EVANGILES DE L’ENFANCE – Partie II
Voici le second volet de l’étude présentée le 28 juillet dernier sur les Evangiles de l’enfance.
Lire la partie I à :
http://www.nsae.fr/2011/07/28/evangiles-de-l’enfance-–-partie-i/
Ce volet concerne le chapitre 1 de Mathieu (cf texte ci-après) suivi des notes rédigées par Claude Bouret.
Evangile de Mathieu, chapitre 1 :
Ascendance de Jésus.
1 Livre des origines de Jésus Christ, fils de David, fils d’Abraham :
2 Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, Jacob engendra Juda et ses frères,
3 Juda engendra Pharès et Zara, de Thamar, Pharès engendra Esrom, Esrom engendra Aram,
4 Aram engendra Aminadab, Aminadab engendra Naassôn, Naassôn engendra Salmon,
5 Salmon engendra Booz, de Rahab, Booz engendra Jobed, de Ruth, Jobed engendra Jessé,
6 Jessé engendra le roi David. David engendra Salomon, de la femme d’Urie,
7 Salomon engendra Roboam, Roboam engendra Abia, Abia engendra Asa,
8 Asa engendra Josaphat, Josaphat engendra Joram, Joram engendra Ozias,
9 Ozias engendra Joatham, Joatham engendra Achaz, Achaz engendra Ezékias,
10 Ezékias engendra Manassé, Manassé engendra Amôn, Amôn engendra Josias,
11 Josias engendra Jéchonias et ses frères ; ce fut alors la déportation à Babylone.
12 Après la déportation à Babylone, Jéchonias engendra Salathiel, Salathiel engendra Zorobabel,
13 Zorobabel engendra Abioud, Abioud engendra Eliakim, Eliakim engendra Azor,
14 Azor engendra Sadok, Sadok engendra Akhim, Akhim engendra Elioud,
15 Elioud engendra Eléazar, Eléazar engendra Mathan, Mathan engendra Jacob,
16 Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle est né Jésus, que l’on appelle Christ.
17 Le nombre total des générations est donc : quatorze d’Abraham à David, quatorze de David à la déportation de Babylone, quatorze de la déportation de Babylone au Christ.
Joseph assume la paternité légale de Jésus.
18 Voici quelle fut l’origine de Jésus Christ. Marie, sa mère, était accordée en mariage à Joseph ; or, avant qu’ils aient habité ensemble, elle se trouva enceinte par le fait de l’Esprit Saint.
19 Joseph, son époux, qui était un homme juste et ne voulait pas la diffamer publiquement, résolut de la répudier secrètement.
20 Il avait formé ce projet, et voici que l’ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint,
21 et elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. »
22 Tout cela arriva pour que s’accomplisse ce que le Seigneur avait dit par le prophète :
23 Voici que la vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d’Emmanuel, ce qui se traduit : « Dieu avec nous ».
24 A son réveil, Joseph fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui son épouse,
25 mais il ne la connut pas jusqu’à ce qu’elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus.
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Il ne faut pas chercher de vérité historique dans cet évangile, il n’y en a pas, à l’exception d’un bout de verset au début du chapitre 2 : « au temps du roi Hérode ». Il faut remarquer qu’on ne parle pour ainsi dire pas de Marie, c’est assez curieux : le personnage central de ce récit est manifestement Joseph. C’est l’inverse chez Luc, leurs théologies ne sont pas identiques.
Ce chapitre comporte deux parties : la généalogie, versets 1 à 17, et l’annonce à Joseph, versets 18 à 25. Notre époque retrouve les attraits de la généalogie, et les juifs aimaient bien retrouver leurs racines. Luc le fait aussi au démarrage de la Mission, il remonte de Jésus à Adam, alors que Mathieu va d’Abraham à Jésus. Dans Exode 6, 14-27 est décrite la généalogie de Moïse. Celle de Jésus manifeste son importance.
