Les Prêtres de 70 et quelques ans…•
Ils sont majoritaires, les prêtres de 70 et quelques ans. C’est étonnant, mais après eux, la relève s’est rapidement faite rare. S’ils se retournent, c’est bien souvent le vide qui les suit. Trouver un prêtre d’âge mûr, environ 50 ans, et de bonne éducation, afin par exemple d’en faire un évêque, c’est devenu pour la hiérarchie le parcours du combattant, pour ne pas dire la croix et la bannière. En fait la pyramide des âges du clergé est à l’envers depuis quelque temps, elle repose sur sa pointe. C’est dire si son équilibre est fragile et largement compromis. Ils sont donc majoritaires et pourtant mécontents…
D’abord ils ont appris le grec et le latin. Ce qui ne les a pas tellement armés pour affronter les vicissitudes de la vie actuelle, mais ils ont l’air tellement cultivés et bien souvent si intelligents, que cela compense. Ils ont dû apprendre à dire la messe en latin selon le rite de Pie V, c’est-à-dire en soutane, face au mur, dos aux fidèles et sonnette à l’appui. Puis, le concile aidant, ils ont pu ou dû se retourner, apprendre à parler la langue du peuple et changer de costume. Le rite a changé, mais l’ancien vient d’être solennellement restauré à l’usage des nostalgiques. Dans l’Eglise rien ne se perd, et beaucoup voudraient sans doute que rien ne se crée.
Jeunes prêtres, ils ont vibré avec tant d’autres, aux appels du concile Vatican II. L’aggiornamento les concernait tellement, l’espoir de voir le message évangélique prendre le pas sur le droit canon les soulevait, et la perspective d’animer des communautés de base capables de transformer la vie des gens les enthousiasmait. On a même vu naître une théologie de la libération à l’usage surtout de l’Amérique latine, vite étouffée et ensuite condamnée sans aucun ménagement. Certains d’entre eux sont devenus ouvriers quand, sous l’influence du concile, l’interdiction du Vatican fut suspendue et que le chômage n’avait pas encore désagrégé le prolétariat. Ils ont habité les cités, les quartiers pauvres, ont été élus délégués syndicaux, ont pris des engagements politiques. Certains ont vécu intensément la contestation, la volonté de se « déclergifier ».
En fait, la moitié d’entre eux sont partis, pour se marier, pour vivre libres, pour se débarrasser des interdits que, de toute évidence, l’évangile ne prévoyait pas. Ceux qui sont restés ont encaissé la surcharge de travail, la condamnation de la pilule contraceptive, la panique et les reculades de Paul VI, la guerre contre l’avortement, les shows et le conservatisme déguisé de Jean-Paul II, le refus formel d’ordonner des femmes, puis enfin la rigidité dogmatique et un rien paranoïaque de Benoît XVI. Retour aux rites anciens, main tendue aux traditionalistes, mise en cause ou à l’écart des théologiens progressistes, refus des sacrements aux divorcés remariés, condamnation des universités qui pratiquent la recherche sur la procréation assistée, les embryons, le clonage, mise en question de l’évolution avec un large retour vers le créationnisme, voici le décor devenu quotidien des prêtres de 70 et quelques ans.
Peut-être, à force, ont-ils acquis des réflexes et une mentalité d’ « ancien combattant » ? Et pourtant, le plus dur est encore à venir. Il vient d’ailleurs assez rapidement. La rareté des prêtres, combinée avec le refus catégorique de confier de réelles responsabilités aux laïcs entraîne la mise en œuvre de nouvelles stratégies. Il y a des évêques qui se sont réfugié dans le recrutement systématique et intensif de missionnaires étrangers, de préférence polonais pour certains, afin de ne pas sortir de la ligne pure et dure définie par le Vatican, africains pour d’autres, plus ouverts sans doute et davantage prêts à faire des découvertes ou créer des surprises. Mais ce recrutement a des limites, et certains évêques l’ont compris qui ont progressivement mis au point un recadrage des paroisses en zones pastorales, assez semblable aux fusions de communes. Il s’agit évidemment de faire des économies d’échelle en hommes, en bâtiments, en moyens financiers.
