Vers une sécurité alimentaire durable
Le rapport 2012 du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) sur « Le développement humain en Afrique – Vers une sécurité alimentaire durable » vient de paraître. Ce rapport souligne en particulier : « Le paradoxe est de taille : malgré les excédents mondiaux de produits alimentaires, la faim et la malnutrition persistent sur un continent au vaste potentiel agricole. Il est impératif d’enclencher une dynamique de changement radical. En dépit de la remarquable croissance économique des dix dernières années et du renversement positif de certains indicateurs du développement humain, l’Afrique subsaharienne continue d’être la région du monde où l’insécurité alimentaire est la plus grande. » On trouvera ci-après les textes de l’avant-propos et de la préface de ce document.
Avant-propos
Au cours des dix dernières années, la croissance économique a enregistré un rebond extraordinaire sur le continent. De nombreux pays africains figurent au rang des pays qui affichent des taux de croissance les plus élevés au monde et leur vitalité ne semble pas souffrir de l’incertitude persistante qui plane aujourd’hui sur l’économie mondiale. Grâce à ce dynamisme retrouvé, la diminution très attendue de la pauvreté s’est amorcée dans la région, qui envisage désormais l’avenir avec un regain d’optimisme. Il ne fait aucun doute que la croissance économique contribue au développement humain mais il est impératif que la croissance se maintienne à long terme. Pourtant, à elle seule, la croissance ne suffit pas à résoudre les problèmes de l’Afrique. Comme le montre le premier Rapport sur le Développement Humain en Afrique du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), le progrès rapide de l’économie n’ont pas suffi à assurer la sécurité alimentaire et une proportion significative de la population est encore victime de la faim. Depuis leur lancement en 1990, les Rapports sur le Développement Humain du PNUD ne cessent de préconiser l’adoption d’une approche du développement axée non seulement sur la croissance économique mais également sur les personnes
Depuis 2000, l’Afrique a subi plusieurs épisodes graves d’insécurité alimentaire, qui se sont soldés par de lourdes pertes en vies humaines et en moyens d’existence. Au moment même où le présent Rapport est publié, une nouvelle crise alimentaire frappe de plein fouet la région du Sahel, en Afrique de l’Ouest. Au cours de la seule année 2011, des millions de personnes ont été affectées par la famine, de l’autre côté du continent, dans la Corne de l’Afrique, et plus précisément dans certaines régions de la Somalie. Des catastrophes, comme les sécheresses ou les mauvaises récoltes, sont souvent à l’origine de ces crises. Pourtant, leurs causes réelles sont plus profondes
En effet, comme l’indique le présent Rapport, les mauvaises récoltes et le manque de nourriture ne sont pas les seuls responsables de la famine et de la faim. Le plus souvent, le problème réside dans l’accès inégal à l’alimentation, qui survient lorsque les personnes n’ont pas les moyens de produire ou d’acheter des denrées alimentaires. Cet accès inégal est ainsi symptomatique des faibles revenus et de la forte vulnérabilité qui continuent de caractériser de nombreux Africains. Si la famine fait la une des journaux, poussant régulièrement les autorités nationales et les organisations d’aide humanitaire à intervenir, les crises silencieuses que sont la malnutrition chronique et la faim saisonnière ne reçoivent pas toute l’attention voulue. Leurs effets seront pourtant ressentis par des générations d’Africains, privant les enfants d’un avenir et les parents de leur dignité tout en freinant les progrès liés au développement humain, et ce en dépit de la vitalité économique retrouvée de l’Afrique.
Pour assurer à tous les Africains un avenir axé sur la sécurité alimentaire, il convient de recentrer les actions sur des domaines clés, allant de l’augmentation de la productivité des petits exploitants agricoles à l’amélioration de la nutrition des enfants, au renforcement de la résilience des communautés et de la durabilité des systèmes alimentaires, et en passant par l’autonomisation des femmes et des populations rurales pauvres. Ces interventions ne seront couronnées de succès que si, d’une part, nous abordons la sécurité alimentaire comme un défi allant au-delà des mandats sectoriels et s’inscrit dans les stratégies nationales de développement et si, d’autre part, nous assurons une meilleure coordination et intégration des actions liées au développement et à l’aide humanitaire afin de renforcer la résilience des personnes et des communautés face aux crises, aussi graves soient-elles.
