Islam ou islamisme ?
Les Tunisiens sont appelés aux urnes le 23 octobre prochain, pour élire une Assemblée constituante de 218 membres. Pour cette échéance, les 110 partis politiques qui ont vu le jour depuis la révolution du 14 janvier sont en compétition. Le reportage ci-après de Thierry Brésillon donne des clés pour discerner les enjeux.
La place de la religion est au centre du débat avant l’élection le 23 octobre d’une assemblée constituante.
Le 23 octobre, les Tunisiens vont voter pour désigner une assemblée constituante. L’enjeu : la définition du régime politique et du socle de valeurs, après un demi-siècle d’autocratie policière.
Crédité de 20 à 30 % des intentions de vote, le parti islamiste Ennahdha est annoncé comme le vainqueur probable du scrutin, tandis que les signes extérieurs de religiosité se font plus visibles. Sur Facebook et dans les débats publics, l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD) emblématique de l’élite moderniste et laïque, est l’objet d’attaques virulentes. Dans un autre registre, la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution a adopté, début juillet, sur proposition des partis nationalistes et d’Ennahdha, une clause interdisant la normalisation des relations avec « l’entité sioniste ».
La révolution tunisienne, démarrée sous la bannière de la liberté, va-t-elle tourner au repli identitaire sur des valeurs arabo-islamiques ? C’est l’opinion du Pôle démocratique moderniste, un collectif de partis et d’organisations constitué autour du mouvement Ettajdid (l’ancien parti communiste, converti à la social-démocratie depuis 1994) pour contrer le projet d’Ennahdha et défendre l’ancrage de la Tunisie dans des valeurs universelles. Une position loin de faire consensus.
« Le modèle de société n’est pas en jeu, et c’est la gauche laïciste qui a enflammé le débat identitaire », accuse Khelil Ezzaouia, porte-parole du Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL), parti de centre-gauche. « Le rejet de l’islamisme a poussé une partie de la gauche à s’allier à Ben Ali », rappelle-t-il.
« L’islamisme n’est pas une préoccupation pour la population, le problème principal est socio-économique. La priorité, pour la Constituante, c’est la rupture avec l’ancien régime, assure Hamma Hamami, secrétaire du Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT). Il faut relativiser la force d’Ennahdha. La stratégie de diabolisation est contre-productive. »
Depuis qu’il a été légalisé le 1er mars dernier, le parti islamiste s’emploie à rassurer sur sa volonté de s’inscrire dans le cadre du pluralisme. « Le problème n’est pas l’islamisation ou la désislamisation de la société, c’est la démocratisation », confirme Ajmi Ourimi, membre du bureau exécutif d’Ennahdha, après plus de seize ans passés dans les geôles de Ben Ali.
Pour comprendre ces convergences étonnantes, il faut revenir à une mobilisation lancée en 2005, dite « Mouvement du 18 octobre », qui rassemblait Ennahdha, le PCOT, le FDTL et le Parti démocrate progressiste (le PDP) autour de revendications démocratiques. « Cette expérience a été très importante, insiste Ajmi Ourimi. Nous avons bâti une relation de confiance avec les autres partis. Aujourd’hui, nous entendons conserver cette méthode fondée sur la concertation. La référence à l’identité arabo-musulmane de la Tunisie rassemble tous les partis centristes, poursuit-il. Tout le monde est d’accord pour exclure ce sujet du champ des problèmes. Seuls les extrêmes, les salafistes et les laïcistes veulent en faire un objet de surenchère. » « Avec le conflit israélo-palestinien, l’esprit de croisade de l’après-11 Septembre, la guerre en Irak, la population s’est sentie attaquée par l’Occident sur un plan identitaire », analyse Hamma Hamami. Le harcèlement policier à l’égard des femmes voilées et des fidèles trop assidus à la mosquée a renforcé sous Ben Ali ce besoin de réaffirmer l’islamité.
Mais ce retour identitaire vient de plus loin encore. De la tentative de modernisation autoritaire menée par Habib Bourguiba. « Dans sa conception de l’identité tunisienne, il a voulu écarter l’islam et la tradition, dénonce Ajmi Ourimi. Nous sommes d’accord pour conserver les acquis des femmes, mais nous voulons réintégrer l’islam dans l’équation identitaire tunisienne. » La révolution tunisienne, processus commencé le 14 janvier 2011, n’a pas encore livré toute sa signification.
Thierry Brésillon
Source : publié dans Politis n° 1171 du 6 octobre 2011
http://www.politis.fr/Islam-ou-islamisme,15458.html
Pour en savoir plus :
– En Tunisie, un difficile chemin vers l’élection
– Les électeurs tunisiens ont l’embarras du choix