La guerre perdue du Vatican
Le documentaire de Patrick Benquet, diffusé le lundi 2 avril 2012 sur France 3, s’interroge sur le conflit entre modernes et conservateurs qui a suivi le concile Vatican II et déchire toujours le monde catholique.
Que reste-t-il de l’image progressiste de Jean-Paul II après les explications, archives à l’appui, montrant que le souverain pontife a tout fait pour réduire l’influence des théologiens de la libération en Amérique latine, qu’il a soutenu, malgré les scandales de corruption et de pédophilie, les mouvements les plus réactionnaires comme l’Opus Dei et les Légionnaires du Christ.
Les “tradis” ont-ils gagné la “guerre du Vatican” ? Victoire à la Pyrrhus : l”institution vieillissante, concurrencée par les mouvements évangéliques est, plus que jamais, en crise…
Le lien ci-après donne la possibilité de (re)voir le film. Moment particulièrement fort et émouvant, le visage torturé de Don Helder Camara, larmes perlant aux yeux, lors de la nomination de son successeur.
Ci dessous mon point de vue en contre point de celui de Mgr Simon que j’ai adressé à La Croix en tant que lecteur abonné :
Je comprends la réaction de Mgr Hippolyte Simon au documentaire de Fr3 “La guerre perdue du Vatican” mais ne la partage pas complètement. Son titre-conclusion résumant sa pensée est sans appel : “Une parfaite leçon de désinformation”. “Un véritable pot-pourri d’approximations et d’amalgames” écrit encore Mgr Simon.
Personnellement j’ai regardé attentivement ce document au titre et contenu sans aucun doute partisan et provocateur. S’agit-il d’une attaque délibérée et une volonté de nuire à notre Église ? Je ne pense pas. Son titre me semble justifié par les trop grandes zones d’ombres qui, dans l’Église, depuis ces dernières décennies brouillent son témoignage du fait du “dérapage” de certains princes de l’Église et de Congrégations religieuses manipulatrices peu transparentes aux méthodes manipulatrices et quasi militaire. Je pense là aux “Légionnaires du Christ” que le Vatican à maintenu malgré la nuisance de cette Institution. Ce film ne se limite d’ailleurs pas qu’à Vatican II. Il rassemble un ensemble de dérapages et de contradictions qui portent atteintes à la crédibilité du message évangélique et particulièrement des Béatitudes.
Les situations évoquées ont bien existés réellement, même si le trait est souligné. Par exemple est-il inexact que la Théologie de la Libération n’ait pas été combattue par le Vatican et réduite au silence par la nomination d’évêques opposés à cette théologie ? Est-il inexact que Mgr Roméro ait été assassiné par les escadrons de la mort ainsi que de nombreux prêtres jésuites et autres religieux pour s’être opposé à des juntes militaires se référent au christianisme ? Est-il inexact que le dictateur Pinochet ait reçu le soutien implicite du pape Jean-Paul II ?…
Pour ma part, je voudrais dire mon soutien aux responsables de cette émission, car ce qu’ils soulignent est authentique et connus des chrétiens attentifs et engagés dans leur Église et dans la Citée. C’est en tout cas ce que je ressens comme frustration à tous les atermoiements du Pouvoir vaticaniste, notamment celui du chassé croisé entre le Vatican et la Fraternité sacerdotale St Pie X de Mgr Fallay.
Le documentaire n’a pas péché par excès car bien d’autres faits ont été dénoncés par des prélats aujourd’hui en retraite et qui se libèrent en donnant des interviews à des journalistes qui en font parfois des ouvrages comme Olivier Legendre avec “l’espérance du cardinal” et de “Confession d’un Cardinal”. Des prêtres aussi témoignent de leur inquiétude sur ces nouvelles méthodes ainsi que des théologiens comme le Père Joseph Moingt, sj, qui tout récemment vient d’écrire un ouvrage décapant “Croire quand même” dont le seul titre souligne l’inquiétude de ce vieux prêtre. Mgr Albert Rouet prêche de son coté “Vers une église de la confiance” ayant conscience du grand malaise actuel et des doutes qui traversent l’esprit de nombreux chrétiens.
En tout cas cette émission rassemble des faits qui sans doute n’auraient jamais été dévoilés par les autorités religieuses s’il ne l’avait été par des journalistes enquêteurs. Ce documentaire effectivement ne se limite pas seulement au bilan de Vatican II mais bien à celui de l’organisation de notre Église et de son exercice du Pouvoir au Vatican. Ces journalistes révèlent aussi au grand jour un malaise grandissant de nombreux fidèles. Notre Église est confrontée à une crise profonde identitaire, sans doute du même ordre de celle qui provoqua la naissance du protestantisme.
