Le souffle pour tous
« 1Lorsqu’arriva la fête de la Pentecôte, ils étaient tous réunis. 2Un bruit soudain se fit entendre dans le ciel, comme une violente rafale, et il remplit toute la maison où ils se trouvaient. 3Ils virent comme un feu qui se divisait, et sur chacun d’eux se posait une des langues de ce feu. 4Tous furent remplis de l’Esprit Saint et ils se mirent à parler en d’autres langues dans lesquelles l’Esprit leur donnait de s’exprimer.
5Il y avait alors à Jérusalem des Juifs de passage, des croyants issus de toutes les nations qui sont sous le ciel. 6Et ces gens, quel que soit leur dialecte, les entendirent s’exprimer dans leur propre langue, car le bruit qui s’était produit avait attiré la foule. Ils n’en revenaient pas !
7Ils étaient stupéfaits, étonnés : « Ce sont tous des Galiléens, disaient-ils, et voyez comme ils parlent ! 8Chacun de nous les entend s’exprimer dans sa propre langue. 9Que nous soyons Parthes ou Mèdes ou Elamites, habitants de Mésopotamie, de Judée ou de Cappadoce, du Pont et de l’Asie, de 10Phrygie et de Pamphylie, d’Egypte ou de Libye en allant sur Cyrène, 11que nous soyons des Juifs installés à Rome ou des prosélytes, des Crétois ou des Arabes, nous les entendons proclamer dans nos diverses langues les merveilles de Dieu ! » (Actes 2,1-11).
« Alors qu’est-ce que cela veut dire ? » Tous ces peuples, juifs ou sympathisants, peuples venus du monde connu, pas toujours en paix entre eux, qui malgré les brigands, le coup de barre des hôteliers, le prix du voyage, n’avaient pu arriver là que par la bonne volonté de la police impériale. Peuples soumis, qui n’avait plus la force de résister après les guerres, et dont le seul cri possible était de venir, par intérêt, par religion, à Jérusalem. Le dernier espoir. Peuples qui ne comptaient pas, tenus pour rien. Voilà le tableau de fond. Ces gens ne savent plus où aller si ce n’est sur la terre de leurs ancêtres. Ils n’espèrent plus, mais ils rêvent d’un héros, d’un Messie, d’un libérateur qui, d’un coup de baguette magique comme on gagne à la loterie, leur donnerait tout ce qu’ils désirent. Le pire de l’esclavage est d’attendre que le salut vienne d’ailleurs, sans nous. Sans nos mains, sans nos têtes, de manière infantilisante.
Voilà l’Esprit, l’inattendu. Il arrive comme un coup de vent. Ce vent qui avait soufflé aux portes de l’Egypte pour tracer une route à Moïse et à son peuple. C’est un vent qui entraîne et qui indique une route à prendre. Avec ces flammes, qui représentent déjà la lumière qui brille en chaque peuple. Cette clarté que bien souvent les peuples ignorent, parce qu’on ne leur laisse pas le temps de la voir, cette flamme qui brille en tout être. Cette étincelle que Dieu a déjà lancé dès l’origine dans le coeur de chacun, qu’il le sache ou non, qu’il le veuille ou ne le veuille pas. L’homme est plus grand que ce qu’il pense de lui-même. Personne ne peut mesurer l’homme. Il suffit de se laisser porter par cette lumière que nous avons à partager les uns avec les autres. A ce titre-là, nous ne sommes pas simplement une Eglise qui donne, mais tout autant une Eglise qui reçoit. Elle va recueillir la part de lumière, de courage, de vérité qui est inscrite au plus creux des peuples et des êtres, mêmes esclaves, mêmes dédaignés.
