Défendre le service public comme outil de réduction des inégalités
Quelle place l’hôpital doit-il tenir dans notre système de santé face aux cliniques privées ?
Par Pierre Gibelin, Professeur de cardiologie au CHU de Nice.
Toutes les enquêtes le disent : la priorité des personnes de plus de cinquante ans, dans notre pays, est la santé avant le chômage ou le pouvoir d’achat. C’est autant d’électeurs attentifs à ce domaine.
Comme Nicolas Hulot l’avait fait pour l’écologie à la dernière élection présidentielle, il faut demander à chaque candidat de se positionner sur la santé publique et plus particulièrement sur le financement et le fonctionnement des hôpitaux publics.
L’hôpital public est en danger. Les différentes lois mises en place depuis 2004 (couronnées par la toute dernière loi HPST contestée même dans les rangs de la droite [Pr Debré]), élaborées dans le but officiel d’une meilleure efficience de l’hôpital, vont aboutir, à terme, à la disparition de celui-ci.
Prenons l’exemple des deux lois phares de ces réformes : la convergence des tarifs public-privé par la tarification à l’activité (T2A) et la création des pôles hospitaliers.
Notre président l’a clairement déclaré : l’hôpital, nouvellement appelé établissement de santé, doit être une entreprise comme une autre (sous entendu, bien sûr, rentable). Cette phrase mise en acte par la réforme hospitalière nous fait basculer dans l’ultralibéralisme où tout peut se vendre et tout peut s’acheter, contrairement au libéralisme qui exclut du marché quelques domaines régaliens : police, justice, éducation, armée, santé. Ainsi, la loi HPST fait donc changer le statut de l’hôpital, qui passe implicitement de service public au statut d’entreprise. Elle s’inspire du modèle américain hôpital entreprise élaboré par une équipe de spécialistes en économie industrielle (système de Rober Fetter. Cf. Regard sur l’actualité n° 352 – « La réforme de l’hôpital »).
La convergence des tarifs public-privé ne peut qu’amener l’hôpital public aux déficits : les missions des cliniques privées et des hôpitaux publics ne sont pas les mêmes. Une des conséquences sera le licenciement de 30 000 salariés environ, selon la fédération hospitalière, et la fermeture de pans entiers d’activités ou, ce qui revient au même, leur concentration ou leur fusionnement avec le privé.
Le système des pôles (regroupant plusieurs services), avec une soi-disant autonomie financière et dirigés par un médecin nommé par le directeur de l’hôpital, devenu du jour au lendemain un gestionnaire pur et dur sous la coupe de ce dernier, est là pour faire passer (imposer) les rigueurs budgétaires déficitaires au détriment du patient aux pathologies les moins rentables que l’on refusera de prendre en charge par exemple, ou des durées d’hospitalisation qui seront réduites de manière drastique.
Pour donner un exemple : le pôle hospitalier loue les locaux (les murs, les lits, l’électricité, le chauffage, etc.) à la direction de l’hôpital (Kafka n’est pas loin !!!). Va-t-on demander un jour aux juges de louer le palais de justice pour faire leur métier ou aux policiers les locaux du commissariat ?
Les cliniques privées martèlent qu’un acte médical (prise en charge d’une intervention chirurgicale par exemple) revient moins cher chez eux qu’à l’hôpital. C’est faux et tous les experts le disent car ces tarifs ne tiennent pas compte dans le calcul de nombreux éléments à charge pour l’hôpital (salaire des médecins par exemple qui est compris dans le prix de l’acte et non en clinique). Mais l’idée a fait son chemin comme une rumeur ou une calomnie. La propagande agit et les personnes, les citoyens, les acteurs politiques arrivent à en être persuadés.
C’est à nous, professionnels de santé et citoyens, de tirer le signal d’alarme. C’est aux candidats à se prononcer clairement sur ce thème. L’opposition ne doit pas entériner cette réforme en prenant le pas de cette logique économique mais réellement se démarquer et revenir sur la défense du service public comme outil de réduction des inégalités. Le modèle américain qui a été imité dans cette loi (comme dans d’autres pays européens) est le seul outil clés en main1 à exister pour maîtriser les dépenses de santé. Il appartient donc à l’opposition d’être ambitieuse et d’investir dans la recherche pour inventer un outil adapté au système de santé français qui est aux antipodes du système américain.
En attendant cette réflexion indispensable, nous pouvons suggérer un moratoire sur la convergence des tarifs public-privé, et de manière provisoire et transitionnelle, proposer un financement mixte comprenant 50 % par la tarification à l’activité et 50 % par le budget global. Proposer aussi la suppression du bras armé de la réforme : les pôles tels qu’ils sont conçus actuellement dont le seul intérêt est la gestion financière restrictive et la recherche de rentabilité utopique et amorale en ce qui concerne la santé publique avec, à terme, une diminution conséquente de l’offre hospitalière. Proposer enfin un meilleur équilibre entre pouvoir administratif et médical… mais la liste n’est pas exhaustive.
Pierre Gibelin
11.04.2012
Source :
POUR EN SAVOIR PLUS :
• sur la marchandisation actuelle de la santé et « les créneaux porteurs » pour les investisseurs lire l’article : « La santé, nouvel eldorado des investisseurs immobiliers » paru dans La Tribune du 12 avril 2012, téléchargeable ci-après au format PDF :
• relire l’entretien avec le Pr Grimaldi « Notre système de santé évolue vers une remise en cause de la solidarité » et l’appel de personnalités « Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire » ; textes publiés (le 22 sept. 2012) à :