Ce double impératif joue un rôle moteur dans la mise en oeuvre du Cadre d’accélération de la réalisation des objectifs du Millénaire pour le Développement dans quatre pays du Sahel. Ce Cadre cherche à dynamiser les progrès en identifiant les goulots d’étranglement et les contraintes entravant la réalisation des objectifs en matière de sécurité alimentaire et de nutrition (OMD 1) et en renforçant la coordination (notamment au niveau du financement) entre les gouvernements nationaux, le système des Nations Unies et d’autres partenaires. Le PNUD s’est engagé dans de tels efforts transversaux et concertés, qui me semble d’autant plus importants au regard des problèmes posés par l’alimentation de populations en pleine croissance démographique, ainsi que des tentatives visant à éviter la dégradation de l’environnement et à atténuer les effets du changement climatique.
L’analyse et les recommandations présentées dans le présent Rapport sont le résultat de consultations exhaustives auprès d’universitaires, de chercheurs, de décideurs politiques et de professionnels du développement tant en Afrique que dans d’autres régions du monde. En effet, les Rapports sur le Développement Humain ont entre autres caractéristiques de fournir une plateforme aux analyses indépendantes et rigoureuses et aux débats ouverts sur les défis cruciaux liés au développement. J’ai l’espoir que ce premier Rapport sur le Développement Humain en Afrique permettra de relancer le débat sur les moyens d’assurer une sécurité alimentaire durable et d’accélérer le développement humain sur le continent et qu’il débouchera sur des actions plus décisives. Libérons à jamais l’Afrique de l’insécurité alimentaire et de la faim.
Helen Clark, Administratrice du PNUD
Préface
Ce Rapport n’aurait pas lieu d’exister si les gouvernements africains avaient répondu aux aspirations de leurs peuples au cours des 30 dernières années. Un quart de la population de l’Afrique subsaharienne ne souffrirait pas de sous-alimentation et un tiers des enfants africains n’accuserait pas de retard de croissance. Les agriculteurs ne seraient pas si nombreux à subsister péniblement en cultivant des parcelles minuscules aux sols appauvris. La région connaîtrait la sécurité alimentaire et l’écart entre son développement humain et celui de pays plus avancés n’aurait pas été aussi grand.
L’insécurité alimentaire chronique en Afrique subsaharienne est le résultat de décennies de mauvaise gouvernance. Des régimes peu soucieux des intérêts de leurs populations, ont transformé les ressources de la région en structures du pouvoir patrimonial. Des élites cupides, promptes à tirer parti de la corruption et du trafic d’influence, se sont interposées entre les responsables politiques et les populations, ont monopolisé les ressources de l’État au détriment du milieu rural, sans pour autant investir dans les secteurs productifs créateurs d’emploi. Dans l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, les infrastructures rurales se sont détériorées, l’agriculture a dépéri, les inégalités de genre ou autres se sont accrues et les systèmes alimentaires ont stagné. Les petits exploitants agricoles, dont dépend le redressement de l’agriculture, sont depuis longtemps pris entre le marteau et l’enclume. Le premier pas menant au rétablissement de la sécurité alimentaire consiste à les affranchir de cette situation difficile et à donner libre cours à leur potentiel.
La communauté internationale ne tranche pas par sa réaction face à cette triste réalité. Les pays développés maintiennent des subventions agricoles qui profitent à leurs riches producteurs et contribuent à la marginalisation des petits exploitants démunis d’Afrique subsaharienne. Pendant de nombreuses années, des programmes d’ajustement structurel conçus à l’étranger ont affaibli la capacité de l’État et encouragé les gouvernements africains à rembourser leurs fortes dettes en détournant les ressources de la production vivrière au profit des cultures de rentes. L’un après l’autre, les pays ont subi les conséquences de la chute des prix des matières premières et de la volatilité croissante d’importations coûteuses. L’indifférence affichée par certains partenaires du développement envers l’agriculture subsaharienne allant de pair avec la négligence des gouvernements, les agriculteurs se sont souvent retrouvés à la merci d’une aide soumise à des conditions contre-productives.
Le paradoxe est de taille : malgré les excédents mondiaux de produits alimentaires, la faim et la malnutrition persistent sur un continent au vaste potentiel agricole. Il est impératif d’enclencher une dynamique de changement radical. En dépit de la remarquable croissance économique des dix dernières années et du renversement positif de certains indicateurs du développement humain, l’Afrique subsaharienne continue d’être la région du monde où l’insécurité alimentaire est la plus grande. Le spectre de la famine, qui a disparu partout ailleurs, ne cesse de hanter des millions de personnes dans la région. La Somalie a subi une énième famine en 2011 et le Sahel court le même risque en 2012.
