La Grèce, dossier noir de l’ancien VRP du hors-bilan chez Goldman Sachs
La nature des fonctions de Mario Draghi chez Goldman Sachs entre 2002 et 2005 constitue la grande zone d’ombre du parcours professionnel du nouveau président de la Banque centrale européenne (BCE). En particulier, son rôle dans l’affaire du maquillage des comptes de la Grèce reste un mystère.
Un petit rappel des faits d’abord. En 1999, lorsque la création de l’euro est décidée, la Grèce ne peut adhérer à la monnaie unique. Athènes est à des années-lumière des critères très rigoureux énoncés par le traité de Maastricht. Pour rejoindre le dispositif, la nation hellène n’a d’autre choix que de dissimuler ses déficits.
Dans ce contexte, en 2000, Goldman Sachs International, la filiale britannique de la banque d’affaires américaine, vend au gouvernement socialiste de Costas Simitis un “swap” en devises qui permet à la Grèce de se protéger des effets de change en transformant en euros la dette initialement émise en dollars. L’astuce permet à la Grèce d’inscrire cette nouvelle dette en euros dans son hors-bilan et de la faire momentanément disparaître. Pour sa part, Goldman Sachs empoche des commissions juteuses et voit sa réputation de bon gestionnaire de dette souveraine portée au pinacle.
Et c’est à ce stade qu’intervient M. Draghi. L’intéressé affirme qu’étant entré en fonctions en 2002, il n’a rien eu à voir avec le maquillage orchestré deux ans plus tôt par la banque. Et il a démissionné en 2005, soit un an avant que Goldman Sachs ne revende dans des conditions qu’on ignore encore, ni vu ni connu, une partie du “swap” à la National Bank of Greece, la première banque commerciale du pays, dirigée par un ancien goldmanien.
Reste que entre ces deux dates, M. Draghi est associé de Goldman Sachs, “vice-président pour l’Europe-Goldman Sachs International, entreprises et dette souveraine”, un intitulé du poste qui laisse supposer que M. Draghi a assuré le suivi du contrat grec.
Deux mois après son arrivée au 133 Fleet Street, le siège néogothique de Goldman Sachs International, M. Draghi signe d’ailleurs un article avec le Prix Nobel d’économie Robert C. Merton, justifiant le recours à ces pratiques légales de dissimulation des créances “pour stabiliser les revenus de l’impôt et éviter la soudaine accumulation de dette”.
« Conflit d’intérêts »
Enfin, comme l’affirme le New York Times publié le 30 octobre, citant un ex-banquier de Goldman Sachs sous couvert d’anonymat, M. Draghi a été chargé de vendre dans toute l’Europe ce type de produit financier “swap” permettant de dissimuler une partie de la dette souveraine.
Au cours de son audition devant le Parlement européen, le 14 juin 2011, le président de la banque centrale d’Italie avait écarté tout “conflit d’intérêts” et affirmé ne pas avoir conseillé les gouvernements européens sur leur gestion de la dette.
Dans ses fonctions de VRP du hors-bilan, un autre facteur a aidé M. Draghi à vendre ce produit financier à la Grèce : la désorganisation d’Eurostat, l’institut européen de la statistique censé être l’arbitre attitré du respect des critères du traité de Maastricht. Pris dans la tourmente d’un scandale financier interne, il s’en trouve paralysé au moment du lancement de l’euro et le restera jusqu’en 2005.
Pourquoi ce premier de la classe est-il allé se fourvoyer dans l’aventure de Goldman Sachs ? L’argent, la culture d’entreprise très spécifique à cette banque, l’admiration pour les Etats-Unis ? Il y a sans doute un peu de tout cela.
Les liens entre M. Draghi et Goldman Sachs remontent aux privatisations italiennes, au début des années 1990, dont il s’était occupé en tant que directeur du Trésor. Parmi les banques étrangères, Goldman Sachs, qui cherchait alors à se faire une place sur le Vieux Continent, s’était taillée la part du lion de ce gigantesque programme. L’institution avait en particulier obtenu le mandat pour la cession, en 1993, du géant des hydrocarbures ENI.
Certains à Rome, à l’instar de l’ancien président de la République Francesco Cossiga, ont accusé M. Draghi d’avoir favorisé son futur employeur dans l’attribution de contrats de dénationalisations. Ce dont M. Draghi s’est toujours défendu.
En 2006, Luca Montezemelo, l’ex-président de Fiat et l’un de ses anciens condisciples à l’université, a révélé toutefois que la famille Draghi passait régulièrement ses vacances dans le sud de l’Italie en compagnie de Robert Rubin et des siens. Cet ancien secrétaire au Trésor de Bill Clinton a fait toute sa carrière chez Goldman Sachs avant d’en assurer la coprésidence entre 1990 et 1992.
Marc Roche
Londres Correspondant
Source : article paru dans Le Monde daté du 1er Novembre 2011