Pourquoi 3 fois 14 générations ? Les Juifs accordaient à certains chiffres une qualité de parfait ; ainsi 3, 7, 12, 14, 40, 70, etc. … Donc 14 = 2×7 est parfait, Jésus dira qu’il faut pardonner 77 fois 7 fois, ces chiffres ont une valeur particulière. Ils veulent souvent signifier « le temps qu’il faut pour que s’accomplisse le fait ».
Les généalogies sont présentées en trois groupes : 1) d’Abraham à David, 2) de David au retour d’Exil, 3) de l’Exil à Jésus. Tous les noms de la première partie nous sont connus, chez la seconde on n’en connaît que certains, ceux de la troisième sont tous inconnus. Nous sommes là en présence d’une construction.
Elle montre le commencement du monde Juif avec Abraham (nom éponyme qui regroupe plusieurs personnages) qui est défini comme le « Père des Croyants » par David. On peut situer la période d’Abraham vers le 18/19ème siècle AVJC, Moïse vers -1200/-1240, David vers -1000. Paul, dans l’épitre aux Galates 3, 16 affirme : « Eh bien, c’est à Abraham que les promesses ont été faites, et à sa descendance. Il n’est pas dit : « et aux descendances », comme s’il s’agissait de plusieurs, mais c’est d’une seule qu’il s’agit : et à ta descendance, c’est-à-dire Christ ». Après le retour d’Exil, il n’y a plus de royauté, les repères ont disparu, on retrouve de moins en moins de noms. Pourquoi la mention de David ? Genèse 49, 8-12 précise l’importance de la tribu de Juda en déclarant que le sceptre de s’en éloignera pas, et annonce l’arrivée d’un personnage. Or David est de la tribu de Juda, « les peuples lui obéiront ». – à noter qu’il n’y pas de notion de Messie avant l’Exil –
Dans cette première série il est fait mention de Thamar, Rahab, Ruth, la femme d’Urie (Bethsabée), 4 femmes au profil singulier. Jésus est né dans un milieu qui connaissait des passages particuliers.
• Thamar (Genèse, 38, 6-24) : 3 Juda engendra Pharès et Zara, de Thamar,
Le fils de Juda est assassiné avant d’avoir eu un enfant. : S’applique alors la loi du lévirat. (Le lévirat est un type particulier de mariage où une veuve épouse le frère du défunt, afin de poursuivre la lignée de ce dernier. Les enfants issus de ce remariage ont le même statut que les enfants du premier mari. Durant l’Antiquité, le lévirat était pratiqué notamment par les Egyptiens, les Babyloniens, les Phéniciens, les Hébreux et des nomades chinois nommés Xiongnu). Mais aucun des frères n’assure la descendance : Pharès est né d’un inceste entre Tamar et son beau-père, ce qui n’est pas considéré comme une faute mais se justifie par le fait que la succession est assurée et que la Promesse de Dieu peut se réaliser.
• Rahab (Son histoire est racontée dans le livre de Josué) :
C’est une étrangère qui habitait à Jéricho, une prostituée qui facilita l’entrée des Hébreux qui prirent la ville. Acte considéré sous un angle positif car c’est grâce à elle que les Hébreux purent entrer en Terre Promise.
• Ruth (Livre de Ruth)
Avec la complicité de sa mère elle devint la femme de son oncle ; le fils qu’elle en eut engendra Jessé, le père de David. L’arbre de Jessé n’est autre que toute la descendance de David.
• La femme d’Urie (Bethsabée) (2 Samuel 11,3 – 22,15)
David voit cette femme prendre son bain ; il envoie son mari, Urie, se faire tuer dans une guerre pour pouvoir épouser sa femme. C’est elle qui a engendré Salomon. Le prophète Nathan lui fait des reproches, mais l’acte de David a permis la réalisation de la promesse d’Abraham : le plan de Dieu se réalise.
