Le catholicisme français et le conflit israélo-palestinien
Nous reproduisons ci-après un texte signalé par Les Amis de Sabeel-France [1] qui ont attiré notre attention sur « l’excellent article de Jean-Claude Petit qui vient de paraître sur le site de Chrétiens de la Méditerranée sur le catholicisme français et le conflit israelo-palestinien ». Il s’agit de la contribution présentée par Jean-Claude Petit au Sénat le 20 novembre 2011, lors du colloque organisé par le CVPR-PO (Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient) [2]
LE CATHOLICISME FRANÇAIS ET
LE CONFLIT ISRAÉLO-PALESTINIEN
Par Jean-Claude PETIT
Faisons d’abord, si vous le voulez bien, un rapide tour dans le passé. Trois traits importants de l’histoire du catholicisme français conditionnent, aujourd’hui encore, l’attitude de la communauté catholique à l’égard du conflit entre Israël et la Palestine. Rappelons-les brièvement avant de revenir sur chacun d’entre eux et d’en préciser les conséquences qui demeurent aujourd’hui encore.
I – Les marques de l’Histoire
• Premier trait : la proximité très ancienne de la France avec les lieux saints. N’oublions pas que, dès le Moyen-Age, il allait de soi que les seigneurs catholiques se devaient de partir pour Jérusalem et l’ensemble de la Terre Sainte y défendre la foi chrétienne. Cette défense hélas « pas toujours très catholique » a pris, dans les derniers siècles, une forme heureusement plus pacifique et plus positive avec l’arrivée des ordres religieux et la création de très nombreuses écoles, d’hôpitaux et de maternités. Notre proximité séculaire continue d’être assumée aujourd’hui par nos consuls à Jérusalem. De manière rituelle tout d’abord puisque le consul de France assiste chaque année à la traditionnelle messe de minuit que le patriarche latin de Jérusalem célèbre à Bethléem en présence du président de l’Autorité palestinienne. Mais aussi de manière humanitaire à travers l’aide matérielle apportée par notre pays aux populations de la Terre Sainte.
• Deuxième trait : l’instrumentalisation du catholicisme par l’Action française de Charles Maurras avant la seconde guerre mondiale qui fait suite à l’attitude antijuive de nombreux catholiques dans l’affaire Dreyfus. Cette instrumentalisation trouvera son apogée dans l’attitude de Mgr Marcel Lefebvre vis à vis du concile Vatican II (1962-1965). En refusant le concile au motif qu’il met en cause la vérité unique et absolue dont seule l’Eglise catholique est dépositaire, Lefebvre, et aujourd’hui ses successeurs, s’opposent à tout dialogue interreligieux, comprenez avec le judaïsme et l’islam. A l’inverse, ils se veulent, dans le monde entier, et notamment en Terre Sainte, les défenseurs de la civilisation chrétienne et de l’Occident, aidés en cela par les immenses fortunes latino américaines.
• Troisième trait : l’influence, encore forte, de l’antijudaïsme catholique. Cette influence trouve sa source, on le sait, dans un lointain passé. Elle se traduira, pendant la seconde guerre mondiale, par le soutien des responsables catholiques au régime de Vichy du maréchal Pétain. La majorité d’entre eux fermera les yeux sur les lois antijuives, les rafles et les déportations. On doit cependant à la vérité de dire que de nombreux catholiques mériteront par leur attitude courageuse le titre de « Justes » et que, dans la Résistance notamment, les « Cahiers clandestins du Témoignage chrétien », entre autres, prendront leurs distances avec les autorités de l’Eglise.
II – Qu’en est-il aujourd’hui ?
Ces trois « marques » fortes de l’histoire du catholicisme à l’égard de la Terre Sainte et de ses habitants imprègnent-elles encore de nos jours l’attitude des catholiques et de quelle façon ? Pour répondre à cette question, reprenons, si vous le voulez bien, les trois traits que nous venons d’évoquer.