Au niveau local dans notre petit monde paroissial, nous vivons aussi très mal ce qui se passe aujourd’hui au sein de notre Église qui ne semble pas avoir pris la mesure de la fracture qui s’élargit entre fidèles pratiquants. Ainsi dans ma paroisse, j’assiste impuissant, au démantèlement par nos jeunes curés formés à Rome, de tout un travail de conscientisation du laïcat par nos curés précédents qui libérèrent la parole et donnèrent concrètement une réponse à la nouvelle définition du peuple de Dieu. De nombreuses paroisses sont ainsi livrées aux mains de jeunes curés qui tournent volontairement le dos aux orientations de Vatican II et détricotent le patient travail de leur prédécesseur
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Nous avions vécu dans le diocèse de Lyon une formidable expérience de ce peuple de Dieu à travers les travaux du Synode de Lyon et les décisions successives de nos cardinaux évêques, Mgr Albert Decourtray (Actes promulgués le 01 10 1993) et Marie Louis Billé. Le titre 1 des actes intitulé “Pour le service de l’Évangile : partage des responsabilités, ouverture au monde et proche des plus pauvres témoignent de cet immense désir voulu par ce Synode. Ces décisions eurent un impact certain dans la libération des cœurs et la volonté d’une mission pastorale partagée entre laïcs et prêtres dans nos paroisses. Or aujourd’hui plus aucune référence à ce Synode pourtant dans le droit fil de Vatican II dont j’ai retrouvé la trace sur Internet sous le titre général ” Musée du diocèse de Lyon”, titre sans doute prémonitoire.
Né en 1933, j’ai reçu une formation chrétienne assez obscurantiste chez les chers frères où j’étais en pension dans ma prime jeunesse. Nous vivions vraiment un christianisme de peur encerclé par le péché, l’enfer, le dolorisme, le piétisme. Adolescent j’eu la chance de rencontrer un jeune prêtre pradosien, aumônier de notre collège agricole, qui m’a converti à une autre lecture de l’Évangile ce qui m’a proprement libéré. Depuis j’ai vécu mon christianisme joyeusement à travers tous les engagements pris auprès de mes frères les hommes, au travail notamment, mais aussi dans ma commune et mon église locale.
Aujourd’hui j’assiste avec tristesse à la reprise en main clérical par ces nouveaux prêtres qui n’ont en tête comme mission : celle de remettre le peuple des laïcs dans le droit chemin, de nouveau à genoux pour adorer Dieu alors que le Christ nous a prêchés régulièrement le devoir d’être à genoux au service de nos frères les hommes, croyants ou non. L’ouverture au monde et la participation concrète à l’édification d’un monde plus juste et fraternel sont devenus obsolètes.
Oui au-delà du procès que fait Mgr Simon aux auteurs de ce documentaire, le débat et le partage n’existent plus dans nos paroisses, le retour à Vatican I est évident. Tout cela je l’ai dit dans une longue lettre adressée à notre évêque qui m’a fait une réponse très sympathique, mais qui au-delà n’a rien provoqué. Rien n’a bougé et ne bougera.
En conséquence, aujourd’hui, c’est vrai, une partie du laïcat s’organise pour être reconnu par le pouvoir ecclésiale. J’y adhère pleinement même si c’est de manière plus morale qu’active. Des journaux tels que La Vie organise depuis 2 ans des États généraux afin que des chrétiens puissent dialoguer entre eux et aussi avec des incroyants. D’autres mouvements s’organisent. Je souhaite que notre Eglise soit attentive à tous ces appels, ces propositions afin de rassembler tout le peuple des chrétiens au seul service de nos frères les hommes laïcs et clercs.
Faut-il qu’il y ait un nouveau reportage polémique tel “Les infiltés” sur les dérives de l’institut du Bon Pasteur à Bordeaux pour “réveiller” nos évêques sur la situation malsaine vécue dans de trop nombreuses paroisses “ordinaires” Il y a urgence a remettre la Parole au centre et à donner la parole au peuple de Dieu à travers des Synodes ou tout autres moyens. Les débats à la télé sont peut-être intéressants mais ne peuvent se substituer au partage et débat interne entre tous les chrétiens.
Jean-Claude METTON