Si, grâce à ces 4 femmes le projet de Dieu se réalise, il en est de même pour Marie, Mt 1, 16 : « Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle est né Jésus, que l’on appelle Christ ». Joseph étant le père légal de Jésus, la lignée de David est assurée. Les écrits de l’Ancien Testament présentent Jésus comme le Fils de David : 2 Samuel, 7, 12,14 : « 12 Lorsque tes jours seront accomplis et que tu seras couché avec tes pères, j’élèverai ta descendance après toi, celui qui sera issu de toi-même, et j’établirai fermement sa royauté. 14 Je serai pour lui un père, et il sera pour moi un fils. S’il commet une faute, je le corrigerai en me servant d’hommes pour bâton et d’humains pour le frapper. »
Conception et naissance dans l’évangile de Mathieu.
On parle peu de Marie. Quel est le rôle de Joseph ? Il donne l’assurance que Jésus est bien le fils de David, ce qui n’est pas un titre messianique. « Fils de David » a une connotation politique : N’est-ce pas celui qui va sauver Israël ?
Est-il époux ou fiancé ? Chez les juifs c’est la même chose : Verset 18 : Marie, sa mère, était fiancée à Joseph (version Bible de Jérusalem ; la Tob indique : Marie, sa mère, était accordée en mariage à Joseph ; verset 19 : Joseph, son époux Verset 24 : il prit chez lui son épouse, (selon la Loi juive cela était obligatoire au bout d’un an).
À ce propos, dans 1Cor, 7, 1-5 on peut voir que Paul n’est pas du tout anti-féministe, comme on l’accuse trop souvent.
L’annonce faite à Joseph.
Mathieu met l’accent sur la grossesse sans faire allusion à une irrégularité quelconque. Dans l’évangile de Mathieu, Marie n’intervient pas. La naissance de Jésus dépend de la réponse de Joseph : par le fait qu’il accepte de prendre Marie chez lui, Joseph répond positivement à l’Annonciation qui lui est faite. Chez Luc, l’Annonciation est faite à Marie dont l’Ange attend l’acceptation. D’ailleurs Joseph n’aurait jamais pu renvoyer « secrètement » Marie : cela est écrit pour dire combien il l’aime.
Cette « conception hors des exigences naturelles » pose question : quelle réponse lui donner ? Mathieu donne-t-il une valeur historique à son récit ou est-ce pour préciser le sens à donner à cet événement ? Le texte précise : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint, …….. elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple » là est avancée l’identité de l’enfant qui va naître, c’est cela que signifie le récit de la grossesse et la naissance de Jésus. Le problème de la virginité de Marie a empoisonné l’atmosphère des discussions sur ce sujet.
Nature divine de Jésus : était-il Dieu dès sa naissance ? Les Apôtres à la Pentecôte proclameront : « il est Vivant Celui que vous avez vu Mort ». Était-il la perfection de la présence divine dans l’homme ? Irénée (évêque de Lyon entre 177 et 202) déclarait : « Dieu a fait l’homme pour que l’homme devienne Dieu ».
Prophétie d’Isaïe 7, 14 : « Aussi bien le Seigneur vous donnera-t-il lui-même un signe : Voici que la jeune fille est enceinte et enfante un fils et elle lui donnera le nom d’Emmanuel. » Le prophète s’adresse aux gens de Juda qui ne cessent de guerroyer contre l’Assyrie sous le royaume d’Achaz et il rappelle la promesse que Dieu ne les abandonnera pas : Emmanuel signifie « Dieu avec nous ». C’est l’annonce d’Ézéchias qui fut un bon roi qui assura l’avenir du royaume puisque parmi sa descendance on compte David. Le texte de Mathieu doit être pris dans un sens adapté à la situation. Isaïe ne parle pas de Jésus, c’est une relecture rapide. Or le texte hébreu dit « la jeune fille » et non pas « la vierge ». Mathieu veut montrer que ce qui arrive à Marie vient de Dieu. Il y a cohérence avec l’idée théologique de l’auteur.
Le rôle de Joseph est d’assurer la filiation légale davidique.
L’annonciation à Joseph est tout aussi importante que celle de Marie. Celle-ci va se trouver enceinte de l’Esprit Saint (attention, l’Esprit saint n’est pas le Saint-Esprit !) selon ce que lui dit l’Ange : un ange, dans la Bible, c’est la Parole de Dieu qui atteint l’homme, le message est personnifié par le messager, l’ange. La réponse de Joseph permet au projet de Dieu de se réaliser. Joseph et Marie sont engagés dans l’accompagnement du projet divin.
