Les “Economistes atterrés” s’invitent dans la campagne présidentielle
Par Christine Monin et Laurent Grzybowski
27 experts en économie, réunis par un même refus du néo-libéralisme, publient Changer l’économie*. Un ouvrage collectif qui rassemble une série de propositions pour 2012 et livre des pistes pour sortir de la crise. Un changement est possible, disent-ils. Après, tout est affaire de choix et de volonté politiques.
Pousser aussi loin que possible la critique de l’idéologie néo-libérale et relancer le débat citoyen sur les solutions à la crise. Tels sont les deux objectifs que se sont fixés les 27 experts du collectif des économistes atterrés qui publient Changer l’économie (aux éditions les Liens qui libèrent). “Ce livre n’est pas un programme cohérent mais une série de propositions – dont certaines peuvent être contradictoires – qui montrent que des politiques alternatives sont à la fois souhaitables et possibles”. Indépendants de tout pouvoir politique ou financier, ces économistes souhaitent faire vivre une pensée libre et critique et donner à réfléchir à la veille des échéances électorales.
Les Atterrés s’étaient constitués en octobre 2010 autour d’un Manifeste en forme de ras-le bol. “Nous assistons aujourd’hui à une crise majeure du capitalisme qui a atteint les fondements mêmes de notre économie. (…) Pourtant, en dépit de ces bouleversements, les responsables politiques assènent avec certitude : il faut réduire les dépenses publiques, engager des réformes structurelles… en s’appuyant sur des fausses évidences, théoriquement mal étayées”, expliquait alors à La Vie Philippe Askenazy, chercheur à l’Ecole d’économie de Paris.
Ils ont, depuis cet acte fondateur, animé des dizaines de débats dans toute la France, publié un second ouvrage : 20 ans d’aveuglement. L’Europe au bord du gouffre (Les liens qui libèrent) pour partager leurs analyses avec le plus grand nombre. Le collectif a grandi et rassemble aujourd’hui quelque 2000 personnes d’horizons variés, portées par un même désir de mettre fin au règne de la finance, dans la banque et dans l’entreprise, pour revenir à une économie “plus réelle”. “Il faut que les banquiers redécouvrent le cœur de leur métier, même s’il est un peu ennuyeux, et arrêtent de jouer au casino”. Devant les membres de l’Association des journalistes de l’information sociale (AJIS), le 5 janvier, plusieurs d’entre eux sont intervenus pour critiquer durement la politique économique du gouvernement qui, en diminuant l’imposition des revenus du capital, du patrimoine et des droits de transmission, “a détruit une partie des bases fiscales traditionnelles”. Tous s’inquiètent également des risques sociaux inhérents aux politiques d’austérité en vigueur aujourd’hui.
Au menu du livre : des propositions tant sur l’Europe, le verdissement de l’économie, la fiscalité, la finance que le travail ou la protection sociale. Oscillant entre radicalité et réformisme, utopie et réalisme. En Europe, les économistes atterrés plaident pour que les États membres retrouvent la maitrise de leur politique budgétaire – dont ils se sont privés avec le Pacte de Maastricht – afin d’être mieux outillés pour affronter la crise. Mais cela n’est possible qu’à deux conditions : que la Banque centrale européenne garantisse les dettes des États, ce qui n’est aujourd’hui pas le cas, et que ces derniers fassent preuve d’une solidarité sans faille. Autrement dit que les pays du Nord apportent un soutien inconditionnel à la Grèce, au Portugal, à l’Espagne ou à l’Italie. Les économistes atterrés suggèrent également qu’en lieu et place d’une austérité généralisée, les pays du Nord mènent des politiques expansionnistes, et que les pays du Sud s’attellent à leur réindustrialisation. La lutte contre l’évasion fiscale et la corruption doivent également, selon eux, devenir une priorité.
Sur la fiscalité, les économistes proposent une réforme qui s’appuie sur trois propositions simples : supprimer les niches fiscales, créer deux nouvelles tranches d’impôt sur le revenu, et harmoniser les politiques fiscales des pays de l’Union pour éviter une concurrence qui bénéficie aujourd’hui aux grandes entreprises et aux ménages les plus aisés. Ces derniers peuvent, en effet, exercer une véritable pression sur les gouvernements pour exiger des baisses d’impôt, en brandissant la menace de l’évasion fiscale.
Sur le plan social, ils refusent à la fois austérité et privatisations. “Contrairement à une idée reçue, la crise n’est pas liée à un excès de dépenses, mais à une diminution des recettes de l’Etat”, affirme Sabine Issehnane, chercheuse au Centre d’économie de l’université Paris Nord, membre du collectif. “Pour sortir de la crise, dit-elle, il faudrait commencer par relancer une véritable politique sociale. La privatisation de la protection sociale coûte beaucoup plus cher à la collectivité que le système public des retraites, de la santé ou des allocations familiales.” Prenant le contre-pied de nombreux décideurs, cette jeune économiste estime également qu’il faudrait aller plus loin dans la réduction du temps de travail, “moins violente que le chômage et le sous-emploi”, mais en l’organisant de manière “plus solidaire et moins individualiste”.
Que l’on a adhère ou non à ces propositions, l’ouvrage, clair et abordable, a le mérite de relancer un débat trop souvent phagocyté par l’urgence et d’interroger les fondements de la politique économique. Surtout, il nous rappelle que la sortie de crise n’est possible qu’à condition de mener une réflexion globale et non pas à coup de mesures, annoncées pêle-mêle aux médias, sans hiérarchie ni cohérence véritable. De quoi donner aux candidats à l’élection présidentielle matière à réflexion.
Source : publié le 10/01/2012
* « Changer d’économie ! – nos propositions pour 2012 », Les économistes atterrés, Ed. Les liens qui libèrent , 280 pages, 18,50 €, 2012.
En savoir plus : cf le site des économistes atterrés