arrière-petits-enfants par un jeune soldat israélien en uniforme. » Mais comment tendre vers l’improbable réconciliation ? « Encore et toujours par le dialogue. Celui pour les droits de l’homme, pour la démilitarisation, pour un futur État avec un seul peuple et deux religions… » Pour ce faire, Sabeel est en contact permanent avec les groupes de paix israéliens, le mouvement des « Femmes en Noir », né à Jérusalem en 2002, un bon nombre de rabbins… Un dialogue qui passe aussi indirectement par des projets de travail volontaire : nettoyage de cimetières, plantation d’arbres, aide durant la récolte des olives… Et par des concessions réciproques. Elle poursuit : « Pour les Palestiniens, accepter – et cela est fait par la force des choses – un État sur 22 % de la totalité de leur territoire de 1948. Pour les Israéliens, reconnaître leur responsabilité depuis 1948 en admettant le droit des Palestiniens au retour, même si la majorité des Palestiniens ne retournera pas au pays. Des deux côtés, marcher sur la voie de la non-violence. Cela veut dire, pour Israël, le gel complet des colonies, la fin de l’occupation. La paix est à ce prix pour l’État juif. Et pour la Palestine, c’est d’abord le retour à l’unité de son peuple
et, pour ses groupes extrémistes, le renoncement, non pas au droit de vivre, mais à toute forme de violence. »
Un frêle espoir
L’actualité récente contredit hélas ses propos. « La situation devient de plus en plus intolérable, les êtres humains se transforment en monstres. Regardez le meurtre de la famille de colons. Regardez l’assassinat de neuf Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza, dont trois membres de la famille Helou. Regardez l’attentat du bus. La grand-mère que je suis, et qui accompagne ses petits-enfants au lycée français, connaît la peur et tremble pour la sécurité de tous les enfants », écrivait- elle, mardi, depuis Jérusalem.
Pourtant Nora Carmi refuse de désespérer.« Nous désirons une paix juste, nous résistons dans la non-violence pour vivre et non pas pour mourir. » Et d’affirmer : « Notre avenir et notre existence
dépendent beaucoup de notre désir et de notre résolution de vivre côte à côte. De deux choses l’une. Soit nous poursuivons le cercle vicieux actuel qui mène tout droit au chaos. Soit nous adoptons un mode de vie fondé sur le respect des lois internationales, défiant ainsi toute velléité de monopolisation de ces lois et aussi tout caprice de fanatisme religieux, quel qu’il soit… »
Elle ne baissera donc jamais les bras même si, à vue humaine, l’espoir reste frêle. Tout simplement parce que ses convictions de Palestinienne chrétienne lui donnent une espérance qui porte au-delà du réalisme. Il n’est pas encore trop tard pour elle : avec son bâton de pèlerin à la main, c’était bien la raison de sa présence à l’ombre d’une cathédrale…•
Albert Huber
Repères : Amis de Sabeel France :
http://www.amisdesabeel-france.blogspot.com
Source : Réforme n° 3410 du 31 mars 2011
http://www.reforme.net/journal/03312011-3410/portrait/paix-juste