Le prêtre, car il s’agit toujours exclusivement de prêtres, qui devient responsable de zone ou d’entité – cela fait moins « police » dira-t-on – c’est-à-dire de 4,5,6 anciennes paroisses, plus tard ce sera probablement 8,9,10, est en principe formé pour être un « manager ». Son rôle est d’être l’organisateur d’une équipe de collaborateurs bien choisis et révocables à merci. Il dispose d’une autorité qui ne se discute pas, col romain éventuel à l’appui. On n’est pas en démocratie, que diable ! D’abord il fera place nette et les 70 et quelques ans doivent savoir que 75 est une limite bien définie qui ne souffre plus aucun retard. Ils sont donc invités à présenter leur démission à temps et à heure, et à oublier sans regret l’inamovibilité du curé sur laquelle ils avaient peut-être pensé pouvoir s’appuyer. Ensuite le nouveau nommé mettra ses hommes et ses femmes en place pour couvrir tous les secteurs d’activité, d’ailleurs traditionnels, car il n’est pas vraiment question d’innover. Ce qu’il faut c’est assurer la pérennité de l’institution. Lui restera le détenteur du sacré, auquel on ne touche pas
Ainsi, un diocèse de plus d’un million d’habitants pourra se structurer à l’avenir avec une cinquantaine d’entités et vivre avec un effectif d’environ cent prêtres, jadis il en avait souvent plus de mille. Le nouveau curé devient un directeur, l’évêque un pdg, mais cela n’est pas vraiment nouveau. Ce qui est perdu c’est la dimension humaine. La paroisse est d’habitude d’origine féodale. Elle a été créée sur le principe de la territorialité. Elle était essentiellement un tissu de relations humaines. Une paroisse couvrait le terrain qu’un homme pouvait assumer et les habitants qu’il était capable de rencontrer en toute convivialité, avec lesquels il pouvait vivre, chercher, partager, réfléchir, être heureux, éventuellement avec l’aide et la présence d’un ou plusieurs vicaires. L’entité sera aussi un territoire mais le territoire d’une organisation, réelle ou virtuelle, capable de couvrir les besoins religieux normaux d’une population définie, une entreprise à fabriquer du sacré et à tranquilliser les consciences.
Il est fini le temps de l’abbé Pierre et de sœur Emmanuelle, qui avaient leur franc-parler. Il est fini le temps de Guy Riobé et de Jacques Gaillot qui savaient sortir des rails. Il est fini le temps de Louis Evely, de Pierre de Locht, de Jean Kamp et de Gérard Bessière qui cherchaient des chemins nouveaux. Il est fini le temps des cerises, c’est maintenant le temps des crises.
Il est même fini le temps des charismes. Les prêtres de 70 et quelques ans ont parfois eu jadis la possibilité de s’exprimer et de se réaliser dans des initiatives personnelles. Il y en eut pour promouvoir le mouvement liturgique, d’autres ont trouvé dans le caritatif leur raison d’être, services d’entraide et restos du cœur ont occupé leurs journées. Les mouvements de jeunesse ont absorbé beaucoup d’énergie. Certains se sont battus pour le droit au logement, l’accueil des étrangers, le respect des prisonniers ou l’organisation des soins palliatifs. C’est fini. On ne peut plus se disperser autant, voyons ! L’objectif actuel, et pratiquement unique, c’est le regroupement pour le sauvetage de l’institution.
Les prêtres de 70 et quelques ans vont-ils résister à cet étouffement de ghetto ? N’auront-ils pas des regrets, d’avoir été trop soumis, trop obéissants, trop humbles ? N’a-t-on pas oublié de leur dire qu’il aurait fallu des prophètes plutôt que des serviteurs ? Et que s’ils recevaient des coups, ils devaient être capables de les encaisser, et de rester eux-mêmes.
Que vont-ils devenir les prêtres de 70 et quelques ans ? Il n’est pas impossible que la retraite les libère, et que, longtemps après leur vocation sacerdotale, ils découvrent enfin leur vocation humaine. Peut-être choisiront-ils le Christianisme plutôt que l’Eglise catholique, l’Evangile plutôt que le droit canon, les béatitudes plutôt que les commandements et le Magnificat plutôt que le Credo ? C’est peut-être aussi pour eux, la théologie de la libération ? A eux de jouer, et de vivre surtout !
Jacques MEURICE
A LIRE
Ouvrages de Jacques Meurice :
• « Adieu l’Eglise. Chemin d’un prêtre-ouvrier ». Edit. L’Harmattan, Paris, 2004.
• « Jésus sans mythe et sans miracle. L’évangile des zélotes ». Edit. Golias, Villeurbanne, 2009.
Source : article transmis par l’auteur – 8 Déc. 2011