“Il ne peut y avoir une règle unique pour des systèmes écologiques qui diffèrent”
Selon Elinor Ostrom, Prix Nobel d’économie, la préservation des ressources mondiales passe par une bonne communication au niveau local.
Elinor Ostrom, 78 ans, est américaine et une des rares femmes à avoir reçu le prix Nobel d’économie, en 2009. Cette distinction couronnait ses travaux sur la gestion coopérative des biens communs, au premier rang desquels les ressources naturelles.
Entretien
Propos recueillis par Hervé Kempf
Peut-on gérer les biens communs sans les détruire ?
Oui, à condition de reconnaître leur valeur sur le long terme et que ce qu’on leur fait peut affecter leur pérennité. Si, de surcroît, les gens établissent une bonne communication, ils peuvent définir des règles qui organiseront le partage de la ressource en préservant son intégrité.
Cette gestion doit-elle être du ressort de l’Etat ?
Non. L’Etat se situe très haut, alors que les ressources locales dont nous parlons sont diverses. Il ne peut donc y avoir un jeu unique de règles pour des systèmes écologiques qui diffèrent. Mais un gouvernement national peut mener un travail très important de fourniture d’une information exacte, solide, scientifique. Et l’Etat peut informer les acteurs du déroulement des processus de gestion, aider à créer de petites unités de gestion.
S’agit-il d’utiliser la démocratie pour résoudre la contradiction entre économie et écologie ?
Oui, en ayant l’idée que la démocratie devrait être polycentrique, c’est-à-dire établir un système qui présente différents niveaux de gouvernance – petits, moyens et grands – à partir desquels on peut s’organiser de façon autonome.
La théorie dominante recommande de se fier aux marchés, aux droits de propriété et à l’idée que, si les individus possèdent les ressources, ils en prendront soin. Qu’en pensez-vous ?
Utiliser les seules incitations des marchés pousse à surexploiter rapidement la ressource. Par exemple, en pêcherie, si vous vendez le poisson et retournez pêcher davantage, tant qu’on peut vendre, cela conduira probablement à une surpêche. Mais, si l’on établit une règle commune pour que ne pas pêcher une partie de l’année, les pêcheurs gagneront plus d’argent sur vingt ans, car la filière restera productive.
La théorie du marché est bonne pour les biens privés qui présentent peu d’externalités, c’est-à-dire d’impact environnemental non pris en compte dans le prix du bien. En ce qui concerne les grands systèmes – océans, forêts, atmosphère -, elle n’est pas efficace, parce que ces biens présentent trop d’externalités.
Pourquoi un propriétaire ne voit-il pas à long terme ?
Parce qu’il ne possède qu’une partie de la ressource totale. S’il se limite, il pense qu’il aurait pu prendre plus et perçoit donc la limitation comme une perte.
Si la fixation de règles par la communauté est le bon outil, pourquoi n’est-il pas plus répandu ?
De nombreuses études ont montré ses effets positifs, mais, depuis un article très important de Kenneth Hardin, en 1968, sur ” la tragédie des communs “, la théorie économique s’est développée sur le postulat qu’il était impossible pour les locaux de s’auto-organiser afin de gérer les ressources. Quand les gens ne se connaissent pas, c’est vrai. Mais quand les gens communiquent, la gestion coopérative devient possible.
Comment aborder la question des biens communs mondiaux ?
Par une approche polycentrique. L’élaboration d’un traité international de réduction des émissions de gaz à effet de serre prend un temps énorme. Il faudrait commencer par agir aux différents niveaux, voir ce qu’on peut faire sur le plan local, sans attendre une règle générale. Je suis optimiste sur la capacité d’agir à la base.
Propos recueillis par
Hervé Kempf
Source : article publié dans Le Monde daté du 6 septembre 2011