L’avenir des arabes chrétiens
Bloc-notes du 5 décembre 2011 de Jean Claude Petit ,
Président du réseau Chrétiens de la Méditerranée.
Nous les avons longtemps ignorés, pour ne pas dire méconnus. Aujourd’hui, Dieu merci, leur voix commence à être entendue et leur situation prise en compte. Sur environ trois cent trente millions d’habitants que compte l’ensemble des pays du Proche et du Moyen Orient, ils sont entre dix et douze millions d’Arabes chrétiens dont cinq millions sous l’autorité du pape de Rome. Héritiers des chrétiens des premiers siècles, ils appartiennent à onze Eglises orientales de rites différents et vivent, depuis quinze siècles avec les Arabes musulmans. Mgr Maroun Lahham, jordanien d’origine, aujourd’hui archevêque de Tunis, écrit à ce propos : « Il serait naïf de penser que ces quinze siècles se soient passés sans heurts, sans des hauts et des bas. Mais il est aussi vrai qu’une si large coexistence a forgé chez les uns et les autres, la conviction que l’autre (chrétien ou musulman) constitue une partie intégrante de sa propre histoire, de sa propre culture et de sa propre civilisation. » Et d’ajouter : « Il ne s’agit pas là d’un simple détail. Dans toutes ces tribulations la dimension “nationale”, c’est-à-dire la dimension de l’arabité a prévalu sur la dimension religieuse. »
Autrement dit, les Arabes chrétiens sont « chez eux » au Proche et au Moyen Orient. Même s’ils le sont, les uns et les autres, dans des conditions très diverses et sous des régimes très différents, aujourd’hui encore plus qu’hier, en plein bouleversement du monde arabo-musulman. Les chrétiens d’Irak vivent en pleine tourmente quand ceux du Liban font l’apprentissage du pluralisme politique. Les Syriens sont en pleine dispute entre pro et anti-Assad quand les Palestiniens multiplient les groupes islamo-chrétiens. Des Coptes embrassent des musulmans sur la place Tahir au Caire tandis que des dizaines d’autres se font tuer par des extrémistes musulmans dans leurs églises.
Sur ce fond d’histoire commune et d’arabité partagée, de nouvelles données, en effet, se sont fait jour depuis un quart de siècle. Une émigration déjà ancienne mais en augmentation due aux conditions économiques, une natalité en baisse, une participation citoyenne en dégringolade alors qu’aux XIXème et XXème siècles les chrétiens avaient joué un rôle prépondérant dans la renaissance arabe, le statut de « dhimmis », c’est-à-dire de minoritaires protégés par les pouvoirs musulmans, en contrepartie de leur soumission et du paiement d’un impôt spécial, la non réciprocité en matière de liberté religieuse, de conversion et de construction d’églises, tout cela a fait que l’addition a été trop lourde pour beaucoup de familles. Hélas, les difficultés se sont fortement aggravées, ces dernières années, avec la montée de plus en plus violente des extrémismes religieux, plus connus sous le nom d’islamistes. Les chrétiens d’Irak en ont été de loin les plus nombreuses victimes. Plus de quatre cent mille à ce jour ont dû fuir leur pays depuis la chute de Saddam Hussein. Sans oublier bien sûr les centaines de morts et de blessés dans les attentats sauvages, véritables martyrs de la foi. A travers ces violences de toutes natures se déploie et se développe de plus en plus la haine de l’Occident, suscitée dans les populations par les islamistes et dont les chrétiens présentés, comme les fils des « Croisés », sont les premiers à faire les frais. Tout cela explique le déclin des populations chrétiennes dans l’ensemble proche et moyen oriental. Et l’inquiétude qu’il provoque.
Face à cet exil silencieux, les chrétiens d’Europe ne peuvent pas demeurer indifférents. S’agit-il d’en appeler à la croisade comme l’a fait récemment un prêtre catholique prêt à en découdre avec l’islam ? Ou de crier à la persécution généralisée des chrétiens d’Orient avec des titres racoleurs et dangereusement provocateurs ? Laissons là des attitudes imprudentes et imbéciles. Manifester à l’égard de nos frères arabes une solidarité naturelle va de soi. Elle peut prendre mille formes, d’une information plus complète à des voyages-rencontres, voire à des parrainages, à des jumelages, à des temps de prière partagés, que sais-je encore…
Mais être solidaire c’est aussi écouter, comprendre et apprendre. A cet égard, l’expérience historique des Arabes chrétiens est pour nous, chrétiens d’Occident, une véritable leçon de choses. D’eux, nous pouvons apprendre une manière plus synodale de vivre l’Eglise. Ou bien une façon différente de célébrer notre foi à travers une liturgie plus orientée vers l’action de grâces, plus ample, plus biblique. Ou encore une approche plus expérimentale, plus humaine du dialogue avec les musulmans. D’eux, nous devons retenir comment, affrontés au défi de la diversité des cultures dès les premiers temps du christianisme, ils se sont mis en quête de la vérité du Christ pleinement homme et pleinement Dieu et l’ont exprimée dans les grands conciles de Nicée et de Chalcédoine. D’eux, enfin, nous pouvons nous inspirer pour être à leurs côtés, comme ils l’ont été des siècles durant, des “passeurs” entre des univers culturels et religieux différents. Des passeurs, autrement dit les porteurs d’un message d’universalité dans lequel tous les humains sont égaux, en dignité, en droits et en devoirs face aux limites des communautarismes montants.
Au moment où le monde arabo musulman est en plein chambardement, assoiffé qu’il est de dignité, de justice et de paix, voilà les Arabes chrétiens appelés à jouer, plus que jamais, un rôle historique dans l’ensemble euro-méditerranéen. « Leur destin, écrit le grand journaliste libanais Ghassan Tuéni, est de servir l’harmonie des cultures et la coexistence entre les religions. Autrement dit, de négocier aujourd’hui un pacte avec l’histoire. » Mais pour ce faire, ils ont l’urgent besoin de sortir de la fragilité où ils se trouvent. Comment ? En devenant, dans tous les pays du Proche et du Moyen Orient, « des citoyens à part entière » ainsi que l’a souhaité, en 2010, le Synode des évêques de la région réuni par Benoît XVI. Syrien de confession chaldéenne, spécialiste connu des minorités, Joseph Yacoub écrit à ce propos : « Conférer aux chrétiens la qualité de citoyens à part entière, leur accorder une liberté effective d’exercice de la religion et la réciprocité d’un traitement égal, voilà une vertu qui honorerait les pays arabes. » Et qui contribuerait à l’avancée de la paix.
On l’aura compris, l’avenir des Arabes chrétiens est un enjeu géopolitique autant que religieux. Citoyens et chrétiens d’Europe saurons-nous en prendre la mesure à temps ?
Jean-Claude PETIT
Source :
http://www.chretiensdelamediterranee.com/article-l-avenir-des-arabes-chretiens-89862881.html