• Quid de la proximité ? Elle existe toujours à travers la présence, effective et efficace, des institutions chrétiennes (écoles, hôpitaux) et l’aide matérielle apportée par de grandes organisations telles l’Œuvre d’Orient, les Chevaliers du Saint Sépulcre, l’Ordre de Malte. Nos consuls sont également très présents sur le terrain, notamment dans les moments où le conflit israélo-palestinien connaît des accès de violence comme ce fut le cas lors de l’occupation de la Basilique de Bethléem.
La proximité la plus nouvelle est celle manifestée par les pèlerinages, nombreux sur l’ensemble de la Terre Sainte. Malheureusement, beaucoup d’entre eux se contentent d’organiser la visite de monuments, voire de sites discutables historiquement, et d’y faire acte de piété plutôt que démarche de foi et de solidarité. En effet, trop de pèlerins français sont encore capables d’aller à Jérusalem, Bethléem, Nazareth sans rendre visite à leurs frères chrétiens de Palestine, « les pierres vivantes de l’Eglise » dont parle l’apôtre Pierre dans sa première Epître. Enfin, les mêmes pèlerins et d’autres succombent à la peur, hélas encore largement entretenue dans les milieux catholiques, d’être pris dans le conflit israélo-palestinien. Autrement dit, en France même, la proximité actuelle des catholiques avec la Terre Sainte et ses habitants tend à devenir « insignifiante » au sens fort du terme au moment, précisément, où les chrétiens palestiniens sont de plus en plus contraints à l’exode en raison de l’occupation israélienne et où les « lieux sources » de la foi chrétienne sont en péril. Mme Hind Khoury, ex-ambassadrice de l’Autorité Palestinienne à Paris après Leila Shahid, s’étonnait souvent de la relative indifférence à ce sujet de l’Eglise catholique. Elle avait raison.
• Quid de l’instrumentalisation ? L’extrême droite nationaliste chrétienne et sa mouvance intégriste ne se contentent pas, aujourd’hui, de condamner tout dialogue interreligieux. Sans la revendiquer explicitement, elles participent pour une bonne part à la montée, en France, de l’islamophobie. Elles le font notamment en apportant un soutien équivoque aux chrétiens du Moyen-Orient, remparts à leurs yeux de l’Occident chrétien et victimes, selon elles, non seulement de l’islamisme mais de l’islam dans son ensemble. D’où, par exemple, dans un haut lieu de Paris, récemment, l’appel d’un prêtre à la croisade qui a valu à son auteur, Dieu merci, les remontrances de Mgr Santier, évêque de Créteil chargé, dans l’épiscopat, du dialogue interreligieux.
• Quid de l’antijudaïsme ? C’est sans doute la marque de notre Histoire qui a connu l’évolution la plus nette et la plus positive. Depuis le concile Vatican II et grâce à lui, le dialogue judéo chrétien a été l’objet de progrès considérables. Suppression de l’ancienne prière du Vendredi Saint pour la conversion des juifs accusés d’avoir tué le Christ. Déclaration solennelle de repentance à l’égard du peuple juif faite à Drancy par les évêques de France. Travaux scripturaires et théologiques visant à mieux connaître le judaïsme. Conférences, rencontres, sessions diverses. Bref, sous les formes les plus diverses, le catholicisme français est entré dans une ère nouvelle. Malheureusement, cette profonde et heureuse mutation connaît, depuis une quinzaine d’années, avec l’occupation israélienne de la Palestine, le développement incessant des colonies dans les Territoires occupés et l’échec des négociations de paix, un temps de fortes turbulences qui risque de se développer encore avec la poursuite du conflit. Aux divisions qui s’accentuent dans le monde catholique entre pro-israéliens s’appuyant sur le nécessaire rapprochement avec le judaïsme et pro-palestiniens vivant une solidarité de plus en plus étroite avec leurs frères chrétiens de Terre Sainte privés de liberté religieuse, viennent s’ajouter en effet trois facteurs aggravants qui conduisent à une approche de plus en plus peureuse et paralysante du conflit israélo-palestinien.
