Nous reproduisons ici, traduite de l’arabe, une chronique de l’écrivain égyptien Galal Amer, parue le 22 novembre 2011 dans le quotidien Al Masri Al Youm. Les bombes lacrymogènes obscurcissent la vue et les écrans de fumée obscurcissent les consciences.
Je suis un voyou, l’enfant d’un quartier populaire d’Egypte. Comme un passant, je disparaîtrai aussi soudainement que je suis apparu, car il n’y a derrière moi ni association, ni syndicat ni parti, ni clique. En mai 2010, j’ai vécu l’ère de « La Prime, Monsieur le président ! » et, en janvier 2011, celle de « Fiche le camp, Président ». J’ai lu sur les conquêtes romaine, arabe et ottomane et je me suis toujours interrogé : « Pourquoi, Dieu, sommes nous-conquis par le premier venu ? » J’ai appris la tactique chez de grands chefs de guerre et, pour moi, la pire des choses que le Conseil militaire ait jamais faites, c’est d’avoir considéré la révolution comme une offensive hostile, qu’il lui faudrait d’abord « absorber » avant de lui opposer une contre-offensive.
Ceux qui tiennent le pouvoir s’allient toujours à ceux qui tiennent l’argent, contre les pauvres qui, eux, n’ont que leur urine à tenir. Essaie de vite lire cette chronique car je dois partir à cause de la fumée. La seule chose qui ait été modernisée au ministère de l’Intérieur, ce sont les bombes lacrymogènes. Le gouvernement a exploité la trêve pour se réarmer et, étrange coïncidence, la rue Mohamed-Mahmoud (où ont lieu les affrontements les plus durs, NDT) porte le nom du pire ministre de l’Intérieur de l’histoire de l’Egypte, qui était surnommé « Poigne de fer ». A cette cadence, la moitié d’entre nous finiront la période de transition avec un œil unique.
Nous vivons dans l’illusion, et tout n’est qu’écran de fumée : le référendum, les amendements de la Constitution, le « Document portant principes supra-constitutionnels »… Il y en a qui rendent hommage aux Martyrs avant de poursuivre le massacre, et d’autres qui nous parlent de l’au-delà alors qu’ils possèdent tout ici-bas. Le cheikh et le curé s’embrassent lors des « réunions de réconciliation », mais chacun d’eux dit dans son for intérieur : « Puisses-tu, Dieu, lui transmettre mon rhume ! » Les médias, les grandes plumes…, tout n’est qu’écran de fumée. Nous en suffoquons.
Transmettre le pouvoir ? Comment ? Contre accusé de réception ou par huissier de justice interposé ? Ceux qui déclament les éloges funèbres de la révolution sont plus dangereux que ceux qui tentent de l’enterrer. Après les manifestations du 25 janvier, nous avons eu droit à la « Bataille du chameau » et, aujourd’hui, après les manifestations du 18 novembre, nous avons droit à la « Bataille des urnes ». Si elle n’a pas encore pris le pouvoir, la révolution est au moins consciente que Mohamed Hosni (Moubarak, NDT) est Mohamed Hussein (Tantaoui, NDT) est Mohamed Badie (Guide des Frères musulmans, NDT) est Mohamed Mahmoud : tous des bombes lacrymogènes.
Texte original (en arabe) de Galel Amer
Traduit de l’arabe par Yassin Temlali
Source :
Pour en savoir plus sur les violations des droits humains par les dirigeants militaires de l’Egypte : LIRE
le communiqué de presse d’Amnesty international du 22/11/2011.