Pourquoi la pauvreté n’est pas un thème de la campagne
Chronique de la semaine
Par Thibault Gajdos
On ne les entend pas, on n’en parle pas ; ce sont les grands absents de cette campagne électorale. Et pourtant ! On pourrait reprendre, au mot près, la vigoureuse interpellation de Victor Hugo à l’Assemblée nationale, le 9 juillet 1849 : ” La misère, Messieurs, j’aborde ici le vif de la question, voulez-vous savoir où elle en est, la misère ? Voulez-vous savoir jusqu’où elle peut aller, jusqu’où elle va, je ne dis pas en Irlande, je ne dis pas au Moyen Age, je dis en France, je dis à Paris, et au temps où nous vivons. Voulez-vous des faits ? “
En voici. En 2010 (derniers chiffres connus), 8,2 millions personnes vivaient en France en dessous du seuil de pauvreté – qui est fixé à 60 % du revenu médian, soit 954 euros (données de l’Insee, 2009). Parmi elles, figuraient 2 153 millions d’ enfants de moins de 16 ans, soit un enfant sur cinq.
La pauvreté devait baisser – Nicolas Sarkozy s’y était solennellement engagé – d’un tiers au cours de ce quinquennat. Or, il y avait, en 2010, 330 000 pauvres de plus qu’en 2007. Le nombre d’enfants pauvres de moins de 6 ans a augmenté d’un tiers, et frôle le million.
Le rapport que vient de publier l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (Onpes) est accablant. Entre 2002 et 2009, l’intensité de la pauvreté, qui mesure l’écart relatif du revenu médian des pauvres par rapport au seuil de pauvreté, est passé de 16 % à 19 %, tandis que la proportion de personnes en situation de pauvreté extrême (moins de 40 % du revenu médian) a augmenté de 43 %, passant de 2,3 % à 3,3 %.
Comment expliquer que ces questions soient absentes du débat électoral ? Est-ce que l’aggravation de la pauvreté, mesurée par les statistiques, serait imperceptible pour les citoyens ? Non. Selon l’Eurobaromètre ” Pauvreté et exclusion sociale ” (décembre 2010), 93 % des Français estiment que la pauvreté a augmenté entre 2007 et 2010. On ne peut pas davantage dire qu’ils s’en désintéressent : 91 % d’entre eux estiment qu’il s’agit d’un problème qui requiert une action urgente du gouvernement. Il est vrai que leur confiance dans l’action gouvernementale contre la pauvreté a fortement chuté, passant de 35 % en 2009 à 23 % en 2010.
Et c’est peut-être là qu’est l’explication. Il se pourrait que, les citoyens n’attendant plus rien d’eux en ce domaine, les candidats aient renoncé à combattre la pauvreté. Il se peut, aussi, qu’ils manquent d’imagination. Auquel cas ils pourront lire avec profit les dernières recommandations du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), organisme dirigé par Etienne Pinte, député UMP de Versailles : revalorisation de 25 % du revenu de solidarité active (RSA) socle (qui devra être indexé sur les revenus d’activité, et non plus sur les prix), abrogation des restrictions concernant l’aide médicale d’Etat contenues dans la loi de finances 2011, revalorisation du seuil d’accès à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) à hauteur de 60 % du revenu médian.
” Détruire la misère, oui, cela est possible ; les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse, car, en pareille matière, tant que le possible n’est pas fait, le devoir n’est pas rempli. “ Victor Hugo, encore.
Thibault Gajdos , CNRS
Source : article publié dans Le Monde ; Cahier « Le Monde Economie » n° 20909, daté du 11 avril 2012.
En savoir plus :
• Le rapport 2011-2012 de l’ONPES, “Crise économique, marché du travail et pauvreté” a été remis par M. Jérôme Vignon, président de l’ONPES, à Mme Bachelot-Narquin, ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale et a fait l’objet d’une présentation publique le 29 mars 2012 ; documents accessibles à : http://www.onpes.gouv.fr/
• La lettre n° 2 de mars 2012 de l’ONPES présente ce rapport en bref (5 pages) ; téléchargeable ici en format PDF : LettreNo2-2012