Quoiqu’il en soit, le passé est une chose et l’avenir en est une autre. Les Africains ne sont pas condamnés à mourir de faim, pour autant que les gouvernements agissent vigoureusement pour mettre en oeuvre les politiques et les mécanismes de soutien appropriés. La faim, la famine et l’insécurité alimentaire peuvent être évitées. Il est possible, une fois pour toute, de mettre un terme aux images consternantes associées depuis bien trop longtemps à l’Afrique subsaharienne, tels que les enfants affamés et les centres de distribution d’aide alimentaire.
Les stratégies en matière de sécurité alimentaire doivent, d’une part, résoudre les problèmes propres à l’Afrique et, d’autre part, faire face aux changements importants du système alimentaire mondial. En effet, de nouveaux facteurs – pression démographique, diminution des ressources naturelles (notamment l’eau et les nutriments du sol) et l’adoption croissante d’un régime alimentaire carné (qui exige de plus grandes quantités d’eau et de céréales) par les nouvelles classes moyennes des pays émergents – sont à la base de nouveaux modes de production et de consommation alimentaires. La volatilité des prix mondiaux des denrées alimentaires est due à l’augmentation de la demande et aux dysfonctionnements de l’approvisionnement, qui sont quant à eux liés au changement climatique et à la fluctuation des prix des intrants agricoles, dont les engrais et le pétrole.
La croissance et l’enrichissement de la population en Afrique subsaharienne ne feront qu’accentuer ces problèmes. Au cours des cinquante prochaines années, la région sera amenée à augmenter sensiblement sa production alimentaire afin de répondre aux besoins de sa population tout en atténuant les contraintes que l’agriculture fait peser sur l’environnement.
Il y a un demi-siècle, les révolutions vertes en Asie et en Amérique latine ont marqué le début d’avancées scientifiques et technologiques soutenues qui ont fini par éradiquer la faim dans ces régions. Des millions de vies ont été épargnées en Asie. Les régions affectées par la famine dans le passé sont ainsi devenues des greniers. Pourquoi ne pourrait-il pas en être de même en Afrique subsaharienne ?
L’Afrique possède les connaissances, les technologies et les moyens permettant d’éradiquer la faim et l’insécurité alimentaire. Pourtant, la volonté et l’engagement politiques lui font encore défaut. Le continent doit cesser de dépendre des autres pour se nourrir. Cette attitude porte atteinte à sa dignité et freine son potentiel. Si certains pays africains sont en mesure d’acheter et de déployer des chars et avions de combat, de l’artillerie lourde et d’autres moyens modernes de destruction, pourquoi ne seraient-ils pas capables de maîtriser le savoir-faire agricole ? Pourquoi l’Afrique serait-elle incapable de financer la technologie, les tracteurs, l’irrigation, les variétés de semences et la formation nécessaires à la sécurité alimentaire ?
Le présent Rapport soutient que l’Afrique subsaharienne peut s’affranchir de l’insécurité alimentaire persistante en s’appuyant sur quatre moteurs de changement cruciaux : l’amélioration de la productivité agricole des petits exploitants ; l’accroissement de l’efficacité des politiques nutritionnelles, visant prioritairement les enfants ; le renforcement de la résilience des communautés et des foyers pour résister aux chocs ; et le développement de la participation et de l’autonomisation des individus, en particulier des femmes et des populations rurales pauvres. En mettant fin aux ravages causées par la faim et la malnutrition, ces moteurs de changement vont promouvoir le développement des capacités et les conditions nécessaires au développement humain. Une population bien nourrie et autonome a plus de chances de s’instruire, de participer à la société et d’augmenter son potentiel humain et économique. Dotée des politiques et des institutions adéquates, l’Afrique pourra maintenir le cercle vertueux du développement humain et d’une sécurité alimentaire durable.
Tegegnework Gettu
Secrétaire général adjoint et directeur régional
Bureau régional pour l’Afrique – PNUD
Source : http://www.undp.org/content/undp/en/home/librarypage/hdr/africa-human-development-report-2012/
• Résumé – Rapport sur le développement humain en Afrique – 2012. Vers une sécurité alimentaire durable ; téléchargeable ci-après (24 pages) au format pdf :
• Rapport complet (190 pages) en anglais ; téléchargeable ci-après au format pdf :