Ministre allemand de l’environnement depuis octobre 2009, Norbert Röttgen est, à 46 ans, l’un des dirigeants les plus en vue de la CDU, le parti d’Angela Merkel.
Marginalisé lorsque la chancelière décida, en septembre 2010, contre son avis, de prolonger de douze ans en moyenne l’activité des centrales nucléaires, Norbert Röttgen se retrouve désormais en première ligne pour organiser la sortie du nucléaire d’ici à 2022 et le développement des énergies renouvelables.
Originaire de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, il est député depuis 1994 et est connu pour avoir fait partie d’un groupe de jeunes centristes de la CDU qui se retrouvaient avec de jeunes élus Verts pour réfléchir aux questions économiques et environnementales.
Norbert Röttgen – Photo Andreas Rentz/Getty/AFP
Entretien
Berlin – Correspondants
Le Parlement allemand a adopté avec une large majorité la sortie de l’atome civil. Quelles conséquences cette décision a-t-elle pour ses voisins, dont la France ?
Une conséquence immédiate est que l’Allemagne n’exporte plus autant d’électricité vers ses voisins. Elle affichera peu ou prou un équilibre, peut-être avec un léger excédent, entre ses exportations et ses importations.
L’Allemagne était jusqu’à présent exportateur net d’électricité, dans une proportion importante. Dans un second temps, notre grand voisin de l’Ouest va être témoin d’une modernisation technologique, économique et en termes d’innovation en Allemagne et j’en espère un intérêt accru de sa part !
L’Allemagne a décidé unilatéralement de sortir de l’atome. Pourquoi n’avoir pas porté ce débat sur la scène européenne, dans le cadre de l’élaboration d’une politique énergétique commune ?
Ce débat a lieu et doit continuer à exister. Il est fondamental pour l’avenir économique et industriel de l’Europe. Des objectifs communs ont été formulés, comme le passage à 20 % d’énergies renouvelables en 2020. Par ailleurs, l’européanisation des réseaux d’électricité est pour moi une priorité afin de renforcer la concurrence sur le marché européen de l’électricité.
Actuellement, des obstacles à la concurrence existent encore, qui ne sont bons ni pour le consommateur final, ni pour l’industrie. Mais il faut être réaliste : entre la France et l’Allemagne, le rapport au nucléaire est fondamentalement différent, du point de vue à la fois historique, socioculturel et économique. Là où la France produit 75 % de son électricité à partir du nucléaire, l’Allemagne n’est qu’à 23 %.
Les deux pays ont pris des orientations stratégiques très différentes sur ce sujet – la France en direction de l’énergie nucléaire, l’Allemagne avec une sortie du nucléaire dans dix ans et un programme de développement des énergies renouvelables. Ce sont des différences qu’il faut respecter et qui conduiront à une saine concurrence sur le marché européen. Ce que nous voulons, c’est une libre circulation des électrons.
Donc avec la possibilité d’acheter, si nécessaire, de l’électricité en provenance de France ?
Il ne s’agit pas de nécessité, mais de marché. Nous importons et exportons de l’électricité tous les jours. Et c’est très bien comme cela ! Le marché intérieur, la concurrence est ce qui permet d’assurer la prospérité et le bien-être en Europe.
Vous avez comparé, dans la presse, les organisations pronucléaires à des dinosaures. Cela vaut-il uniquement pour l’Allemagne ?
C’était une perspective générale au regard de l’évolution ! Elle n’est pas seulement nationale. L’évolution signifie que les êtres vivants doivent s’adapter à leur environnement. En Allemagne, depuis Fukushima, l’utilisation de l’énergie nucléaire a perdu toute acceptation sociale. Aucune entreprise, en particulier une grande entreprise, ne peut ignorer ce fait si elle veut réussir. Par ailleurs, les débats sont dynamiques et changent aussi avec leur environnement. Qui sait si l’accident de Fukushima et la décision allemande ne vont pas influencer les débats internes dans les pays européens ? Je pense au référendum en Italie, aux sondages en France, aux discussions récentes en Pologne. Mais je veux être clair : ni l’Allemagne, ni le gouvernement allemand ne poursuivent de visées missionnaires, il s’agit d’un débat de fond, rationnel et économique, mais aussi éthique.
Sortir du nucléaire est-il compatible avec les objectifs de réduction des gaz à effet de serre ?
Absolument. La politique énergétique respectueuse de l’environnement dépend de toute façon de la question de savoir si l’on peut améliorer l’efficience énergétique et développer les énergies renouvelables. L’électricité ne correspond qu’à un tiers des besoins énergétiques, nous parlons toujours de l’électricité, mais l’énergie va bien au-delà. On ne peut pas résoudre le problème de l’énergie uniquement avec le nucléaire, qui ne produit chez nous qu’un quart de ce tiers.
La sortie du nucléaire est-elle un succès du parti écologiste ?
Il n’y a aucune raison de ne pas reconnaître que les Verts allemands sont nés des mouvements antinucléaires. Ils ont toujours porté politiquement ce thème. La particularité de la décision actuelle est la suivante : en sortant simplement du nucléaire, on ne résout pas la question de la production d’électricité. Or nous avons apporté cette dimension : le changement de modèle énergétique du point de vue du marché. Les Verts ont toujours considéré cette question comme un combat. Nous avons su faire émerger un consensus autour d’un nouveau modèle énergétique.
Propos recueillis par Cécile Boutelet et Frédéric Lemaître
Source : article publié dans Le Monde daté du 5 juillet 2011