Parlant de Marie, l’Ange dit à Joseph : ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint, Or, dans le livre de la Genèse, l’homme fut créé par le « souffle de Dieu » : Il insuffla dans ses narines l’haleine de vie,, et le Psaume 104,30 dit aussi : Tu envoies ton souffle, ils sont créés. Ce souffle c’est l’expression de la pensée : le souffle de Dieu est toujours créateur de quelque chose. L’Esprit est « projet de vie » : Jésus est présenté comme le fruit de l’autorité créatrice dans la parfaite harmonie de la création de l’homme, fonction créatrice et non fécondatrice (l’engendrement n’est pas la création), Jésus n’est pas « créé » à ce moment-là. Dans le texte de Mathieu, le « comment »n’importe plus, ce qu’il veut montrer, ce qui compte, c’est que la volonté de Dieu va se réaliser en Marie. Quelque soit la part d’accueil de Joseph, le projet de Dieu dans l’enfant le destine à une mission créatrice ou recréatrice. Joseph pose son sceau en acceptant Jésus. (« Jésus » veut dire « Dieu sauve » à la différence d’ « Emmanuel » qui signifie « Dieu avec nous »). En donnant le nom de Jésus à l’enfant, il donne son accord au projet de Dieu : le rôle de Joseph est aussi important que celui de Marie : il accueille la mère, puis l’enfant. Il est déclaré « juste » ; un « juste », c’est celui qui vit selon la Parole de Dieu, il aide à accomplir le projet de Dieu.
En Luc 2, 6-7 nous lisons : “. Le temps ou Marie devait accoucher arriva, et elle enfanta son fils premier-né (prôtotokon (aîné des autres) dans le texte grec et non monogenès (fils resté unique). “
En Mt 1, 25, nous lisons : « mais il ne la connut pas jusqu’à ce qu’elle eût enfanté un fils ». Cette limite : “jusqu’à ce que” indique clairement qu’après la naissance de Jésus, Joseph devint réellement l’époux de Marie, ce que ce que confirment les citations suivantes :
(Précision : le grec a deux mots pour distinguer les frères des cousins : * “adélphoi” pour désigner les frères de mêmes parents, * “anépsios” pour désigner les cousins.)
Mt 13, 55-56 ” N’est-ce pas le fils du charpentier ? N’est-ce pas Marie qui est sa mère ? Jacques, Joseph, Simon et Jude, ne sont-ils pas ses frères ? (‘adélphoi’ dans le texte grec original du Vaticanus 1209) et ses sœurs (il en avait donc plusieurs) ne sont-elles pas toutes parmi nous ? D’où lui viennent donc toutes ces choses ? “
Jn 7, 5 ” Car ses frères non plus ne croyaient pas en lui.”
Mc 3, 21 ” Les parents de Jésus, ayant appris ce qui se passait, vinrent pour se saisir de lui ; car ils disaient : Il est hors de sens (fou).”
Lu 8,19-21 ” La mère et les frères (‘adélphoi’ dans le texte grec original du Vaticanus 1209) de Jésus vinrent le trouver ; mais ils ne purent l’aborder, à cause de la foule. On lui dit : Ta mère et tes frères sont dehors, et ils désirent te voir. Mais il répondit : Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la mettent en pratique.”
Ac 1, 14-15 ” Tous d’un commun accord persévéraient dans la prière, avec les femmes, et Marie, mère de Jésus, et avec les frères (adélphoi) de Jésus.”
Ajoutons à cela qu’à l’époque où Jésus vivait les familles d’un seul enfant étaient mal jugées : les familles nombreuses jouissaient de beaucoup de considération. (Xavier-Léon Dufour : dictionnaire du Nouveau Testament). D’autre part aucune femme juive ne pouvait faire vœu de rester vierge, car cela aurait été le refus de recevoir le Messie.
(A suivre)