“Notre système de santé évolue vers une remise en cause de la solidarité”
A l’approche de la présidentielle, quelque 100 personnalités lancent un manifeste pour une santé égalitaire
Ils veulent placer la santé au coeur de la campagne présidentielle. Déplorant une « dépolitisation » des questions de santé, ils souhaitent qu’un débat citoyen s’organise enfin sur l’avenir du système de soins. Cinq personnalités du secteur, le Pr André Grimaldi (diabétologue), le Pr Olivier Lyon-Caen (neurologue), François Bourdillon (médecin de santé publique), Didier Tabuteau (responsable de la chaire santé à Sciences Po) et Frédéric Pierru (sociologue) publient, jeudi 15 septembre, un Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire (Odile Jacob, 190 p., 12 euros).
S’y sont jointes 123 personnalités de tous horizons, médecins, économistes, chefs d’entreprise, dont les comédiens Jane Birkin et Vincent Lindon, les écrivains Denis Jeambar et Hélène Cixous, le sociologue Edgar Morin, l’anthropologue Françoise Héritier. Le Pr Grimaldi explique leurs craintes de la dérive du système.
Le Pr Grimaldi, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris,
le 14 septembre 2011
Photographie Eric Garault pour « Le Monde »
ENTRETIEN
Pourquoi un tel manifeste ?
La santé a été la grande absente des dernières campagnes présidentielles, alors que notre système évolue vers une remise en cause des choix de solidarité et d’égalité faits en 1945. Or contrairement aux Etats-Unis, nous n’avons pas de véritable débat sur la question. L’idée est d’interpeller les politiques, d’autant que nous observons ces dernières années une nette aggravation des inégalités et une accélération vers la privatisation du secteur.
Paradoxalement, nous constatons une dépolitisation de la santé. Le ” trou de la Sécu ” est agité comme un chiffon rouge qui empêche de penser. Le sujet est devenu purement technique et tellement complexe que le public ne peut plus s’en emparer. Or on ne pose plus les questions ” Combien veut-on dépenser pour la santé ? “, ” Que doit financer la solidarité et qu’est-ce qui doit être privatisé ? “, ” Où est le choix de société ? “.
Vous proposez de refonder le système mis en place en 1945. Pourquoi ?
Nous souhaitons rester fidèles à ses deux principes, la solidarité (les plus riches payent pour les plus pauvres et les bien-portants pour les malades), et l’égalité d’accès à des soins de qualité identique sur l’ensemble du territoire. Car ces principes fondateurs sont en train d’être remis en cause. Certes les plus pauvres, grâce à la CMU, et les soins les plus lourds sont toujours pris très largement en charge par la solidarité, mais pour les soins courants, la Sécurité sociale ne cesse de se désengager au profit des complémentaires santé. Ce transfert accroît les inégalités, car 4 millions de Français n’ont pas de mutuelle.
Cette évolution du système comporte surtout le risque qu’à l’avenir, les bien-portants appartenant aux classes moyennes ne veuillent plus payer pour les malades. Si eux-mêmes ne sont plus bien remboursés par la Sécu pour leurs soins courants, ils en viendront à réclamer la fin de son monopole.
Mais il faut aussi aller plus loin. Le problème du système né en 1945 est qu’il est centré sur le soin et ne prend pas assez en compte la santé au sens large, et notamment la prévention. Nous préconisons donc la mise en place de quatre services publics à refonder ou à construire : l’assurance-maladie reposant sur la Sécu et non sur les mutuelles, la sécurité sanitaire et la prévention collective, le service public hospitalier reposant sur l’hôpital public et le privé à but non lucratif, le service public de la médecine de proximité reposant majoritairement sur les médecins libéraux.
Les dépassements d’honoraires des médecins libéraux se sont généralisés. Comment régler cette question ?
Il est primordial d’assurer partout la présence de médecins exerçant en secteur 1 (sans dépassement). Nous proposons de bloquer l’installation de médecins en secteur 2 (tarifs libres) dans les zones où il n’y a pas assez de médecins en secteur 1 pour garantir le respect du principe républicain de l’égalité d’accès aux soins.
Votre proposition phare consiste à réaugmenter le remboursement des soins courants, dont la Sécurité sociale se désengage peu à peu. Comment la financez-vous ?
Faire passer le niveau de remboursement des soins courants de 55 % au taux originel de 80 % coûterait entre 7 et 8 milliards d’euros. Plutôt que de raisonner en termes de ” maîtrise médicalisée ” et de ” responsabilisation des malades “, il faut revoir les recettes mais aussi toutes les dépenses que la solidarité doit prendre en charge. On peut imaginer par exemple que les cures thermales ne soient plus prises en charge.
Il faut surtout engager une vraie évaluation médico-économique des médicaments. Des taux de remboursement à 15 % ou à 30 % n’ont pas de sens. Entre deux produits d’efficacité identique, c’est le moins cher qu’il faut rembourser.
La liste est longue et la différence de prix peut être considérable, jusqu’à 400 fois pour des médicaments semblables traitant la dégénérescence maculaire rétinienne ! Le scandale du Mediator a rendu l’opinion prête à comprendre cette révision. En revanche, il faut relever d’urgence le remboursement des soins dentaires et d’optique.
Pour réduire les dépenses, nous préconisons aussi de regarder du côté de la disparité des pratiques médicales. D’un établissement à l’autre, les taux de césariennes, d’endoscopie digestive, de pose de pacemakers ou de stents coronariens varient de 1 à 3 !
Et du côté des recettes ?
Nous estimons que l’ensemble des revenus doit participer au financement de la Sécurité sociale – la Cour des comptes avait d’ailleurs estimé en 2010 les exonérations de cotisations à 35 milliards d’euros.
Surtout, il faut instaurer une règle d’or. Si les dépenses de santé médicalement justifiées augmentent, alors les recettes doivent croître en proportion. Si nous faisons le choix de dépenses pour notre santé, nous devons payer et non laisser à nos enfants la charge de le faire. On comprendrait mal que les candidats à la présidentielle esquivent ce débat.
Propos recueillis par
Laetitia Clavreul
Source : article publié dans Le Monde daté du 16 sept. 2011
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