La faim au Sahel, les vraies causes et les solutions
Par Anne Guion
Cette année, 400 000 enfants au Niger risquent de mourir de malnutrition, selon l’Unicef. La famine s’abat sur ce pays, l’un des plus pauvres au monde, une nouvelle fois après les crises alimentaires de 2005 et de 2010. Une information devenue presque banale, qui ne fait plus les gros titres depuis longtemps, mais qui n’est pas une fatalité. Des solutions existent, qui relèvent moins de l’urgence que du développement.
400 000 enfants en danger de mort au Niger. Après les famines de 2005 et de 2010, le pays fait de nouveau face à une crise alimentaire. Pourquoi donc la faim revient-elle sans cesse au Sahel ? Pour des raisons climatiques ? Pas seulement. En septembre 2010, nous étions partis en reportage au Niger pour enquêter sur le Plumpy’nut, un produit à base de cacahuète permettant de soigner les enfants souffrant de malnutrition aigüe. Nous en étions revenus avec deux certitudes : 1) la famine est la conséquence d’une série de facteurs complexes qui ne relèvent pas seulement de l’alimentation 2) des milliards sont dépensés chaque année pour soigner, mais beaucoup moins pour prévenir. Or des solutions existent, qui relèvent moins de l’urgence que du développement. Décryptage.
Des causes complexes : surendettement et sevrage brutal
C’était en septembre 2010, à Garin Saoudé, un petit village à deux heures de Maradi, une ville dans le Sud du Niger. Nous y avions suivi Raqia, une jeune mère de famille. Une cour entourée de murs en terre ocre. Trois familles vivaient là. Et, surprise, ce n’était pas le dénuement total imaginé. Une poule et ses poussins, des pintades, des chèvres et des vaches. “Les villageois ont de quoi constituer une ration alimentaire équilibrée minimale”, nous avait alors expliqué Touré Brahima, médecin ivoirien, responsable des études chez Épicentre, une ONG créée par MSF. “Même les familles les plus modestes ont des œufs, du mil, des haricots, du soja. Mais ils préfèrent vendre leur production.” Pourquoi ? À cause du surendettement. Lorsque les récoltes sont mauvaises plusieurs années de suite, les paysans sont obligés de vendre le mil récolté pour rembourser leurs dettes. Mais pas seulement : les superstitions jouent également un rôle. Les parents, par exemple, ne donnent pas d’œufs aux enfants. La faute à une vieille croyance qui dit que l’enfant se mettra alors à voler. Dans les villages Haoussa, l’ethnie majoritaire autour de Maradi, où la polygamie est très importante, la femme subvient seule aux besoins alimentaires des enfants grâce à son lopin de terre. Pendant la journée, les enfants ne mangent que la “boule”, une sorte de soupe de mil. La mère ne prépare qu’un seul repas, celui du soir, lorsque le père est présent. Ajoutez à cela un sevrage maternel souvent brutal. Un cercle vicieux s’est enclenché. “La mère qui n’a pas une alimentation équilibrée va donner naissance à un enfant avec un petit poids de naissance, moins de 2,5 kg, poursuit Touré Brahima. Or, il est très difficile ensuite pour l’enfant de rattraper ce retard. Pour éradiquer cette malnutrition chronique, il faut notamment travailler sur le couple mère-enfant à long terme.”
L’aide d’urgence : ses miracles et ses effets pervers
Or, depuis quelques années, l’aide de la communauté internationale s’est focalisée sur la nutrition. Le succès du Plumpy’nut a sans doute accentué cette tendance. Ce produit miracle, à base de cacahuètes a ainsi permis de considérablement baisser la mortalité des enfants atteints de malnutrition aigüe. Dans la foulée, est apparu le Plumpy’doz, une pâte également, qui contient le même concentré en vitamines avec moins de calories. Celui-ci va inspirer une nouvelle gamme de produits : les aliments complémentaires prêts à la consommation destinés à prévenir la malnutrition modérée, soit lutter en amont contre la faim. Depuis, le Plumpy’doz est partout. Avec parfois des effets pervers. Ces produits occidentaux alimentent notamment un marché noir. Surtout, cela coûte cher : il faut compter 35 € par enfant environ pour un traitement de six mois de Plumpy’doz. “C’est autant d’argent qui n’est pas dépensé dans les programmes de sensibilisation à la nutrition ou de développement”, dénonce Michel Roulet, un pédiatre nutritionniste de Terre des hommes-Suisse, la première ONG à avoir mis en garde contre les effets pervers d’une distribution massive de ces aliments complémentaires. Et de fait, sur le terrain, le déséquilibre est patent. Dans les environs de Maradi, les paysans ne cultivent quasiment que du mil. “Pourtant, dans certaines zones, ceux-ci pourraient mettre en place des cultures vivrières et ainsi aller vers davantage de sécurité alimentaire”, témoigne Touré Brahima.