III – Trois facteurs aggravants
Le premier de ces facteurs est la confusion – hélas entretenue à haut niveau dans l’Eglise catholique en France et au Vatican – qu’a créée dans les années soixante-dix le développement d’une communauté de chrétiens dits « hébraïsants » en Israël même. Majoritairement français à l’origine, ces hommes et ces femmes souhaitent vivre dans ce pays leur foi chrétienne en redécouvrant ses racines juives. Cette initiative, légitime et louable, est encouragée par plusieurs religieux dominicains qui se sont séparés de leurs frères de l’Ecole française biblique et archéologique de Jérusalem qu’ils jugent trop proche des chrétiens palestiniens. Ils fondent donc la maison Saint Isaïe. L’un d’eux, le père Marcel Dubois, enseigne la philosophie à l’Université hébraïque de Jérusalem. Un autre, le père Bruno Hussar crée la communauté Neve Shalom. Ensemble, ils soutiennent activement les nouveaux arrivants et sont bientôt rejoints, dans ce soutien, par des religieux bénédictins français qui remettent en service l’abbaye d’Abu Gosh, proche de Jérusalem. L’expérience de la petite communauté hébraïsante, intéressante en soi, aurait pu s’avérer fort utile si elle n’était pas tombée, surtout du fait de ses leaders, dans deux pièges très néfastes. Le premier a consisté à regarder de très haut, en Occidentaux donneurs de leçons, les chrétiens palestiniens et leurs Eglises, à leur reprocher leur « ringardise » sur le plan religieux et à les accuser d’un nationalisme trop violent à l’égard d’Israël. Le second a été de tomber rapidement et imprudemment dans un soutien quasi inconditionnel à la politique d’Israël. Le fossé a dès lors grandi entre chrétiens du pays et nouveaux arrivants à tel point que ces derniers ont pris le patriarche latin de Jérusalem, Michel Sabbah, comme cible, lui reprochant son manque de considération et le mettant en cause jusqu’à Rome avec l’appui de personnalités catholiques françaises.
Le deuxième facteur est lié à la montée en puissance, dans l’opinion publique française, de la prise de conscience de la gravité de la Shoah. Légitime en soi, cette montée en puissance s’accompagnera, chez les responsables catholiques comme chez beaucoup d’autres, d’un fort sentiment de culpabilité avec les conséquences paralysantes qu’ose décrire un évêque lucide et courageux, Mgr Marc Stenger, évêque de Troyes et président de Pax Christi France. Parlant de l’interférence entre la relation de l’Eglise au monde juif et l’approche du conflit israélo-palestinien par cette même Eglise, Mgr Stenger écrit ceci : « Toute prise de position sur le conflit israélo-palestinien a été, pendant toutes ces années, polluée par le syndrome de la Shoah. Tout ce qui peut, d’une manière ou d’une autre, apparaître comme une prise de position contre l’Etat d’Israël est passé au crible de ce qui a été fait au peuple juif à travers la Shoah et est, de ce fait, sujet à controverse. Qu’on le veuille ou non, que ce soit légitime ou non, le poids de l’Histoire a contribué à paralyser le jugement de l‘Eglise de France sur des comportements politiques, comme si le droit à la terre, à s’en emparer par tous les moyens, était la contrepartie de la souffrance infligée au peuple juif au moment de la Shoah. »
Bien sûr, à juste titre, Mgr Stenger n’omet pas de préciser : « Quand on parle de l’Eglise en France, il est clair qu’il ne s’agit pas de tous les chrétiens ni de tous les évêques, mais d’une tendance au sein de laquelle il y a des exceptions. »
Le troisième facteur est l’influence déterminante de feu le cardinal archevêque de Paris, Mgr Jean-Marie Lustiger. L’Histoire et, je l’espère, ses biographes, diront, bien entendu, le rôle fort que cette éminente personnalité a joué dans le développement – heureux – des relations entre juifs et chrétiens mais ils ne devront pas oublier comment le cardinal a su jouer habilement de son pouvoir – qui était grand – pour que soient évités, dans l’Eglise de France, toute critique sérieuse de la politique israélienne vis à vis de la Palestine et tout appui trop marqué aux communautés chrétiennes des Territoires occupés. Sous son influence, avec l’appui d’autres évêques et d’autorités intellectuelles catholiques, Mgr Michel Sabbah a été mis en quarantaine lors de ses séjours en France et on a laissé se développer, sans vraiment réagir, une campagne insidieuse contre lui. A tel point qu’invitée par ses soins à Jérusalem pour y rendre visite aux communautés chrétiennes de Palestine, une délégation d’évêques français a préféré être hébergée dans un grand hôtel de la ville israélienne.