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Le travail, il revient aux apôtres de le faire ! L’Esprit a ouvert la porte. Il donne le souffle. Maintenant il faut partir. Il a retiré les barrières entre le petit groupe de disciples apeurés (les « derniers des Mohicans », ou plutôt le club des retraités des amis de Jésus-Christ) et les peuples. L’Esprit remet aux apôtres leur responsabilité. Voici que d’un seul coup, il n’y a plus de portes, plus de fenêtres. Les disciples sont dehors et ils parlent. Ils traitent les gens de cette foule, qui ne comprend pas ce qui s’est passé, en égaux. Ils les traitent en partenaires, en hommes avec lesquels on peut parler. Le premier travail des disciples donne une indication pour notre société et notre monde.
Pour faire ce travail, l’Esprit a choisi des hommes très ordinaires. Il n’y a pas de savants parmi eux, il n’y a pas de gens d’expérience. La plupart étaient des pêcheurs, le plus instruit était percepteur d’impôts dans un canton de basse-Galilée. Ce qui veut dire que tout homme est capable d’apporter aux autres. On ne peut pas mesurer la qualité d’un homme à ce qu’il produit. Dieu, pour faire son oeuvre, prend les gens les plus ordinaires, comme David qu’il va chercher derrière son troupeau, les pêcheurs au bord du lac, la petite veuve avec ses deux sous, et puis nous. C’est l’indication qu’on ne mesure pas l’homme autrement que par la disponibilité qu’il donne et qu’il rend pour rencontrer les autres. Parce que le travail en cause n’est pas simplement question de production, ni simplement de rentabilité. Sinon ce travail devient un esclavage qui déshumanise. Le vrai travail consiste à faire de l’humanité. Le vrai travail est de construire entre les hommes les conditions qui leur permettent d’être ensemble un peu plus humains, un peu plus frères, un peu plus vrais. Lorsqu’on blesse ce travail, par des cadences excessives qui déshumanisent, par des horaires hachés, par la captation des produits du travail, on déshumanise l’humanité. Un des grands paradoxes de notre temps est qu’alors que nous avons des possibilités techniques considérables, nous les utilisons de manière à déshumaniser ceux qui sont chargés de les mettre en oeuvre. C’est le contraire de la Pentecôte.
Par conséquent nous ne pouvons pas laisser le travail devenir inhumain pour être mis au profit de quelques-uns mais au détriment des autres. Tous ont droit à la parole le jour de la Pentecôte. C’est le signe que Dieu traite chacun avec le maximum de respect et de dignité. Nous sommes les serviteurs de cette dignité-là.
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A partir de là, une espérance se lève. Nous avons raison de résister et de dire non. Parce qu’il n’y va pas simplement de nos intérêts personnels ou corporatistes. Il y va de cette vision de l’homme que Dieu avait en main, lorsqu’il l’a façonné à son image. On ne pas dédaigner l’homme et honorer Dieu. C’est contradictoire.
« Tout homme qui crie vers le Seigneur sera sauvé » Lorsqu’on résiste, c’est qu’on espère. Mais l’espérance c’est continuer, c’est créer, c’est partir, c’est inventer, c’est se battre pour que, si humble que nous soyons, quelque chose de la Pentecôte ait lieu. Vous savez, les semences sont toujours minuscules au départ. La moisson ne nous appartient probablement pas. Mais notre honneur et notre charge est de semer.
A ce moment-là, quand un homme est respecté, quand son travail peut être humanisé, quand il se remet debout, le salut est donné. Nous en sommes les ouvriers. La Pentecôte est là comme le signe d’un salut déjà commencé. Il n’est pas une utopie, mais une espérance. C’est-à-dire qu’il est semé, en train de germer, qu’il est dans nos mains. Il faut voir ce qui lève dans le travail que Dieu nous a confié. Car si nous ne le voyons pas, le travail risque de devenir un lieu d’opposition, où l’on ferait en sorte que les pauvres se battent contre les pauvres. Nous sommes les témoins d’un salut déjà donné ; parce que nous savons que dans tout camarade de travail, il y a une part de cette vérité ; parce qu’un souffle est passé, un jour à 9 heures du matin et qu’il nous emporte.
Mgr Albert Rouet
Homélie de la messe de Pentecôte
Rencontre nationale de l’Action Catholique Ouvrière
Palais des congrès du Futuroscope- 23 mai 2010