« Torture made in USA », par Marie-Monique Robin
Ce nouveau documentaire d’investigation de Marie-Monique Robin, a été diffusé le 21 juin sur Arte et sortira en DVD le 28 juin prochain. Cette diffusion se fait avec le soutien de l’ACAT-France, Amnesty International France, Human Rights Watch et Mediapart. A cette occasion, Arte réédite le DVD diffusé en 2004 : « Escadrons de la mort, l’école française », documentaire du même auteur.
On trouvera ci-après la présentation qu’en fait l’auteur, le texte rédigé par l’Acat-France, Amnesty International et Human Rights Watch dans le livret d’accompagnement du DVD et les informations sur ces deux documentaires.
Un rappel : le dimanche 26 juin 2011 est la Journée Internationale pour le soutien aux victimes de la torture.
(Cf les sites : http://www.acatfrance.fr/ ; http://www.amnesty.fr).
• Texte du livret d’accompagnement du DVD
« Torture made in USA »
« Celui qui combat le monstre doit veiller à ne pas le devenir lui-même » (F. Nietzsche).
En septembre 2004, ARTE diffuse mon documentaire « Escadrons de la mort, l’école française » [1] , au moment où Les éditions La Découverte publient mon livre éponyme [2]. Dans cette enquête je raconte comment le gouvernement français a exporté les techniques dites de la « guerre antisubversive », utilisées pendant la bataille d’Alger, vers les académies militaires d’Amérique du Nord et du Sud. Ces révélations sur la « doctrine française », où la recherche du renseignement, et donc la torture, sont érigées en arme principale de la lutte contre le terrorisme, provoquent une « commotion nationale » en Argentine, au point de précipiter la réouverture des procès contre les généraux de la dictature : aujourd’hui, les trois généraux argentins (anciens « élèves » des Français) qui m’ont accordé une interview sont en prison, et mon film et livre servent de pièces à conviction dans les tribunaux où je suis régulièrement citée comme témoin [3].
Aux Etats-Unis, la diffusion de mon enquête coïncide avec le scandale d’Abou Ghraib (avril 2004). Peu après, je suis contactée par Kenneth Roth, le directeur de Human Rights Watch (et ancien procureur de New York) qui me demande de participer à la rédaction d’un livre collectif, avec quinze autres auteurs internationaux, dont John McCain [4]. Intitulé « Torture », cet ouvrage retrace l’histoire de la « question », depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, et dresse un premier bilan des cas de torture pratiqués par l’armée américaine et la CIA, après les attentats du 11 septembre 2001. « Tout indique qu’il y a des directives secrètes de l’administration Bush qui encouragent l’usage de la torture », m’a alors dit Minky Worden, la coordinatrice du livre à Human Rights Watch.
C’est sur ces prémices que je propose une nouvelle enquête, intitulée « Torture made in USA ». Ce documentaire d’investigation décortique la machine qui a conduit la plus ancienne démocratie du monde à utiliser massivement et systématiquement la torture en Afghanistan, à Guantanamo et en Irak, en s’appuyant sur des interviews exclusives de grands témoins, comme le général Ricardo Sanchez, l’ancien chef des forces de la coalition en Irak, Larry Wilkerson, l’ancien chef de cabinet de Colin Powell, Matthew Waxman, l’ancien conseiller de Condoleeza Rice à la Maison Blanche, Alberto Mora, l’ancien consul de la marine, ou Michel Scheuer, concepteur du programme des « extraordinary renditions » à la CIA. Tous les témoins sont aussi présents dans les archives filmées exceptionnelles des auditions parlementaires conduites entre 2004 et 2008, par la commission des forces armées du sénat, après le scandale d’Abou Ghraib.
On découvre que, dès septembre 2001, le vice-président Dick Cheney a piloté un programme secret, destiné à « légaliser » la torture, en violation des Conventions de Genève, mais aussi de la Convention contre la torture (signée par les Etats-Unis) et des lois américaines comme le War Crimes Act de 1996 qui prévoit la peine de mort ou la prison à vie pour ceux qui utilisent la torture.
On découvre aussi que pour se protéger d’éventuelles poursuites judiciaires, l’administration Bush a fait appel à des juristes, proches de Dick Cheney et de Donald Rumsfeld, pour « justifier » par des arguments juridiques l’usage de la torture, dont la technique du « waterboarding » (simulacre de noyade).
On découvre, enfin, que « la guerre contre le terrorisme » est unanimement dénoncée par les témoins, pourtant tous républicains, car elle conduisit à un affaiblissement de l’image des Etats-Unis, et encouragea de nouvelles générations de terroristes.
Les arguments développés par l’administration Bush pour justifier la torture sont les mêmes que ceux développés par les théoriciens de « l’école française », et ils sont aussi … fallacieux. Indéfendable d’un point de vue éthique et moral, la torture s’avère aussi inefficace dans la « guerre contre le terrorisme », qu’en Algérie, Argentine, ou au Vietnam, en d’autres temps.