IV – Les conséquences de l’attitude peureuse des responsables catholiques
L’attitude pour le moins frileuse de l’Eglise catholique à l’égard du conflit israélo-palestinien a eu trois conséquences fâcheuses.
• D’abord, pendant de longues années, un tarissement des pèlerinages. « Il a fallu, dit encore Mgr Stenger, l’invitation forte des évêques en janvier 2003 pour que le flux revienne et je ne suis pas sûr que le niveau antérieur soit atteint. Ce qui pose un réel problème : la Palestine en effet est aussi notre « Terre Sainte », le lieu source pour les chrétiens, et elle constitue un fondement pour la foi. C’est l’une des raisons, en dehors des raisons de droit et de justice, pour lesquelles les chrétiens de France devraient se sentir partie prenante de l’issue du conflit. » Et d’ajouter : « On n’a guère entendu non plus l’Eglise de France prendre position sur l’internationalisation des Lieux Saints. Il y a là la perte de la vision d’un patrimoine spirituel dont la dimension n’est pas seulement géographique mais aussi historique et théologique. »
• Le silence quasiment total des structures officielles de l’Eglise catholique sur les prises de position des chefs d’Eglises et des chefs religieux de Palestine réclamant justice et paix pour leur peuple dans de nombreux documents. Dernière illustration en date : la difficulté à faire connaître au public chrétien français le texte intitulé « Kairos Palestine » fruit d’un long travail œcuménique de théologiens palestiniens publié à Noël 2009 avec l’appui du Conseil œcuménique des Eglises.
• Enfin l’acceptation, sans véritable réaction, de la prise en main massive de la guidance des pèlerins français sur les Lieux Saints chrétiens par des guides israéliens, sans réel souci ni de l’emploi ni de la formation des guides chrétiens du pays.
Heureusement, ces effets négatifs sont de plus en plus corrigés par la présence active et efficace des grandes ONG chrétiennes, le CCFD-Terre Solidaire et le Secours Catholique principalement, et par celle, très précieuse, de l’Œuvre d’Orient. A quoi il faut ajouter une attention de plus en plus grande d’une partie de la presse chrétienne aux réalités palestiniennes et le développement de rencontres et de jumelages entre chrétiens des deux cultures. Sans oublier le récent Synode des évêques du Moyen-Orient qui devrait encourager les catholiques d’Occident à accompagner leurs frères d’Orient dans leur marche vers une vraie citoyenneté, condition de leur avenir.
Jean-Claude PETIT
Président du Réseau Chrétiens de la Méditerranée
[1] Amis de Sabeel – France :• Présentation : AMIS DE SABÎL FRANCE – PRESENTATION
• site : http://amisdesabeel-france.blogspot.com
[2] CVPR PO : Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orienthttp://www.plateforme-palestine.org/Comite-de-Vigilance-pour-une-Paix,1878
Source originale : http://www.chretiensdelamediterranee.com/article-le-catholicisme-fran-ais-et-le-conflit-israelo-palestinien-67943413.html