Trop d’aide alimentaire, pas assez d’éducation et de santé
Tout ceci est une question de priorité. La communauté internationale a toujours favorisé l’aide alimentaire – qui permet d’écouler les surplus des systèmes agricoles occidentaux – au développement. Ainsi en 2009, les dépenses du Programme alimentaire mondial (Pam) dépassaient les 8 milliards de dollars (5 milliards d’euros). Tandis que la FAO, l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, dépensait seulement 266 millions de dollars (191 millions d’euros) dans des programmes de soutien aux agriculteurs des pays en voie de développement. Un fossé qui devrait s’accentuer. Dans un récent rapport, la Banque mondiale recommande aux agences d’aide humanitaire (Unicef, Pam) d’augmenter leurs achats de produits de traitement et de prévention (type Plumpy’nut et Plumpy’doz) pour atteindre 6,2 milliards de dollars par an, soit 4,4 milliards d’euros (contre 250 millions d’euros aujourd’hui). ”Il faut se méfier d’une certaine vision nutritionniste du monde, affirme Michel Roulet. La nutrition ne peut pas tout régler. Après la Seconde Guerre mondiale, si le statut nutritionnel des enfants européens a progressé, ce n’est pas seulement parce qu’on s’est mis à distribuer du lait dans les écoles. C’est un ensemble de progrès qui a permis cela : l’accès à l’éducation et à la santé…” Or, le Niger, l’un des pays les plus pauvres du monde, en est loin. Le manque de moyens est criant. La gratuité des soins pour les enfants jusqu’à 5 ans a bien été mise en place en 2007, mais peu d’efforts ont été faits pour permettre aux hôpitaux de faire face à la demande.
Les solutions : mieux articuler aide et développement
En septembre 2011 un rapport du Groupe du Travail sur le Sahel, composé de plusieurs ONG, intitulé “Échapper au cycle de la faim. Les chemins de la résilience au Sahel” énumère les pistes d’action. Surtout, il propose de révolutionner notre façon de penser ces famines. “Il n’est plus approprié au Sahel d’associer les situations d’urgence humanitaire aux seules catastrophes subites et courtes telles que la sécheresse, analysent ses auteurs. Au lieu de cela, il faut promouvoir l’idée qu’une «crise alimentaire et nutritionnelle chronique» existe au Sahel et qu’elle constitue également une ‘urgence'”.
Il faut reconnaître que l’insécurité alimentaire chronique ne peut être abordée avec des “solutions rapides” que fournissent les opérations et financement classiques humanitaires. Elle ne peut pas davantage être uniquement abordée avec des programmes de développement.” Il faut donc traiter à la fois l’urgence et le développement : nourrir, soigner ET développer les cultures vivrières, créer des systèmes de sécurité sociale, mettre en place des campagnes de sensibilisation sur la nutrition, etc. C’est un travail à long terme, difficile et sans doute ingrat en termes de résonnance médiatique. Mais c’est un travail nécessaire : la faim au Sahel n’est pas une fatalité.
Pour aller plus loin
• Diaporama : En septembre 2010 nos reporters Anne Guion et Tomas Van Houtryve sont partis enquêter sur le Plumpy’Nut au Niger, un aliment supernutritif distribué à la population souffrant de malnutrition.
Anne Guion
publié le 09/05/2012
• Comprendre pour agir : ne pas manquer de lire l’ouvrage de Jean Ziegler « Destruction massive – Géopolitique de la faim » [Ed. du Seuil, Oct. 2011] dont il a été rendu compte dans l’article publié sur ce site à : http://www.nsae.fr/2012/03/31/les-politiques-agricoles-affament-le-monde-2/