Après «Escadrons de la mort, l’école française », également édité en DVD chez Arte Editions, « Torture made in USA » boucle la boucle…
Notes
[1] Prix du meilleur documentaire politique (Laurier du Sénat), Prix de la meilleure investigation du FIGRA, Award of Merit de LASA (Latin American Studies Association/USA), Prix du meilleur documentaire de l’Egyptian Cinema Critica Association Jury.
[2] Escadrons de la mort, l’école française, Paris, La Découverte, 2004. L’édition poche est sortie en 2006. [3] Hélène Marzolf, « Quand la France exportait sa torture », Télérama, 23 mars 2011.[4] Torture, The New Press, New York, 2005. J’y ai écrit le chapitre 4 : « Counterinsurgency and Torture : Exporting Torture Tactics from Indochina and Algeria to Latin America ».
Marie-Monique Robin
• Une référence dans le combat des droits de l’homme
Par Acat-France*, Amnesty international et Human Rights Watch
Les valeurs des droits de l’homme ont été mises à mal, profondément et durablement, lorsque, après le 11 septembre 2001, l’interdiction absolue de la torture a été remise en question par l’Etat qui se targuait d’être la plus grande puissance démocratique du monde.
Au nom de la lutte contre le terrorisme, on a autorisé les détentions illégales, les techniques d’interrogatoires « renforcées », les transferts de suspects vers des pays où ils étaient détenus au secret, les actes de torture et autres mauvais traitements et les disparitions.
Les conséquences sont gravissimes. Cette politique, assumée par l’administration de l’époque, a malheureusement trouvé un certain soutien dans l’opinion publique. Elle a permis la sous-traitance de la torture dans ldes pays tiers. Elle a bénéficié de la complicité d’Etats européens, qui ont participé aux programmes de « restitutions extraordinaires », abrité des prisons secrètes, renvoyé des suspects vers des pays où ils ont été maltraités ou accepté comme preuves dans des procédures judiciaires des aveux obtenus sous la torture. Enfin, ce nouveau climat de tolérance a décomplexé, voire légitimé, les pays peu scrupuleux du respect des droits de l’Homme qui avaient déjà recours à ce genre de pratique.
L’élection de Barak Obama a été porteuse de l’espoir d’un changement. Mais la tâche reste immense pour que les droits de l’Homme, et l’interdiction de la torture, retrouvent leur place fondamentale dans l’échelle des valeurs de nos sociétés.
Pour nos organisations, trois grands changements doivent désormais être ouverts :
• Mettre fin aux détentions illégales et aux actes de torture :
La décision de fermer Guantanamo a été un signal fort dans ce sens mais c’est au sort qui sera réservé aux détenus de Guantanamo et à ceux de la base américaine de Bagram en Afghanistan, que se mesurera le respect des droits fondamentaux.
• Poursuivre pénalement les responsables et rendre justice aux victimes :
La nomination par l’Attorney General Eric Holder, le 24 août dernier, d’un procureur chargé d’enquêter sur les abus commis à l’encontre des personnes détenues dans le cadre de la guerre contre le terrorisme est un grand pas contre l’impunité. Pour nos organisations, il est cependant essentiel que les poursuites n’excluent pas les responsables politiques, à tous les niveaux, ni ceux qui auraient agi « de bonne foi, dans le cadre juridique défini par le département de la Justice d’alors » comme l’a laissé entendre M. Holder.
• Faire la lumière, enfin, sur les mécanismes qui ont permis que de tels agissements aient lieu :
C’est cet éclairage essentiel que nous apporte le film-enquête de Marie-Monique Robin. Essentiel pour comprendre comment l ‘administration Bush a pu légitimer, politiquement et juridiquement, le recours à la torture et s’appuyer si vite sur un personnel qualifié susceptible de pratiquer la torture et de former de futurs tortionnaires. Pour éviter que la régression qui s’est opérée au cours de l’administration Bush ne se répète à l’avenir, un travail de vérité et de mémoire est indispensable.
* Acat-France : Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture.
• Informations sur les DVD
Sortie le 28 juin 2011, chez Arte Editions
• « Torture made in USA »
http://www.arteboutique.com/detailProduct.action?product.id=453772
Durée film : 85 min. Durée total du DVD : 88 min.
Inclus : un livret de 32 pages sur la torture et ses dérives.
• « Escadrons de la mort, l’école française »
http://www.arteboutique.com/detailProduct.action?product.id=453771
Durée film : 60 min. Durée total du DVD : 2 h 10 min.
Bonus video : 70 min. de documents inédits chapitrés par thèmes.
Source : Publié le 12 mai 2011
http://robin.blog.arte.tv/2011/05/12/torture-made-in-usa-le-21-juin-sur-arte/